L’examen périodique universel peut-il obliger les gouvernements à rendre des comptes en matière de droits numériques ?
jeudi 29 août 2019
Depuis la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) en 1948, les citoyens et les gouvernements ont pris l’habitude de débattre des droits humains et du bilan de leur pays dans ce domaine tandis que le concept de droits humains en ligne demeure relativement nouveau.
Le Conseil des droits de l’homme (CDH) n’a passé sa première résolution sur les droits humains en ligne qu’en 2012. Cependant, dans les années qui ont suivi, l’ONU a adopté des douzaines de résolutions renforçant la promotion, la protection et la jouissance des droits humains en ligne.
L’examen périodique universel (EPU), conduit par les États sous l’égide du Conseil des droits de l’homme, fait le point sur l’action de l’ensemble des 193 États membres des Nations unies dans le domaine des droits humains. L’EPU donne à chaque État l’opportunité de déclarer les mesures prises afin d’améliorer la situation des droits humains dans leur pays. Le premier cycle de l’EPU a duré de 2008 à 2011, le second cycle de 2012 à 2016 et le troisième de 2017 à 2021.
L’EPU peut être une bonne façon d’affirmer l’universalité des droits humains en ligne et d’obliger les gouvernements à rendre des comptes sur la manière dont ils traitent de la question des droits humains en ligne de leurs citoyens.
De nombreux exemples montrent comment faire progresser les droits en ligne en lien avec l’EPU. Au Bangladesh, l’organisation « Center for Social Activism » et d’autres organisations ont soulevé un certain nombre de problématiques et de violations des droits humains dans leur soumission conjointe à l’examen périodique universel de leur pays en 2018 en soulignant les assassinats récents de militants actifs sur la toile, le manque de liberté de la presse et la censure d’État. Le rapport a mis en avant plusieurs recommandations qui, pour un grand nombre d’entre elles, ont ensuite été acceptées par le gouvernement.
2018 fut une année clef concernant la reconnaissance des droits fondamentaux en ligne
Au cours de l’EPU du Cameroun en 2018, le gouvernement a pris en compte plusieurs recommandations reprenant une soumission commune par Access Now, ADISI-Cameroun, APC et Internet Sans Frontières, portant sur les droits de rassemblement pacifique, d’association et d’expression en ligne, et les restrictions illégales à la fourniture d’accès à internet et de services mobiles.
De plus, le Chili illustre de manière éclatante les progrès réalisés via l’EPU. 2018 fut une année clef concernant la reconnaissance des droits fondamentaux en ligne, leur importance et la nécessité d’avoir des instruments permettant de les promouvoir et de les protéger. En vue de la 32ème session de l’EPU des Nations unies, l’organisation non gouvernementale chilienne Derechos Digitales, avec le soutien d’autres organisations, a œuvré afin que la protection des diverses façons dont les citoyens exercent leurs droits en ligne figure parmi les recommandations reçues par l’État chilien.
Cet effort a porté ses fruits et de nombreux États ont fait des recommandations sur les droits en ligne, particulièrement sur les droits des femmes, la protection de la vie privée et la nécessité d’améliorer les normes dans l’utilisation des technologies de surveillance. Ce succès a donné aux Chiliens des outils garantissant une meilleure prise en compte des questions relatives aux droits fondamentaux dans le cyberespace.
L’examen périodique universel est important en raison de sa portée, du niveau de participation et de son impact potentiel sur l’ensemble des droits humains.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’EPU peut montrer que les droits en ligne font partie intégrante des droits humains et souligner que les droits de tous devraient être protégés et défendus en ligne. L’EPU peut également mettre en évidence les disparités entre les paroles et les actes d’un gouvernement en matière de droits en ligne.
Il est également utile de souligner que les violations des droits humains en ligne affectent les autres droits humains. De ce point de vue, l’EPU peut entraîner des campagnes en faveur des droits humains et des recours juridiques. L’EPU peut également aider à attirer l’attention, au niveau national et international, sur les problématiques relevant des droits humains rencontrées par les journalistes ainsi que par les organisations de défense des droits humains et les organisations de la société civile.
Cependant, un des plus grands défis rencontrés par les organisations de la société civile qui participent à l’EPU est de faire en sorte que leurs recommandations soient entendues parmi un grand nombre de pétitions, toutes aussi importantes et légitimes, émanant d’autres organisations. Cela signifie que, pour intervenir dans une procédure conduite par les États (et donc de nature politique), les OSC doivent compter sur leurs propres ressources pour bâtir des coalitions, développer des rapports basés sur des faits tangibles, assurer le suivi des recommandations, organiser des consultations au niveau national et, si possible, voyager jusqu’à Genève. A moins qu’une OSC ne soit financée de manière adéquate, nombre de ces activités ne sont pas faisables, en particulier pour les organisations les plus petites qui peuvent au final se retrouver dans l’impossibilité de participer à l’EPU en l’absence d’un soutien adapté.
Autre défi : même si les États se voient demander d’exprimer leur point de vue sur chaque recommandation reçue, le résultat de l’EPU n’est pas contraignant, ce qui signifie que l’efficacité de l’EPU, pour ce qui est d’amener à des changements au niveau national, dépend de la volonté de l’État examiné de réellement améliorer la situation en matière de droits humains.
Néanmoins, l’examen périodique universel est important en raison de sa portée, du niveau de participation et de son impact potentiel sur l’ensemble des droits humains. La responsabilisation des États est renforcée, tous les pays participent, l’éventail d’obligations relatives aux droits humains concernées est large et l’accessibilité de la procédure est forte. L’EPU peut être une bonne façon d’affirmer l’universalité des droits humains en ligne et d’obliger les gouvernements à rendre des comptes sur la manière dont ils traitent de la question des droits humains en ligne de leurs citoyens.
En s’appuyant sur l’expérience d’APC dans le domaine de l’EPU, en partenariat avec Advocacy Assembly, nous venons de lancer une formation en ligne gratuite adaptée aux militants et aux défenseurs des droits humains qui prévoient de participer à l’EPU. Cette formation donne une vue d’ensemble sur le fonctionnement de l’examen périodique universel et permet de guider les organisations de la société civile dans leurs efforts en faveur des droits humains et des droits numériques.
Flavia Fascendini [1]
Éditeur Open Global Rights
(Source : Association pour le Progrès des Communications, 29 août 2019)
[1] Flavia réside à Pergamino, une ville de la province de Buenos Aires en Argentine. Elle est experte en communication sociale et occupe le poste de directrice de la communication d’APC (Association pour le progrès des communications). Suivez-la sur Twitter : @APC_News