L’identification des abonnés à la téléphonie mobile au Sénégal : entre sûreté publique et liberté
mardi 11 février 2014
Suite à la décision de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) du Sénégal en date du 20 juin 2013 portant exigence aux opérateurs de télécommunications sénégalais d’identifier leurs abonnés à la téléphonie mobile, une vaste campagne d’identification des abonnés au service de téléphonie mobile des trois opérateurs, à savoir, Orange, Tigo (Milicom) et Expresso s’est déroulée sur l’ensemble du territoire national et s’est terminée le 18 août 2013 après une prorogation du délai initial. D’une part, cette identification obligatoire pour les abonnés relève d’une certaine exigence de sûreté, d’autre part, l’identification des abonnés à la téléphonie mobile peut réveiller une inquiétude chez l’utilisateur vu la confidentialité et la sensibilité de ses données recueillies. Ainsi, est-il important de soulever ces quelques questions d’un point de vue juridique relatives à l’identification obligatoire des abonnés à la téléphonie mobile.
L’identification des abonnés, une exigence de sûreté
Une personne identifiable ou identifiée directement à partir de son numéro de téléphone mobile permet de savoir qui est qui, dans la mesure où l’identification est faite avec le renseignement du numéro de téléphone de l’abonné, de ses prénom et nom, de son adresse et de son numéro de carte d’identité nationale ou de son passeport en cours de validité. Lorsque des infractions sont commises (usurpation de numéro de téléphone et de nom ; exemple Cheikh Tidiane Gadio qui porte plainte contre la SONATEL http://www.osiris.sn/Ses-2-numeros-usurpes-7-fois.html ) avec l’utilisation de services de télécommunications, plus précisément d’un téléphone mobile avec un abonnement, le ministère public collabore avec les opérateurs de téléphonie mobile pour l’identification des auteurs et complices des infractions. Ainsi, le ministère public peut demander aux opérateurs de lui fournir les relevés téléphoniques, à savoir les derniers numéros appelés, les durées des appels, etc. du numéro suspect. Ces informations permettent de pouvoir remonter vers d’éventuels complices. En sus, cela facilitera la localisation des personnes suspectées si celles-ci ne se trouvent pas à leur domicile.
Par conséquent, force est de constater que l’identification des abonnés mobile au Sénégal contribue favorablement à la recherche d’informations dans le cadre d’une enquête judiciaire et dans la poursuite d’infractions pénales.
L’identification des abonnés et la protection des données personnelles
Aux premiers jours de l’année 2014, les abonnés de l’opérateur Expresso ont reçu des messages de vœux du Président de la République du Sénégal. Est-ce-que ces abonnés d’Expresso ont consenti à recevoir ce message du Président Sall ? Expresso n’a-t-il pas violé le droit à l’information préalable de l’abonné consacré par la loi 2008-12 portant protection des données à caractère personnel au Sénégal ? Autant de questions qui méritent des réponses. Les opérateurs de téléphonie mobile sont tenus d’informer leurs clients de l’utilisation faite de leurs données personnelles qu’ils ont collectées lors de la campagne d’identification. Si les opérateurs envisagent de communiquer les données à des tiers qui les traiteront à des fins de prospection, de démarchage marketing ou commerciales, les abonnés ont le droit d’en être informé et de pouvoir s’y opposer, car c’est un droit qui leur est conféré par la loi sur la protection des données personnelles. En outre, les opérateurs de télécommunications doivent déclarer auprès de la Commission des Données Personnelles tous leurs fichiers et bases de données contenant les données personnelles qu’ils ont collectées lors de la campagne d’identification.
En définitive il faudrait trouver un juste équilibre entre l’exigence d’identifier tous les détenteurs de numéros mobiles pour prévenir et poursuivre des infractions commises par le biais des téléphones portables et l’obligation de protéger les données personnelles des abonnés mobile des différents opérateurs de téléphonie au Sénégal.
Mohamed Diop
(Source : Droit sénégalais des technologies et des télécoms, 11 février 2014)