La Co-régulation, une urgence pour la presse sénégalaise
vendredi 11 avril 2008
Le paysage médiatique sénégalais présente un visage très peu reluisant avec un enchaînement de faits ne contribuant pas à redorer le blason de la presse. Des sorties intempestives de chefs religieux et/ou d’hommes politiques qui « tirent » sur la presse, des mises en accusation de journalistes pour extorsion de fonds, des contrevérités plaquées à la une des journaux, brefs, un cocktail qui ne tardera pas à exploser si rien n’est fait.
Dans ce sens, il me semble urgent que l’ensemble des acteurs se mettent ensemble pour prendre en charge la réglementation du secteur en instituant une autre forme de régulation par le biais d’un organe de régulation légitime et efficace qui serait un véritable outil de stabilisation du secteur des médias. (Voir, Viyé DABO, « L’évolution de l’organe de régulation des médias au Sénégal », Mémoire soutenu dans le cadre du Master Droit de la régulation, FSJP/UCAD, Mars 2008.
La régulation peut être définie comme étant « la tâche qui, consiste à assurer entre les droits et obligations, de chacun, le type d’équilibre voulu par la loi. Elle implique dans une certaine mesure ce qu’on appelle aujourd’hui une vision « systémique » de la société et de ses rapports avec l’Etat. »
Dès lors, l’applicabilité de cette définition au paysage audiovisuel appelle « la mise en œuvre des lois et règlements, des engagements et obligations des acteurs et professionnels de la communication, en un mot, tout ce qui constitue l’encadrement juridique de la liberté de communication, est subordonnée à la possibilité, à tout moment, d’en contrôler le respect ».
C’est cela le carnet de bord de l’autorité de régulation dans un paysage médiatique en pleine mutation. Et, c’est la mission qui est confiée au Conseil National de la Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) que d’être le garant de la bonne application des textes pour un plus grand respect des libertés individuelles et autres libertés des citoyens conformément à la constitution de notre pays en son article 8.
C’est donc le lieu d’appeler le droit de l’audiovisuel qui est très vaste. Il concerne toutes les questions relatives aux médias : le régime de la création de l’entreprise de presse, l’exercice des activités médiatiques, la surveillance des médias, les droits d’auteurs sans oublier la gestion des fréquences.
La régulation de l’audiovisuel a une histoire au Sénégal et elle se présente sous diverses formes. Depuis les indépendances, trois organes de régulation du secteur de l’audiovisuel se sont succédés ayant pour mission de surveiller, d’accompagner et d’aider au développement du secteur.
Il s’agit du Haut Conseil de la Radio Télévision (HCRT) puis du Haut Conseil de l’Audiovisuel (HCA) et actuellement du Conseil National de la Régulation de l’Audiovisuel (CNRA).
A côte de ces instruments, le monde de la presse au Sénégal connaît également une forme spécifique de régulation qu’est l’autorégulation. Dans ce cadre, les professionnels de la communication sont assujettis à une convention collective et respectent, un tant soit peu le regard critique du Conseil pour le Respect de l’Ethique et de la Déontologie (CRED). C’est en d’autres termes le tribunal dit des pairs.
En tout état de cause, ces instruments de régulation ont chacun des limites qui méritent de retenir l’attention et que nous verrons plus bas. Mais auparavant, constatons que ces dernières années, le secteur a connu une prolifération de chaînes de télévision bien qu’il n’existe toujours pas de cahiers des charges pour l’acquisition de fréquences pour l’émission de programmes de télévision.
La mondialisation a favorisé l’émergence d’une nouvelle démocratie dans laquelle, les citoyens ont pris conscience de leurs droits et exigent une plus grande liberté d’expression. Ainsi, le choix des gouvernants ne pouvait être autre que de suivre la volonté du peuple en libéralisant les médiums tels que la radio et la télévision. Cette mutation a été également renforcée par les avancées technologiques notées dans le secteur. Pourtant, il faut admettre que le Sénégal a très tôt pris en compte le respect des droits de l’homme en l’inscrivant dans sa loi fondamentale.
D’une télévision généraliste admise, avec l’appui de l’UNESCO en 1965, initié sous le Président Léopold Sédar Senghor, avec un temps de diffusion assez restreint et axé sur des émissions éducatives, le Sénégal est passé, plus tard, à une télévision grand public en 1969 avec des programmes assez variés.
De nos jours, l’option du Sénégal a été d’ouvrir son ciel aux satellites qui arrosent le pays de programmes de télévisions étrangères et privées nationales.
Cependant, cette mutation n’a pas été favorisée par une bonne politique qui définit au préalable un cadre juridique, politique et économique futuriste qui cernerait les bonds technologiques du secteur de l’audiovisuel et l’appétit financier croissant que suscite cet outil « magique » de la communication : la télévision.
Dès lors, on est tenté de se poser la question de savoir ce qui motive à la création d’organes pendant qu’il en existe déjà. Les réponses se situent certainement dans le fait que le paysage médiatique connaît une perpétuelle mutation (qualitative et quantitative) et le régulateur, pour rester en conformité à sa mission essentielle, doit nécessairement s’adapter pour plus d’efficacité.
Que doit être l’autorité de régulation dans les contextes socio politique, économique et technologique évolutif sénégalais ? De plus en plus, l’autorité de régulation de l’audiovisuel fait face à la concurrence de structures parallèles qui se substituent à elle dans certaines missions spécifiques. L’ARTP, le CRED entre autres organes font obstruction à l’assise d’une autorité forte dans la réglementation du paysage audiovisuel sénégalais.
L’émiettement des pouvoirs du CNRA laisse un vide juridique dans lequel s’engouffrent des privés qui peuplent la sphère télévisuelle et radiophonique. Face à une telle situation, n’est-il pas opportun de repenser le concept de la régulation en l’adaptant au contexte sénégalais ?
Par ailleurs, il semble pertinent de rappeler le rôle préventionniste que doit jouer l’autorité de régulation. Car, autant il faut veiller (post ante) au respect des dispositions réglementaires, (concurrence loyale), autant la protection des « usagers, consommateurs ou clients » doit être une priorité. Alors ne doit-on pas tendre à la co-régulation qui est une autre forme de régulation et qui se prête mal à l’assujettissement aux seules règles étatiques classiques encore moins à mettre en place des normes juridiques autres que ces règles.
J’appelle à une méthode qui vise une adaptabilité des règles classiques de régulation à l’ère des groupes de presse. Elle se matérialise par une concertation entre les pouvoirs publics (Etat) et les différents intervenants (autorité de régulation et acteurs du secteur de l’audiovisuel), à travers la mise en place de forum des droits et obligations sur la presse en général.
La régulation de l’audiovisuel au Sénégal est caractérisée par une pluralité d’entités. Différents types d’entités sont chargés du contrôle de l’application de la réglementation audiovisuelle. La régulation de l’audiovisuel appelle généralement le pouvoir d’attribution des autorisations, le contrôle du respect des dispositions légales et réglementaires et l’application de sanctions en cas de manquement aux obligations. A ces fonctions traditionnelles, s’ ajoute la mission de gestion et de coordination du paysage audiovisuel.
Le CNRA, l’ARTP, le CRED et le Ministère de l’Information se partagent ces tâches sans donner l’impression d’une politique cohérente élaborée. C’est pourquoi, je souhaite verser dans la corbeille une proposition qui viserait à tendre vers une autre forme de régulation : la co-régulation.
Tout en sachant que Co-réguler ne veut pas dire réguler par une réglementation imposée et imposable à tous. Mais c’est plutôt la création d’un ensemble cohérent qui assure l’adhésion de tous les acteurs du secteur des médias, c’est-à-dire de tous les « stakeholders » (pour employer le jargon de la régulation).
Les professionnels de la communication acceptent mal l’autorité et la légitimité de ces formes de réglementation. Cependant, la cohorte des journalistes ne doit pas se considérer comme une catégorie privilégiée de citoyens à part. La bonne marche d’une République se fait avec un même peuple soumis aux mêmes exigences d’une même loi pour arriver au même but comme aurait dit le Président Senghor.
Le CRED, structure d’autorégulation mise en place par les journalistes eux-mêmes bute sur la résistance et l’indifférence des acteurs du secteur. Le CNRA, organe crée par le pouvoir public n’échappe pas à ce sort.
Dès lors, la création d’une Autorité Administrative Indépendante de Co-régulation de l’audiovisuel et de la presse peut être la solution au Sénégal, afin de faire face aux dérives de la presse en général et de pallier les défaillances du droit classique, à l’heure où la dépénalisation du délit de presse et la banalisation de carte de presse font l’actualité.
Bien entendu, une telle Autorité appelle nécessairement les trois critères qui en ont fait une nouvelle catégorie juridique en France et dans la communauté des juristes au-delà de ce pays :
Elle est d’abord une Autorité parce que dotée de compétences qui vont bien au-delà d’une mission d’expert ou de conseil. Elle réglemente le secteur et dit le droit en cas de besoin.
Elle est ensuite Administrative parce qu’elle est institutionnellement rattachée au pouvoir exécutif et, fait donc partie intégrante de l’Administration étatique du point de vue de son ancrage avec des membres recrutés ou mis à disposition, le temps d’un mandat. Ainsi, il n’y aura donc pas de cumul de fonction possible.
Elle est enfin Indépendante parce qu’elle n’est pas soumise à un contrôle hiérarchique ou de tutelle et, elle est surtout bien outillé pour agir à tous les niveaux (avant, pendant et après).
Bien élaboré, son statut doit lui permettre de jouer pleinement le rôle qui est attendu. Elle ne sera pas une instance qui observe, impuissante les mutations de paysage audiovisuel, mais un instrument de mise en œuvre de la politique audiovisuelle de l’Etat. L’AAI ainsi créée sera en amont (élaboration des cahiers des charges et textes réglementaires) et en aval (application des textes, contrôle et supervision). De fait, il s’agira de mettre en place, dans cet organe, un ensemble de normes avec une composition de l’ensemble des acteurs de la communication, publics et privés. Les normes doivent mettre l’accent sur une certaine déontologie (usage et comportement) dans le but de trouver un point de convergence entre les acteurs et l’institution. Elle veillera également au maintien de l’équilibre du marché de la communication.
Ailleurs, sous d’autres cieux et à titre de comparaison, Natalya Dovnar, s’est exprimée sur les raisons de l’absence de l’autorégulation dans les médias au Bélarus. D’après elle, « le plus grand acquis de l’humanité - la liberté d’expression - contient en lui-même les germes de sa destruction. Conscients de cela, les Etats démocratiques oeuvrent constamment à élaborer les mécanismes qui permettront une liberté d’expression effective du point de vue juridique et du point de vue éthique. Il s’agit principalement de veiller à ce que tous ceux qui sont concernés par la relation d’information aient un sens plus aigu de leurs responsabilités dans la société ».
Les normes sociales qui sous-tendent les activités de ces personnes appartiennent à un système défini dont les éléments se déploient selon des facteurs temporels et historiques donnés.
Le mécanisme de l’autorégulation dans les mass media devrait être perçu comme système d’information complexe. Il se caractérise par la diversité et la multifonctionnalité des organes qu’il renferme.
L’autorégulation est basée sur les principes du volontariat, de l’indépendance, de l’objectivité, de l’ouverture et de la responsabilité.
Parmi les formes qu’emprunte l’autorégulation, on peut relever les fonctions suivantes : interne, inter-entreprise, socio-privée, publique-privée. Les principales caractéristiques de ces formes sont déterminées par la composition subjective des organes d’autorégulation et leur processus de formation.
Ainsi, lorsque les organes d’autorégulation (conseils, commissions) sont mis sur pied par une ou plusieurs organisations de journalistes et ne comptent que des journalistes parmi leurs membres, ils relèvent de la catégorie interne ou inter-entreprise de l’autorégulation (type CRED). Les normes qui la sous-tendent sont inscrites dans un code de déontologie et dans des dispositions développées par les journalistes eux-mêmes tout en sachant qu’en général, les journalistes développent aussi les procédures selon lesquelles ces normes sont appliquées.
Mais lorsque, outre les journalistes, les membres viennent du public, il s’agit alors de la catégorie socio-privée (type du CNRA). Ce mécanisme de la régulation des relations sociales comprend des normes de fond et des normes de procédure face auxquelles les acteurs-sujets peuvent ne pas y adhérer.
La corporation des journalistes, compte tenu du niveau global des acteurs du secteur (insuffisance de la formation, d’encadrement adéquat et manque d’expérience des responsables de rubrique), bénéficierait des avantages d’une vision extérieure sur le travail à destination du public. Sans paraître réducteur ou censurés, les contenus des publications et programmes passeront au crible de la critique, dans le cadre de cet organe de veille et d’impulsion, afin d’atténuer les risques de dérive.
« Trop de liberté tue la liberté » et la presse fonctionnera dans le respect de normes qu’elle-même aura contribué à établir.
La mise en place d’une autorité administrative indépendante de co-régulation des médias passe par la fusion dans un même schéma du CRED (qui s’occupe des questions de déontologie et d’éthique, du contenu), du CNRA (de la gestion du cadre institutionnel et juridique avec pouvoir de sanction) et de certaines missions de l’ARTP (de la gestion de l’outil matériel, des fréquences, le contenant). Un organe du genre pourrait se substituer valablement à l’Etat et prendrait du coup le contrôle de questions qui, souvent mettent mal à l’aise le pouvoir comme pour la gestion du fonds d’aide à la presse, la réglementation de la publicité et la délivrance de la carte nationale de presse. Mieux, il prendra en charge la problématique de la convergence des médias. Car de nos jours, le développement de la technologie a atteint un niveau jamais égalé avec la mise à disposition d’un bouquet. Ce bouquet va s’accorder sur un ensemble de spécifications inspirées des normes IMS (IP Multimédia Subsystem) basées sur les profils. Tous les opérateurs mondiaux scrutent avec intérêt ce type d’architecture majeure pour les réseaux fixes et mobiles favorisant l’interopérabilité des communications. Et ce bouquet permet à l’usager de recevoir la télévision, l’Internet, le téléphone sur un seul et unique terminal.
C’est pourquoi il me semble pertinent d’étudier avec attention l’une des recommandations du rapport public du conseil supérieur de la communication du Burkina Faso qui a bien pris en compte cette nouvelle donne. Car elle suggère le regroupement des structures de coordination, d’orientation et de gestion des différentes composantes du secteur afin de faire face aux nouvelles exigences de la société de l’information mais surtout de réglementer d’assainir le secteur.
Viyé Dabo, journaliste
Auditeur du Master Droit de la Régulation (1ère Promotion 2007-2008), Faculté des sciences juridiques et politiques de l’UCAD
vdabo@yahoo.fr
(Source : Sud Quotidien, vendredi, 11 avril 2008)