L’audiovisuel sénégalais, entre transgressions et défaut de ressources programmatiques
mercredi 21 janvier 2009
Dès sa naissance la télévision a servi d’instrument de propagande politique et d’appareil à dresser idéologiquement le peuple. Aujourd’hui, l’environnement socioculturel devenu différent, une autre forme d’utilisation s’avère indispensable, avec une priorité à l’éducation et à l’institution d’un cadre favorisant la production locale. C’est le principe de l’exception culturelle mis en avant par les nations soucieuses de préserver leurs spécificités et les missions d’intérêt général et de service public. L’exception culturelle est brandie toutes les fois que l’identité nationale (patrimoines culturel, économique, industriel, scientifique, etc.) est menacée de l’extérieur, au nom de la mondialisation des cultures.
Malgré le changement de mission, la télévision de service public passe toujours pour l’outil de propagande politique des régimes en place, principalement en Afrique noire. Le phénomène a subsisté à toutes les luttes syndicales ; alors que le média devrait véhiculer la voix et l’image de la nation. Dans les pays à faible culture démocratique, la télévision nationale reste encore au service exclusif de l’Etat ; une conception demeurée celle d’une race politique élitiste en quête constante d’autorité et de légitimité. La raison dominante étant de mouler l’opinion nationale sur l’idéologie gouvernante. Dans ce contexte particulier où « statut public » ne rime certainement pas avec « statut pluraliste », le mode fonctionnel est à mettre sur le compte de visées politiques personnelles, d’autant que l’instrument fait ici office de miroir du régime. Le fonctionnement du journal télévisé de la RTS reflète précisément ces caractéristiques. En lieu et place d’une logique éditoriale autonome, une logique dictatoriale marquée par la censure gouvernementale et le traitement de faveur de l’actualité de sa majesté et du reste de la cour.
Cette démarche à la Peyrefitte, ancien ministre de l’information, sous De Gaule, est indigne d’une nation de démocratie. Il faut faire une entorse à cette pratique surannée et donc, s’en déconditionner. Le fonctionnement démocratique de l’appareil audiovisuel de service public exige d’un Etat qu’il établisse des règles de conformité. Le déconditionnement en est une. Il consiste à assurer le non asservissement des appareils d’information publics ; ce qui suppose une intégration du principe fondamental de toute société libérale, à savoir l’expression libre de toutes les composantes de la société. L’institution d’un service public pluriel de l’information paraît indispensable pour assurer une posture de démocratie à toute nation revendiquant son attachement aux libertés démocratiques. Cela suppose également, une considération des moyens d’information publics comme des outils de la formation critique des citoyens. D’où la nécessité d’instaurer le pluralisme ; la seule alternative à la pensée unique et à la logique dictatoriale. Il s’agit donc de libérer la télévision des pressions politiques, des usages propagandistes (politiques comme religieux) ; et d’asseoir les bases d’un modèle télévisuel construit sur le développement d’une industrie culturelle locale, intégrant toutes les spécificités nationales, à la lumière des exigences de notre civilisation. Une télévision nationale à vocation de service public se vide de son essence, si elle est détournée de ce cadre. Car elle ne favorise plus le dialogue entre les citoyens, mais plutôt fonctionne selon des exigences autocratiques. Le mode de fonctionnement de la télévision publique sénégalaise est à percevoir sous l’angle de telles exigences : une télévision utilisée pour assouvir les visées propagandistes d’un homme, d’un régime, d’un clan au détriment du plaisir d’exercer de ces braves hommes et femmes de la profession tenus, malgré eux, à la flagornerie et à la malhonnêteté intellectuelle. Allez comprendre, de ce qui précède, pourquoi tous les soirs, au journal de vingt heures, nous sommes entretenus pendant dix minutes minimum de l’actualité de la cour ! Rien de l’opposition ou de toute sensibilité cataloguée discordante. Des pratiques pourtant fustigées en son temps par l’opposant Abdoulaye Wade sous le régime socialiste.
La gestion de notre télévision nationale est obstruée par cette boulimie médiatique qui frappe le régime, en particulier son chef qui en fait un miroir personnel. Il a obligation psychologique de s’y voir tous les jours, mais particulièrement à la grand-messe du 20 H, moment solennel qui focalise le regard et l’attention des électeurs potentiels. Tant qu’à faire, se servir de la télévision nationale comme une propriété personnelle, avec comme objectif majeur, la culture (positive) de son ego. Tout cela est inadmissible et rend impérative la réglementation du secteur et son déconditionnement des humeurs et des méthodes clientélistes des autorités étatiques, dans l’attribution des fréquences.
L’ancien Directeur général de la RTS, Mactar Sylla, disait que « c’est le non respect du cadre juridique et des règles élémentaires régissant l’attribution des chaînes » qui pose problème. Malheureusement cet état de fait hérité des socialistes constitue le piédestal du système. Mr Sylla a parfaitement raison de préciser, de même, que « les fréquences audiovisuelles sont des ressources nationales au même titre que toutes autres ressources dont la concession doit répondre à un certain nombre de principes et règles ». Sauf que quand on tripatouille la constitution à volonté, on n’en a que faire de principes et règles.
Entendons-nous quand même bien ! En proposant plus de transparence et de fluidité dans l’attribution des fréquences, il ne s’agit pas de faire le lit du libertinage audiovisuel, mais plutôt d’impliquer les compétences du secteur. L’exigence de qualité des projets de programmation sera une garantie potentielle contre les dérapages. Voilà les contours d’un paysage audiovisuel digne de l’appellation. Et la remarque vaut tout autant pour la presse écrite et la radio. Ceci aura d’efficient de contenir les déviations observées pour absence de professionnalisme. D’ailleurs si Abdoulaye Wade s’arroge le droit d’attribution des fréquences c’est, en partie, de peur de voir l’ivraie de la profession entamer son image, tel que déjà dénoncé par le personnage lui-même, s’agissant de la presse écrite et des radios privées.
Le maître - pas celui du barreau - de l’espace télévisuel, pour l’avoir prématurément compris, avait simplement soutenu que l’audiovisuel était un outil dangereux qui ne devait pas tomber entre les mains de n’importe qui. Le pluralisme démocratique que Abdoulaye Wade a toujours défendu dans l’opposition, en l’exprimant dans la nécessité d’un pluralisme informationnel, fait aujourd’hui les frais d’un contrôle que justifie une crainte de dérapages et de dérives préjudiciables à son ego.
Mais ceci n’explique pas forcément cela ! L’observation stricte des règles de fonctionnement du paysage audiovisuel, au même titre que le respect des instituions, participe à l’établissement de la stabilité sociale. C’est, naturellement, jouer la comédie que d’emboucher le clairon des libertés démocratiques, et en même temps refuser l’espace audiovisuel de service public à l’opposition, pourtant représentative de millions de Sénégalais, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est en cela qu’il faudrait envisager un paysage audiovisuel qui comprenne plus que le seul service public et donc, qui compte en son sein davantage de programmes privés locaux alternatifs, offrant aux téléspectateurs de multiples choix.
On se plait toujours dans notre pays à imputer les déviations culturelles à des causes exogènes, notamment à des modèles comportementaux parachutés par le satellite et le câble. Si l’on refuse l’extension du paysage à des indépendants locaux qui fournissent des programmes de concurrence, le téléspectateur se tournera toujours vers les télévisions transnationales et les webtélévisions, dont seule une logique commerciale justifie le tout-image en tout genre. L’essor de ces télévisons transfrontalières (à travers les bouquets) ne devrait pas cacher la privation de liberté de choix dont souffrent les citoyens obligés, quand ils en ont les moyens, de subir des programmes d’ailleurs à défaut de productions locales qui assurent leur plein rôle de lien social.
Et le contexte bluffant de mondialisation ne devrait pas tromper la vigilance des autorités de tutelle, au point de livrer le paysage audiovisuel aux invasions néo-impérialistes, par médias interposés. Au-delà de la notion de télévision publique, c’est la notion de réalité locale qui risque de faire les frais d’une négligence des promoteurs locaux, du reste, les potentiels pionniers d’une production locale à la fois consommable et échangeable. Bien entendu il faudra, à cet effet, axer la programmation sur l’éducation, l’information et le divertissement sous ses aspects culturels, plutôt que de faire dans l’obscurantisme. Le reproche susceptible d’être fait à cette façon de repenser notre paysage audiovisuel restera, certes, la défense de l’exception culturelle, largement débattue à l’occasion d’une des négociations du G.A.T.T. (devenu O.M.C.) Mais point besoin de s’en offusquer. Le reproche est insignifiant face à l’impérieux devoir de défense contre la domination, l’aliénation culturelle. Et il s’agit moins d’une fermeture qu’une préservation contre l’aggravation de la dérive. Le danger à ce niveau relève, à coup sûr, de la menace de disparition qui plane sur notre identité culturelle. A preuve, de plus en plus de boîtes et plages du pays nominalement associées à de célèbres endroits du show-biz et de la jet-set occidentaux. Evidemment la cause est à chercher dans ces modèles culturels véhiculés par les séries télévisées qui absorbent la jeunesse de notre pays. Cela est devenu chose sérieuse au Sénégal. Sinon d’où vient qu’à Dakar une plage ait été associée au somptueux cadre de Beverly Hills ? Il y a de quoi jouer la carte de la prévoyance, notamment par l’utilisation saine du cadre juridique de notre paysage audiovisuel, en plus de favoriser l’apparition d’un système mixte « public / privé » basé sur l’engagement des acteurs à se conformer à un certain nombre de missions d’intérêt général. La formation du lien social, l’éducation et l’information plurielle resteront les dénominateurs communs.
Le rôle informationnel de l’image dans nos sociétés contemporaines n’est plus à démontrer. Il faut utiliser la télévision autrement que ce que nous voyons au Sénégal : cultiver et donc armer le citoyen plutôt que de le divertir ou de l’abrutir, à dessein.
Daniel Diouf, Consultant en communication des organisations (Grenoble, France)
danieldiouf@hotmail.com
(Source : Seneweb, 21 janvier 2009)