Philippe Mingotaud, le directeur de MTP-Editions, l’éditeur de la suite logicielle ServoCall et SerVisual Professionnels, explique dans cette analyse que TIC Mag publie les tendances pour les nouveaux métiers qui s’imposeront dans le domaine de l’informatique en Afrique.
« On me demande souvent, lors de mes présentations, de terminer par un mot sur les métiers du futur, sans doute dans un souci de rassurer les auditeurs présents qui cherchent leur voie professionnelle dans des secteurs d’activité en pleine mutation.
Mais, le fait de travailler sur les nouvelles technologies depuis toutes ces années ne me permet pas de prédire l’avenir. J’ai seulement le sentiment, dont je ne peux me défaire, de voir autour de moi plus d’emplois disparaître ou évoluer que se créer.
Annoncer péremptoirement que tel ou tel métier existera demain pour telle et telle raison, et conseiller aux jeunes qui m’écoutent de s’y préparer ne me parait pas très sérieux. Je pense pouvoir être plus utile en leur parlant de ceux que je vois changer dans l’informatique d’aujourd’hui.
Partons de ce qui se passe actuellement dans les pays fortement informatisés, notamment en Europe et regardons s’il existe des similarités ou des signes montrant que le continent africain emprunte les mêmes chemins.
Plusieurs éléments vont jouer sur le nombre et la nature des postes à pouvoir prochainement dans le secteur de l’informatique en Afrique. Je passe volontairement sur :
- l’économie mondialisée qui formate les savoir-faire, les méthodes de travail et les comportements ;
- la démographie exponentielle que connait l’Afrique et ses inévitables répercussions sur l’emploi ;
- les limites du modèle productiviste sur lequel repose les sociétés avancées et avec lequel on sait qu’il faudra composer.
Rien que ces trois points font peser tellement d’incertitude et de complexité sur l’avenir des métiers, qu’il n’est pas réaliste d’espérer les traiter correctement dans le cadre de cette contribution.
Contentons-nous de regarder plus en détails deux autres variables qui vont elles aussi avoir une incidence importante sur le type et le nombre des postes qui vont être créés dans le secteur de l’informatique en Afrique.
1) Concernant les types de postes
Nous constatons que plus les sociétés s’informatisent, plus le rendement des outils informatiques est élevé. Les logiciels et les progiciels dont se servent les informaticiens évoluent. La programmation se fait avec des langages de 4ème, voire de 5ème génération, à la fois plus optimisés, plus performants et plus faciles à utiliser.
Le nombre de leurs fonctions augmente, mais leurs interfaces et leur mise en œuvre se simplifient. Les plus employées dans la réalisation des softs comme les installations, les sauvegardes, les impressions sont désormais regroupées dans des modules graphiques qui se manipulent en grande partie à la souris.
Aujourd’hui, plus de la moitié des personnes recrutées dans les métiers de l’informatique ont moins de 5 ans d’expérience. La moyenne d’âge se situe autour des 30 ans..Philippe Mingotaud
La généralisation de ces outils participe à la banalisation des développements et la prolifération des softs sans valeur ajoutée ne fait que conforter cette idée.
La simplification des tâches et la polyvalence des postes permettent aux employeurs d’embaucher des personnels moins qualifiés et de contenir les prétentions salariales.
Aujourd’hui, plus de la moitié des personnes recrutées dans les métiers de l’informatique ont moins de 5 ans d’expérience. La moyenne d’âge se situe autour des 30 ans.
C’est probablement une des plus jeunes que l’on connaisse dans le monde du travail et c’est une tendance qui n’est pas prête de s’inverser, compte-tenu d’un nombre croissant de postes désormais occupés par des stagiaires alors qu’ils revenaient il n’y a pas si longtemps encore à des salariés.
Formations de qualité, outils simplifiés et stages en entreprises aboutissent à une meilleure adéquation entre le niveau des personnes formées et le besoin des entreprises. Mais n’était-ce pas le but recherché ?
Les jeunes étant perçus par les recruteurs comme moins exigeants en terme de rémunérations, moins enclins à se syndiquer, plus disponibles, plus mobiles (ce qui est particulièrement apprécié des sociétés de service), plus adaptables, plus motivés et plus dynamiques, pourquoi ne pas leur donner la priorité à l’embauche si de surcroît ils savent faire d’emblée ce qui leur est demandé ? Aussi, pour préserver la cohésion des équipes en place, on sera tenté de remplacer chaque départ de l’un de ses membres par un jeune diplômé.
Je ne cesse de dire à ceux qui font appel à mes services qu’ils doivent se soucier de garder la main sur leur système d’information. Ceux qui veulent sous-traiter leurs développements doivent s’entourer d’experts techniques indépendants capables de défendre leurs intérêts auprès des prestataires retenus.
Mais qui dit rajeunissement des effectifs dit aussi rajeunissement des cadres. Au début des années 2000, un développeur passait « Chef de projet » après 10 à 15 ans d’expérience. Aujourd’hui, on ne lui en demande que 4 ou 5, voire moins dans certains cas.
Des projets qui pouvaient mobiliser plus de 10 professionnels dans les années 80 n’en demandent désormais plus que 2 ou 3 et moins expérimentés.
Manque de méthode et d’expérience, cahiers des charges moins aboutis et suivis moins soutenus conduisent à une réelle déperdition technique et à des développements moins pérennes. Cette sous-évaluation de l’importance à donner à la longévité des softs n’est que la continuité d’une acceptation implicite de l’obsolescence rapide des matériels et des nouvelles technologies qui peut finir par revenir cher à leurs propriétaires.
Je ne cesse de dire à ceux qui font appel à mes services qu’ils doivent se soucier de garder la main sur leur système d’information. Ceux qui veulent sous-traiter leurs développements doivent s’entourer d’experts techniques indépendants capables de défendre leurs intérêts auprès des prestataires retenus.
2) Concernant le nombre des postes
La façon dont les dirigeants comprennent les problématiques informatiques, leur capacité à planifier, à fixer des objectifs à long terme et à aider ceux qui vont chercher à les atteindre auront des répercussions déterminantes sur le nombre des postes qui seront créés.
J’encourage systématiquement les décideurs que j’ai la chance de rencontrer, à dépasser les effets d’annonce, à ne pas se satisfaire des discours stéréotypés sur les avantages incontestés de l’informatique dans le développement d’un pays ou d’une société. L’informatique est le symbole du changement, de la modernité, du progrès économique et social. Les Etats ne peuvent pas se contenter d’entretenir une concurrence de façade avec d’autres pays juste pour déclarer qu’ils s’en sortent mieux que leurs voisins. Ils devraient à l’inverse coopérer en se posant de vraies questions :
- Quels services veut-on rendre ? Qu’est-on prêt à investir pour y parvenir ?
- Comment s’y prend-on ? Qui charge-t-on de s’en occuper ? Il en va de leur souveraineté.
- L’Afrique sera-t-elle un producteur de contenus, de matériels et de services ou simplement un immense marché de plusieurs milliards de consommateurs de produits numériques fabriqués sur d’autres continents ?
Considérer que plus un logiciel a de fonctions et plus il est performant est une hérésie. C’est tout le contraire. Une fonction inutile ne fait que perturber la bonne utilisation du soft avec lequel on a choisi de travailler. Un chef d’entreprise a tout intérêt à avoir ses propres équipes et à les fidéliser, à maintenir ses propres logiciels pour qu’ils collent au mieux à son activité.
Pour réussir le virage de l’informatisation des sociétés africaines, les décideurs doivent partir des besoins concrets des populations et non d’une réalité fantasmée dont la représentation la plus répandue est la start-up. Penser qu’il suffit de mettre en place un contexte favorable à l’ »éclosion » de start-up en leur laissant le soin de trouver les services qu’elles vont rendre est pour le moins illusoire. La start-up qui démarre dans une cuisine ou un garage avec des idées de génie qui déclenchent des levées de fonds miraculeuses n’est qu’un mythe persistant qui n’a pas fini de décevoir.
Ce sont aux pouvoirs publics de comprendre les attentes, d’initier, d’entraîner et d’accompagner le mouvement, comme avec l’informatisation des services administratifs, en donnant aux personnes la possibilité de les utiliser à distance pour simplifier leurs démarches, éviter les déplacements et les pertes de temps.
Quant à l’entreprise, elle doit savoir définir précisément ses besoins sans céder aux Sirènes de la high tech. Considérer que plus un logiciel a de fonctions et plus il est performant est une hérésie. C’est tout le contraire. Une fonction inutile ne fait que perturber la bonne utilisation du soft avec lequel on a choisi de travailler. Un chef d’entreprise a tout intérêt à avoir ses propres équipes et à les fidéliser, à maintenir ses propres logiciels pour qu’ils collent au mieux à son activité.
S’il est clair qu’il y a une forte demande de la part des Africains pour mieux utiliser Internet, cela n’en fait pas pour autant des informaticiens. Croire que donner un accès fiable au Web est une fin en soi relève de la gageure dont les conséquences pourraient à elles seules faire l’objet d’un autre article. Sans organisation, sans contenu à diffuser, sans ingénieurs aguerris, on ne peut pas bâtir en Afrique ni ailleurs une véritable industrie de l’informatique.
Conclusion
De nombreux postes d’informaticien devraient probablement être créés dans un avenir proche en Afrique car l’informatisation à grande échelle du continent est désormais à l’ordre du jour. Mais, les réalités de cette informatisation généralisée vont forcément varier selon les pays. Tous les pays en Afrique n’avancent pas au même rythme. Les écarts entre certains d’entre eux sont déjà très importants.
L’Afrique a de sérieux atouts pour réussir, à commencer par sa jeunesse, mais à condition qu’elle soit suffisamment formée et encadrée. C’est par là qu’il faut probablement commencer, au risque d’hypothéquer ses chances de réussite.
Oui, l’informatisation des sociétés africaines va donner du travail aux jeunes africains, même si elle ne manquera pas d’en supprimer dans d’autres domaines avec l’essor de la robotique industrielle et de l’intelligence artificielle.
Oui, elle contribue au développement économique des pays et à augmenter le pouvoir d’achat de leurs habitants.
Faut-il s’orienter ou encourager les jeunes à se diriger vers les métiers de l’informatique, s’ils en ont envie ? La réponse est encore « Oui » mais en gardant à l’esprit :
- Que sauf à être à son compte, la carrière d’un informaticien tend à raccourcir.
- Au début des années 2000, un informaticien commençait à rencontrer des difficultés pour se recaser vers l’âge de 50 ans. De récentes études tendent à montrer que ces difficultés apparaissent désormais dès 40 ans.
- Qu’il y a aujourd’hui deux types d’informaticien : les généralistes et les spécialistes. Pour durer, il est donc conseillé d’acquérir une double compétence, en informatique appliquée à un autre secteur, de pointe de préférence, comme les télécoms. La robotique, la sécurité et le cryptage des données, le big data, les réseaux sont aussi des qualifications recherchées, car former des spécialistes dans ces domaines coûte et prend du temps.
- Qu’il faut rester en veille technologique, ne pas se reposer sur ses acquis et chercher constamment à évaluer les nouveautés en fonction des réalités du terrain.
- Que la rareté d’un profil doit davantage inquiéter que conforter, car elle annonce la disparition prochaine de la demande concernant les compétences recherchées ainsi que celle des technologies correspondantes.
Délaissez, dès que vous constatez les premières difficultés à vous faire embaucher, les sociétés de service qui sont certes formatrices mais où le turn-over est important. Préférez leur des sociétés où l’informatique n’est pas l’activité principale, mais seulement le moyen d’en exercer une autre et ce, dans des secteurs d’avenir comme les transports, la santé, la grande distribution, la banque et l’assurance, l’énergie, etc.
Cette contribution ne prétend pas avoir la rigueur d’une étude scientifique. Il s’agit seulement d’une réflexion basée sur l’expérience que TIC Mag m’offre de partager avec ses lecteurs. J’espère qu’elle saura les intéresser et qu’elle aidera celles et ceux qui s’interrogent à choisir leur voie en toute connaissance de cause. »
Philippe Mingotaud [1]
(Source : TIC Mag, 17 octobre 2016)
[1] Philippe Mingotaud est spécialiste sur les questions de l’informatique et des nouvelles technologies. Il est par ailleurs l’éditeur de la suite logicielle ServoCall et SerVisual que vous pouvez acquérir ou consulter à travers les adresses Skype : servocall – Twitter : @ServoCall – eMail : info@servocall.com