Quand les limites entre réalité, préjugés et peurs s’entremêlent, cela crée des histoires fausses qui sont difficiles à démanteler. La bonne communication adaptée à différentes audiences pourrait faire la différence entre la vie et la mort.
A l’âge des réseaux sociaux, l’information se répand plus rapidement que n’importe quel virus et il ne semble y avoir aucun vaccin contre la désinformation. Pendant que les gouvernements se battent pour contenir la pandémie, les messages d’intérêt public et la communication doivent se concentrer sur comment faire accepter aux citoyen.ne.s que la maladie est réelle, partager les connaissances nécessaires pour prévenir et traiter l’infection, déconstruire mythes et histoires fausses qui ont un impact négatif sur l’efficacité de la réponse. Cela pourrait sauver de nombreuses vies.
Si la limite est ténue entre amour et haine, elle l’est encore plus entre les « fake news » et la réalité, surtout sur les réseaux sociaux. De même pas que la pandémie du COVID-19, l’infodémie contre laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) nous avait prévenu-e-s se répand en Afrique de l’Ouest. « Le Coronavirus n’existe pas ». « Les bananes permettent de guérir du Coronavirus ». « Le Coronavirus est un complot ». « Le Coronavirus a été envoyé par Dieu pour punir l’humanité ». Pourquoi la désinformation prospère-t-elle ?
Un terrain fertile pour les fake news
Même si l’effet négatif du confinement sur les comportements ne peut être nié, il y a d’autres raisons pour lesquelles fake news et désinformation se multiplient : manque de confiance, asymétrie de l’information, une culture d’instrumentalisation de l’information, expériences de vie, convictions culturelles, mythes et cohésion sociale fragile. Cette combinaison crée un terrain fertile pour des histoires fausses qui prennent en compte la réalité de la vie des gens et suppléent au manque d’informations nécessaires pour gérer les anxiétés et réalités du Covid-19. Au moment où les gouvernements se battent pour contenir la pandémie, il y a au moins trois domaines sur lesquels les messages d’intérêt public et la communication doivent se concentrer.
Contaminé.e par un virus venu de Chine ? Scepticisme !
Encore aujourd’hui, beaucoup doutent encore de l’existence du Coronavirus et peinent à croire qu’ils/elles peuvent être affecté.e.s par un virus qui est apparu pour la première fois en Chine, un pays si lointain et où ils/elles n’ont jamais posé le pied. C’est là que le G5, Bill Gates et autres théories du complot de base se multiplient et mêmes d’éminentes personnalités ont contribué à entretenir de tels discours en déclarant publiquement que « le Coronavirus est une pure invention ». Les fake news sur des complots contre les Africain.e.s et musulman.e.s épousent trop la réalité des essais de vaccins hasardeux dans le Nord du Nigeria par exemple et trouvent un écho favorable lorsque deux scientifiques européens proposent que les essais de vaccins utilisent les Africains comme cobayes. En fait, cela nourrit des peurs qui ne sont pas toujours infondées.
Le Sénégal et le Kénya ont reconnu le danger que représentent les fake news face à la gestion de la pandémie et, dans le but d’en dissuader la propagation, prévoient de punir par une amende toute personne qui répandra de fausses informations. D’ailleurs, des convocations à la police d’auteur.e.s de fake news ont déjà eu lieu au Sénégal.
Confinement, tensions et théories du complot…
Quand les limites entre réalité, préjugés et peurs s’entremêlent, cela crée des histoires fausses qui sont difficiles à démanteler. Internet est riche en théories du complot, populaires chez des gens plus ou moins éduqué.e.s, sur des tentatives de contrôle de la démographie en Afrique par l’Ouest. Il devient aisé d’utiliser les déclarations du président Macron sur la croissance de la population africaine pour nourrir les théories sur les vaccins comme étant des moyens de contrôle de la croissance de la population.
Parfois, des tensions sous-jacentes remontent à la surface, renforcées par la désinformation. Au Sénégal, des divisions sont apparues entre les Sénégalais.e.s habitant le pays et les émigré.e.s sénégalais.e.s au début de la pandémie, les émigré.e.s et leurs familles stigmatisé.e.s et accusé.e.s d’avoir ramené le virus avec eux/elles en Afrique. Soudain, ceux/celles qui étaient auparavant loué.e.s pour leurs transferts d’argent depuis l’étranger devinrent des menaces pour le pays, dénué.e.s de patriotisme. Au Nigéria, une vidéo sur l’enterrement du directeur de cabinet du président Buhari était soupçonnée d’avoir été modifiée pour impliquer et créer des tensions entre le Nord d’où le président et son secrétaire général viennent et le reste du pays.
Ce n’est qu’une question de temps avant que les tensions du confinement, exacerbées par la faim, ne poussent à faire porter la faute aux « autres ». Un fait que des pans de l’histoire nous encouragent à soupçonner. De nouveaux boucs émissaires vont être identifiés, surtout parmi les survivant.e.s au Coronavirus qui sont nombreux.se.s, étant donné le taux mondial de guérison qui est à 80%. Une communauté en Côte d’Ivoire a ainsi exprimé ses frustrations en démantelant un centre de tests de peur que sa présence ne ramène des malades dans leurs quartiers, en oubliant que le centre leur serait aussi bénéfique.
Les annonces gouvernementales d’intérêt public doivent commencer à aborder les questions de stigmatisation et de préjugés de manière proactive pour gérer l’impuissance à laquelle des millions d’individus sont confronté.e.s face aux incertitudes nourries par le Covid-19.
Soif de savoir sur la prévention et le traitement
Les gens veulent savoir comment prévenir l’infection et comment la traiter. Le vide créé par le manque d’information est rempli par des charlatans et des personnes innocentes essayant d’être utiles. Cette information est cruciale, surtout dans des pays plurilingues où beaucoup ne peuvent pas lire dans la langue officielle de communication du gouvernement c’est-à-dire le portugais, le français et l’anglais. La communication doit se faire de manière créative, dans plusieurs langues, et à travers les plateformes les plus populaires chez différents publics.
Durant la crise Ebola, des messages SMS et Whatsapp au Nigeria ont créé une vague de consommation de boisson avant l’aube et de bains à l’eau salée pour prévenir l’infection. Aujourd’hui, les conseils de prévention contre le Coronavirus sur Whatsapp par des marabouts et expert.e.s incluent la consommation d’eau chaude toutes les deux heures, la consommation de boissons chaudes faites de feuilles de neem et l’application de beurre de karité sur le nez. Une partie de ces communications semble officielle et parfois le seul signe qu’elles ne le sont pas est la dose généreuse de fautes que beaucoup ne repèrent pas. Cela n’a pas aidé que le président de la Guinée Alpha Condé proclame dans une vidéo que boire de l’eau chaude et appliquer du menthol sur le nez participe à éloigner le virus ou que le président Trump, populaire chez certain.e.s en Afrique de l’Ouest, promeuve la chloroquine en tant que traitement.
Responsabilité des gouvernements
Il est estimé que l’utilisation des réseaux sociaux a augmenté de 40% durant la pandémie et que WhatsApp est depuis des années en tête des applications de communication les plus populaires en Afrique. Plus de gens en ligne et sur ces plateformes, signifie que plus de personnes sont exposées aux fake news et à la désinformation.
Un des inconvénients d’une pandémie à l’âge des réseaux sociaux est que l’information se répand plus rapidement que n’importe quel virus et il ne semble y avoir aucun vaccin contre la désinformation. Il est de la responsabilité des gouvernements de ne pas en rajouter à ce flot d’informations de manière irréfléchie et anonyme. Une solution serait de pourvoir des personnes d’influence en connexion internet et en informations crédibles, qu’elles puissent parler à leurs communautés à travers la radio, la télévision, des vidéos et des lives Instagram pour que des visages qui inspirent confiance partagent constamment des choses vraies et utiles. Une autre solution serait de continuer à collaborer avec les médias pour financer du fact-checking.
Alors que la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest comme la Cote d’Ivoire, le Ghana le Nigéria et le Sénégal ont commencé à alléger les règles liées au confinement, les gouvernements, les médias et la société civile doivent intensifier la communication – et celle sociale – dont le but est de partager des informations factuelles sur la prévention et le traitement du Coronavirus ; la construction et le maintien d’une relation de confiance ; et l’éradication de préjugés existants ou naissants. La bonne communication adaptée à différentes audiences pourrait faire la différence entre la vie et la mort.
Hawa Ba & Ayisha Osori [1]
(Source : SenePlus, 20 mai 2020)
[1] Hawa Ba & Ayisha Osoritravaillent à OSIWA (Open Society Initiative for Africa)