L’usage de Facebook par les prêtres africains : entre intérêt et méfiance
samedi 11 août 2018
En Afrique, de nombreux prêtres utilisent Facebook comme outil d’évangélisation ou moyen personnel de communication. Mais certains se tiennent à distance de ce média social populaire. La Croix Africa a mené l’enquête pour comprendre les motivations des uns et des autres…
En janvier 2014, lors de son tout premier message sur les communications sociales, le pape François a appelé les catholiques à être des « citoyens du numérique » constructifs, en utilisant Internet, un « don de Dieu », pour manifester leur solidarité. Cet appel du pape François a largement été entendu en Afrique où de nombreux prêtres se sont approprié Facebook.
Le père Laurent Kambou, sociologue de formation, a vite compris que Facebook lui serait utile. Ce prêtre du diocèse de Bondoukou en Côte d’Ivoire, envoyé en mission d’étude dans le diocèse de Metz en France, a fondé « Presbyterorum Ordinis.net », un groupe regroupant 1 120 prêtres et religieux de plusieurs pays inscrits sur Facebook dont le but est de « renforcer la fraternité sacerdotale ». « Quand je me suis inscrit sur Facebook en 2011, j’ai tout de suite senti qu’on pouvait faire de merveilleuses choses avec ce média qui mobilise tant de personnes en Afrique », raconte le père Kambou. Six ans après sa création, « Presbyterorum Ordinis.net » est un des médias officiels de l’Union fraternelle du clergé ivoirien (Ufraci).
Facebook comme prolongement du sacerdoce
Le père Janvier Yaméogo, prêtre du diocèse de Koudougou, au Burkina Faso et membre du Conseil pontifical des communications sociales, a fait le choix d’utiliser Facebook comme moyen d’expression personnelle mais aussi à des fins d’évangélisation. « Facebook est un lieu d’engagement personnel comme dans la vie ordinaire quotidienne avec ses contraintes techniques et de fait, un lieu pastoral pour le prêtre que j’apprends à être dans la relation avec Dieu et avec tous ceux que je rencontre », souligne-t-il.
Dans certains cas, Facebook devient le prolongement de la vie des prêtres. Ils l’utilisent aussi bien pour enseigner la doctrine de l’Église que pour faire de l’accompagnement spirituel.
Le père Roger Gomis, vicaire à la paroisse Sainte Jeanne d’Arc de Fatick, dans le centre du Sénégal et ancien chargé de communication du diocèse de Dakar souligne l’importance de cet outil de communication dans sa mission pastorale. « Je publie des posts d’enseignement sur la religion catholique. Il m’arrive également de faire de’l’écoute’ sur Facebook, relate-t-il. Des personnes m’exposent leurs problèmes personnels, je leur donne des conseils, les porte dans mes prières, et quelques fois, les oriente vers les prêtres de leur paroisse. »
Tout comme le père Gomis, le père Jean-Paul Sagadou est plein d’enthousiasme quand il parle de Facebook. Le prêtre assomptionniste est le prometteur d’une initiative panafricaine de voyages interculturels et interreligieux qui regroupent, chaque année, de jeunes africains. Habitué à travailler avec les jeunes, Facebook est, à ses yeux, « un espace de partage avec les jeunes. »
Un couteau à double tranchant
Mais l’usage de Facebook a aussi ses inconvénients. Le père Roger Gomis avoue avoir essuyé de violentes critiques de la part de « guerriers du clavier » pour avoir recadré certaines positions erronées sur l’Église. « Mais cela fait partie du jeu et j’accepte quand cela est fait dans le respect et la courtoisie », ajoute-il.
« Des mésaventures, j’en ai connu et j’en connais tous les jours avec Facebook, reconnaît également le père Janvier Yaméogo. Une fois mon compte a été piraté mais en deux heures j’ai pu récupérer mon identité. »
Si la plupart des prêtres présents sur ce réseau social se contentent de déjouer les pièges des arnaqueurs tout en tentant de protéger leur vie personnelle, d’autres ont fait un choix plus radical : celui de se désinscrire de Facebook. C’est le cas du père Damien Gbetie, prêtre béninois étudiant à l’Université catholique d’Afrique de l’Ouest à Abidjan. « Au début j’utilisais Facebook pour m’informer et pour communiquer, explique-t-il. Je l’ai assez vite désinstallé car je n’appréciais pas certaines images et informations peu respectueuses de l’éthique qui y étaient diffusées. » Un autre grief formulé à l’encontre de Facebook par ces prêtres africains concerne la confidentialité et le choix du public ayant accès aux informations personnelles. « L’identité n’est pas respectée. Tout le monde peut vous repérer et entrer en contact avec vous », estime le père Damien. Le père Anicet Nteba, prêtre jésuite congolais renchérit : « Sur Facebook, les gens se croient dispensés de respect dans leurs commentaires. C’est l’une des raisons qui font que je n’y suis pas inscrit même s’il peut être un très bon moyen d’évangélisation. »
Le père Kambou, conscient des difficultés de certains prêtres à utiliser Facebook, les aide à maîtriser cet outil. « Facebook peut être dangereux quand on n’en a pas une bonne maîtrise, explique-t-il. Je m’efforce de partager des astuces avec mes confrères pour un meilleur usage. »
Lucie Sarr
(Source : La Croix Africa, 10 août 2018)