Depuis le début de la crise sanitaire, des centaines de laboratoires s’activent dans la recherche de traitement et de vaccin contre la maladie à coronavirus COVID-19, des milliers d’unités mondiales de production se rivalisent dans la fabrication d’équipements et de matériels sanitaires.
Cette crise et ses répercutions négatives sur les économies ont non seulement révélé les limites des états mais ont aussi dévoilé la nécessité d’améliorer constamment le niveau des connaissances scientifiques et techniques des populations pour affronter les épreuves du monde contemporain.
C’est dans ce contexte que les récentes rencontres notamment, le Sommet extraordinaire de l’Union Africaine, la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UEMOA, la Session extraordinaire de la conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO, tenues en visioconférences, ont toutes porté sur les stratégies africaines de lutte contre la pandémie.
D’autres tendances sont accentuées par cette crise : le développement du commerce électronique malgré que le système de livraison soit encore déficitaire et coûteux et la faible généralisation du paiement électronique dans les pays en développement en général et dans les pays de l’Afrique subsaharienne, en particulier.
En effet, de nos jours, des milliards de dollars américains transitent quotidiennement dans les artères des réseaux électroniques sous forme de transactions financières et de ce fait, les organisations du secteur privé et les entreprises en général doivent davantage intégrer le numérique et l’innovation dans les processus de décision et les circuits commerciaux car il y va de leur survie et de la compétitivité de l’économie.
En particulier, la crise a révélé que désormais, en matière de lutte contre les catastrophes sanitaires, l’innovation, le numérique et les services automatisés font l’objet d’une importance singulière. Ils s’inscrivent dans un contexte mondial où les gouvernements et les entreprises font face à des défis sans précédent, tels que l’information, la communication, les approvisionnements, la production, la distribution et le fonctionnement des activités.
Aux problèmes émergents et inédits de l’humanité, il faudrait à l’avenir des réponses innovantes pour parvenir à de meilleurs résultats que ceux obtenus jusque là car la façon dont chaque pays traite cette pandémie aura un impact non seulement sur son évolution future mais aussi sur sa population.
Ainsi, dans ce nouvel ordre économique du monde qui s’élabore, l’avantage compétitif d’un pays reposera sur l’utilisation novatrice et efficace de la science et de la technologie existante, mais pas uniquement.
A certains égards, pour favoriser une transformation structurelle de l’économie, les décideurs devront nécessairement renforcer davantage le perfectionnement du capital humain et l’accroissement du nombre de techniciens et de scientifiques dans l’effectif des diplômés de l’enseignement supérieur, de la fonction publique et des agents du secteur productif.
A titre d’exemple, dans les pays asiatiques tels que la Chine, le Singapour, le Japon, la Corée du Sud, etc., les techniciens supérieurs, les ingénieurs et scientifiques constituent plus de 40 % de l’effectif des diplômés de l’enseignement supérieur.
Etant donné que l’innovation, le numérique et l’économie des réseaux sont une clé permettant de sortir de la dépendance technologique et de contribuer à la création de richesses, ils doivent dès lors être considérés comme un secteur stratégique participant dans une large mesure au développement de tous les secteurs d’activités économiques (éducation, santé, commerce, banques, systèmes financiers décentralisés, etc.).
Quid des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Sénégal ?
En juin 1983, la tenue des « journées Sénégalaises de télécommunication » a concouru à la création de deux entités juridiques différentes : Télésénégal et l’Office des postes et des Télécommunications (OPT). La SONATEL a été créée le 23 juillet 1985.
Des prémisses d’Internet au Sénégal de 1989, année où l’Institut de Recherche pour le Développement (IDR, ex-orstom), met en place le réseau intertropical d’ordinateurs (RIO) ; de 1992, période où l’ONG Enda Tiers-monde installe à son tour un nœud d’accès au mail ; de mars 1996, moment où l’Internet sort du cercle restreint d’un millier d’utilisateurs où il était réservé et débute réellement son ère commercial au Sénégal ; les technologies ont joué un rôle capital dans l’économie sénégalaise.
Métissacana (premier cybercafé d’Afrique de l’Ouest), Télécomplus (devenu après SONATEL Multimédia), Trade Point Sénégal, fournisseurs d’équipements informatiques (IBM, Compaq, Hewlett Packard, Apple, Dell, Cisco, Microsoft, etc.), fournisseurs de solutions (CFAO Technologies, ATI, Oracle, Chaka computer, etc.), boutiques virtuelles (komkom, Sentoo, Manobi, Senfacture, etc.), PCCI, entre autres, ont été les premiers précurseurs à contribuer de manière décisive à la croissance du numérique dans le pays.
Au fil des années et en moins de deux décennies, le Sénégal a opéré des réformes majeures qui ont contribué au développement et à la diversification considérable des acteurs institutionnels et des secteurs de l’économie numérique tels que les structures étatiques (ADIE, ARTP, CONTAN, FDSUT), les écoles de télécommunications, les opérateurs de télécommunications, les sites web d’informations, les chaines de télévision privées numériques, les radios numériques, etc.
Au-delà de la prolifération des acteurs et des secteurs de l’économie numérique, la question du financement et de l’accompagnement des start-ups (entreprises en phase de démarrage) pose un problème.
Zhou Enlai disait : « vous savez, certains paquebots paraissent très beaux quand ils sont à quai, mais finalement lorsqu’ils partent en mer, ils ne résistent pas à la première tempête… ».
Comme Métissacana ou Sentoo ou les cybercafés, beaucoup de start-ups, de projets d’entreprenariat ont connu un cycle de vie éphémère car il ne suffit pas de toujours prôner des orientations pragmatiques, il faut aussi apprendre à construire des paquebots durables.
Existerait-il une évaluation précise sur les impacts économiques des fermetures de ces centaines de start-ups ? En raison de la rapidité avec laquelle se développent les nouvelles technologies, une politique d’encadrement de la transformation digitale pourrait-elle impulser l’impératif de souveraineté technologique ?
Si l’esprit d’adaptation et d’anticipation a permis au groupe SONATEL d’être parmi les sociétés de télécommunication africaine de référence, tel n’est pas le cas de la Société Nationale « la POSTE ».
Percevant le risque de voir cette dernière rejoindre le cercle des sociétés fragiles, il faut se féliciter des innovations dans le numérique et de l’instruction présidentielle pour la finalisation du plan de modernisation de l’entreprise en vue d’en faire un véritable levier de croissance à l’aune des enjeux contemporains émergents.
La qualité des infrastructures, par ailleurs, et la cherté des coûts de réalisation d’un système d’information et des intrants des technologies sont parmi les facteurs qui contribuent le plus à dégrader la pénétration du numérique dans le circuit économique, voire la compétitivité des entreprises.
Il y’a aussi la cherté des tarifs et la double tarification dans les opérations de transferts d’argent par le canal des opérateurs locaux. Il faut reconnaître que les coûts exagérés des tarifs des communications locales et des frais des transactions numériques au Sénégal constituent un frein à l’essor du digital et de l’économie des réseaux.
La confiance dans l’avenir résiderait aussi dans l’innovation et les TIC
La carte d’identité numérique, le permis de conduire numérisé, le passeport numérisé, la télévision numérique (TNT), etc., caractérisent les outils de l’évolution numérique et déclinent l’ambition du gouvernement du Sénégal de faire émerger le concept de l’e-citoyen sénégalais qui peut être défini par l’intégration d’une personne membre d’un État considéré du point de vue de ses devoirs et ses droits civils et politiques, des impacts des TIC.
De la culture du numérique qui devrait aboutir à la modification des relations entre l’administration et les citoyens, la population devrait être désormais au cœur des mutations qui s’opèrent à travers le monde.
Par conséquent, les défis auxquels le pays doit faire face avec l’introduction du numérique dans les transactions économiques sont, sans doute, énormes. Toutefois, étant donné les bouleversements fondamentaux actuels dans la nature de l’économie mondiale, il est d’une importance capitale que les orientations stratégiques de développement pour le pays soient modelées par cette réalité de la mondialisation et de l’économie des réseaux.
Dans ce contexte, l’Agence de l’Informatique de l’État (ADIE), qui joue un rôle essentiel de conception et de mise en œuvre des stratégies et des politiques en matière d’informatique et des TIC, devrait être réformée afin qu’elle puisse contribuer à générer des ressources pour l’État.
Cette réforme pourrait apporter des améliorations dans un certain nombre de domaines, tels que l’émergence d’une souveraineté technologique, la mise en place d’un centre de recherche-développement servant d’interface entre la recherche universitaire et l’innovation des start-ups, la fourniture de solutions et l’accompagnement de la modernisation des entreprises, le renforcement des capacités de pénétration du numérique sur l’économie informelle et les ménages, et la mise en place d’un cadre des affaires adapté à l’environnement technologique.
De même, puisque le commerce électronique entrera dans les mœurs, la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) devrait encourager le renforcement de l’usage des technologies à des fins concurrentielles par l’amélioration du cadre législatif et réglementaire communautaire voire continental pour accroître la confiance des entreprises et des consommateurs dans le fonctionnement des nouveaux marchés tout en préservant la capacité de l’État à conduire ses missions régaliennes (veiller au respect de la loi, garantir la sécurité, prélever l’impôt, protéger les données personnelles, etc.).
Dans une large mesure, l’Ecole Polytechnique de Thiès et l’Ecole Supérieur Polytechnique de Dakar devraient être érigées en de véritables laboratoires d’innovation dans les domaines économique et technologique générant un immense potentiel d’idées et de solutions pour les entrepreneurs sénégalais. Les résultats déjà enregistrés dans le cadre de la lutte contre la pandémie illustrent bien leurs potentialités et leur génie créateur.
Par ailleurs, pour éviter les pertes massives d’initiatives naissantes, il faudrait également promouvoir et encourager l’édification de sites, d’incubateurs en partenariat avec les instituts universitaires de technologies qui symboliseront la transition de l’économie vers un rôle leader sous régional plus marqué en innovation évoluant dans un environnement de travail coopératif.
Ces incubateurs permettraient aux start-up des jeunes de disposer d’espaces créatifs et d’être en contact avec des partenaires stratégiques pouvant offrir des solutions de développement d’affaires.
Au demeurant, pour affronter les difficultés croissantes de ce nouvel ordre économique du monde qui s’élabore, les entreprises ont besoin davantage du soutien du gouvernement et des institutions.
Une approche en quatre volets pourrait les aider à renforcer leur compétitivité : une prise de conscience des avantages que les TIC (innovation, digitalisation) peuvent apporter à l’humanité, un partenariat plus étroit entre secteurs public et privé, un réseau efficace des structures étatiques impliquées dans la chaîne de valeur, et l’emploi optimal des technologies.
En définitive, dans le processus de redressement économique et de renforcement de la résilience, les autorités étatiques auront mille projets à entreprendre. Aussi, nécessiterait-il un modèle de gouvernance qui renforce les services aux entreprises pour faire face efficacement aux enjeux émergents ?
A l’image des pays d’Asie du Sud-est, des efforts devraient être fournis pour le renforcement du financement de la recherche/développement et des activités novatrices créatrices d’un savoir nouveau. Sur ce point, l’exemple d’ORBUS 2000 et de GAINDE 2000 illustrent bien, entre autres, le génie et la parfaite contribution de l’expertise sénégalaise au profit de la facilitation des échanges et du développement national.
Dès lors, en plus de la génération née avec le web 2.0, une génération plus innovante et plus décomplexée, et du génie des scientifiques et universitaires sénégalais qui suscite beaucoup d’espoirs pour la réduction de la vulnérabilité du pays à la dépendance aux technologies importées, la confiance dans l’avenir résiderait également dans la coopération communautaire sur la science et la technologie, le renforcement du capital humain pour la productivité, la mobilisation de moyens conséquents pour la protection de la propriété intellectuelle et la création de programmes publics destinés à la recherche-développement (R-D).
Mamamdou Sarr [1].
(Source : Dakar Actu, 13" mai 2020)
[1] Mamadou Sarr est économiste-gestionnaire, expert en commerce et développement international. Il a été interne-chercheur en science de gestion des entreprises à la SONATEL MEDINA au début des années 2000, au Trade Point Sénégal et au GIE GAINDE 2000