Quand ses économies ont fondu, en pleine saison des pluies, Isaac Tondo, un agriculteur du Liberia, s’est fait envoyer de quoi tenir sur son téléphone portable. En Afrique subsaharienne, les services bancaires tentent de surfer sur la lame de fond de la téléphonie mobile.
Les institutions financières internationales voient même dans cette démocratisation de la banque aux populations défavorisées ou isolées un levier de croissance et de réduction de la pauvreté, à condition d’en maîtriser les risques majeurs.
Pour aider financièrement Isaac Tondo, son frère dans la capitale ne peut même plus compter sur des connaissances de passage dans leur village natal du sud-est du pays, inaccessible en cette saison en raison de l’état des routes. « Le seul moyen de recevoir de l’argent de Monrovia, c’est le portable », souligne l’agriculteur.
Transformant, comme c’est souvent le cas pour les pays moins avancés ses handicaps - infrastructures de transport déficientes, longues distances, aléas climatiques - en occasion de rattraper ses retards, l’Afrique subsaharienne est pionnière en matière de services bancaires sur portable.
Selon les institutions financières internationales, environ 12% des habitants de cette région disposent d’un compte bancaire de ce type, contre 2% à l’échelle mondiale, avec une pointe à 60% au Kenya, leader incontesté avec le système M-Pesa, lancé par l’opérateur Safaricom, détenu à 40% par le géant britannique des télécoms Vodafone.
Le Fonds monétaire international (FMI) évalue jusqu’à 1,5 point le potentiel de croissance supplémentaire que pourrait fournir un meilleur accès de l’Afrique subsaharienne aux services bancaires.
« C’est une voie prometteuse vers l’intégration financière » de populations jusqu’à présent marginalisées économiquement, estimait la semaine dernière Mitsuhiro Furusawa, directeur adjoint du FMI, lors d’une conférence régionale à Dakar sur « l’inclusion financière. »En économie, il y a une relation très nette entre le développement de la finance d’une part, et la croissance économique et la réduction de la pauvreté de l’autre", assure Roger Nord, directeur adjoint du département Afrique du FMI.
Fraude et de fiabilité
En Afrique de l’Ouest, c’est en Côte d’Ivoire que la banque mobile connaît le plus grand succès, touchant 25% de la population.
« Mais il reste encore une grosse marge de progression », affirme Jean Marius Yao, PDG d’Orange Money dans ce pays, citant un taux de pénétration nettement inférieur dans les campagnes ou chez les femmes.
« Majoritairement ce sont des personnes qui étaient exclues du système financier classique qui adoptent notre solution », ajoute-t-il, soulignant qu’elle se propage également à des agents bénéficiant de comptes bancaires traditionnels, comme des employeurs qui payent leurs salariés par SMS.
L’exemple de M-Pesa, surtout connu au départ comme un « porte-monnaie électronique », qui a ensuite offert une rémunération des comptes à des usagers n’ayant jusqu’alors jamais épargné avant de se décliner en services d’assurance médicale, de paiement de factures ou de microcrédit, pourrait inspirer l’ensemble du continent, souligne Roger Nord.
En Côte d’Ivoire, Orange Money propose ainsi comptes d’épargne ou assurances-vie.
Ces expériences ne sont pas forcément transposables partout, en raison notamment de la difficulté persistante à convaincre des usagers habitués à l’argent liquide de la valeur de la monnaie numérique, soulignent les experts, mettant également en garde contre les vulnérabilités propres à ces systèmes immatériels.
L’Intelligence Unit du magazine spécialisé The Economist (EIU) qualifie ainsi, dans un rapport publié en mai, la fraude sur l’argent mobile de « problème énorme », une préoccupation de taille sur un continent où les escrocs rivalisent souvent d’ingéniosité.
Le rapport cite une étude de la Banque centrale du Kenya selon laquelle 37% des transactions de ce type sont frauduleuses, contre 10% lorsqu’elles sont réalisées par des agents de banque classiques. Il mentionne le cas d’une société de téléphonie mobile de la région qui aurait perdu près de 100 millions de dollars l’année dernière à cause de la fraude.
Mais quels que soient les obstacles, ce marché est appelé à grandir mécaniquement : selon un rapport du Boston Consulting Group (BCG) publié en juin, « d’ici 2019, 250 millions d’Africains qui ne sont pas intégrés au système bancaire possèderont un téléphone portable et un revenu d’au moins 500 dollars par mois ».
AFP
(Source : Le Parisien, 28 septembre 2016)