Les griefs contre l’État : 1. Le leader des telecoms au Sénégal n’a jamais fait d’offre pour la 4G - 2. Conjectures sur le prix de la licence - 3. Le Sénégal ne peut compter plus de trois opérateurs - 4. Pilotage à vue du secteur
Sonatel est fâchée contre le gouvernement du Sénégal. Et ce sont ses cadres qui montent au créneau pour le dire en listant les griefs.
Une offre de 26 milliards ?
L’affaire de la licence d’exploitation de la 4G a fait sortir de leurs gonds les responsables du leader des telecoms au Sénégal. En conférence de presse, ce mardi au « Must », les membres de l’Amicale des cadres de la Sonatel (Acson) ont apporté quelques précisions sur le sujet tout en profitant de l’occasion pour dénoncer la gestion du secteur de leur secteur par le gouvernement du Sénégal. Au final, ils ont listé quatre griefs (4G) principaux dans une déclaration dont www.SenePlus.Com a obtenu copie.
Le premier reproche, sous forme de tacle appuyé, est adressé au ministre des Postes et des Télécommunications, Yaya Abdou Kane. Les cadres de la Sonatel affirment que, contrairement à la déclaration incriminée du patron de la tutelle, leur entreprise n’a jamais fait d’offre pour l’exploitation de la 4G. « En écoutant le Ministre à la radio et en le lisant dans la presse, Sonatel aurait fait une offre de 12, 15 et 26 milliards, rappellent les cadres de la société de telecoms. Non seulement c’est faux, mais le Ministre a inventé, Sonatel n’a jamais été consultée. »
En effet mercredi dernier, la presse s’est fait l’échos des propos de Yaya Abdou Kane informant que le chef de l’État, Macky Sall, avait jugé « insuffisante » l’offre de 26 milliards qu’auraient faite les sociétés de téléphonie opérant au Sénégal. Ce, précisera le ministre, en comparaison aux prix de la même licence en vigueur dans certains pays africains.
« À ce jour, Sonatel n’a pas encore été invitée à soumettre une proposition pour l’obtention d’une autorisation d’utilisation des fréquences 4G, martèle les cadres de l’entreprise. Elle n’a pas non plus transmis d’offre aux autorités, au demeurant il aurait fallu pour pouvoir transmettre une offre, que l’Etat communique un cahier des charges qui définit notamment les obligations de couverture géographique, de qualité de service, etc., ce qui n’est pas le cas. »
Comparaison n’est pas raison
Lancée il y a près d’un an, la phase pilote de la 4G a été arrêtée mardi dernier. Un arrêt intervenu « suite de la décision de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP), notifiée à Sonatel (la veille) le lundi 30 mars 2015. Et ceci, malgré les nombreux courriers de Sonatel sans réponse de la part de l’Etat, demandant les modalités d’octroi de la 4G. Notre souci majeur était d’éviter l’arrêt de la phase test. Un silence qui en dit long sur les intentions non avouées des autorités ».
Arrive le deuxième reproche. Non content d’avoir manqué, selon l’Ascon, de lancer un appel d’offres dans les règles de l’art, le gouvernement, par la voix du ministre en charge du secteur, laisse entendre que, pour obtenir la licence 4G, les opérateurs de telecoms locaux doivent s’aligner sur les prix en vigueur dans certains pays africains comme le Maroc ou la Côte d’Ivoire où la licence a été cédée à plus de 100 milliards de francs Cfa.
« Rappel du principe de la fixation des prix : Les prix des fréquences 4G peuvent connaitre des variations importantes entre pays en fonction de la population adressable et du niveau de richesse du pays, préviennent les cadres de Sonatel. Il existe 2 corrélations à retenir au moins : plus un pays est ’riche’, plus le prix d’attribution des fréquences a tendance à être plus élevé et plus la population est importante, plus le prix d’attribution des fréquences 4G a tendance à être important. C’est pourquoi les comparaisons internationales des prix d’attribution des fréquences doivent être fortement relativisées et nuancées. (…) Une Comparaison dans l’absolu, sans tenir compte de ces paramètres, n’a pas une grande signification ! »
Toutefois, l’Ascon ne voit pas d’un bon œil que les opérateurs de telecoms soient systématiquement obligés de mettre la main à la poche chaque fois le Sénégal doit effectuer un bond technologique par leur biais. « Nous rappelons que Sonatel dispose d’une licence globale et par conséquent elle ne peut, à chaque évolution technologique, acquérir des licences ou des autorisations, assènent les cadres de l’entreprise. Il y a une telle vitesse dans l’évolution de la technologique que le paiement de licence pour chaque évolution, nous semble insoutenable pour la pérennité des opérateurs. »
Pilotage à vue
Les cadres de Sonatel semble avoir la conviction qu’à travers le processus d’attribution de la licence 4G, l’État nourrirait des desseins peu avouables. C’est leur troisième grief contre le gouvernement. Ils disent : « Le fait de lancer l’appel d’offre international sur l’attribution des fréquences 4G serait probablement un artifice pour emmener un 4e opérateur au Sénégal. » L’Ascon est d’autant plus sceptique que, soulignent ses membres, le ministre des Postes et des Télécommunications a annoncé l’intérêt d’opérateurs comme Mtn, Coréa Telecom, notamment, pour opérer au Sénégal.
En tous cas, assurent les cadres de la Sonatel, l’arrivée au Sénégal d’un quatrième opérateur, en plus d’Orange, Tigo et Expresso, serait suicidaire pour le secteur des telecoms. Ils expliquent : « Les dernières études menées, y compris celle effectuée par Raul Katz Professeur à la Columbia Business School de New York (Economics and Finance) et actuel Président de Telecom Advisory Services, démontrent que le marché du Sénégal ne peut pas acquérir un 4e opérateur. L’expérience internationale indique que 3 opérateurs télécoms sur le marché est un nombre permettant d’assurer les bénéfices attendus par les consommateurs (avantages tarifaires et innovation technologique) tout en garantissant un niveau adéquat et durable d’investissement et de recettes fiscales pour l’Etat. »
Ces constats des cadres de la Sonatel, listés lors de leur conférence de presse, sont la preuve que le pilotage à vue- quatrième reproche- est la règle en ce moment dans le secteur si stratégique des télécommunications. Entre autres décisions hasardeuses, à leur goût, ils citent « une recrudescence de décisions réglementaires défavorables au secteur des télécommunications » comme la suppression des ‘services vocaux interactifs’, l’apparition de nouvelles taxes applicables comme la taxe de prélèvement spécial sur les télécoms dénommée PST, l’introduction d’acteurs actifs (Contan, Adie...)…
Sans doute soucieux de maintenir le fil du dialogue avec l’État du Sénégal, qui est actionnaire de Sonatel à hauteur de 17,28%, les cadres de l’entreprise détenue majoritairement par France Telecom (52,2%) ont lancé « un appel à l’organisation d’une réflexion regroupant toutes les parties prenantes pour la définition d’une stratégie de développement de l’économie digitale et d’une politique sectorielle claire ».
Un appel qui sera probablement entendu, mais qui risque d’être précédé par une riposte du gouvernement suite à cette attaque en règle, ciblée et sévère, des cadres de la Sonatel.
Ibrahima Fall
(Source : Seneplus, 7 avril 2015)