L’anarchie s’empare du secteur de la livraison express
vendredi 17 juillet 2020
TiakTiak ou livraison express, la livraison en scooter prend de l’ampleur et attire de plus en plus de monde. Une ruée qui ne manque pas de conséquences. Si certains se sont formalisés, la plupart y ont fait irruption sans se soucier des dispositions réglementaires d’un secteur pourtant régi par des textes.
Les usagers de la route ont sans doute remarqué la floraison de scooters en circulation. Si les deux roues ont toujours fait partie du décor, force est de reconnaître que depuis un certain temps, elles sont devenues monnaie courante. Du matin au soir, elles relient les coins et recoins les plus reculés de la capitale. De plus en plus, les scooters offrent un service de livraison très pratique. « Avec les bouchons qu’il y a dans la capitale, il est beaucoup plus pratique de confier la livraison aux scooters », explique Babacar Samb, gérant d’un grand atelier de couture à Hann Maristes.
Entre 1 500 et 3 000 francs par course, le business rapporte gros. Une rentabilité qui a fini par attirer bon nombre de jeunes. Thierno Ndiaye vendais du café Touba, non loin du marché Dalifort. Mais depuis qu’il a eu écho des retombées de ce business, il s’y est mis. « Je me suis procuré une moto Jakarta à 250 000 francs. Mais je ne le regrette pas », dit-il.
Des recettes qui varient entre 10 000 et 25 000 francs par jour Aujourd’hui, il cumule les deux activités. En effet, pour la clientèle, Thierno s’est contenté d’envoyer un message à tout son répertoire. « Le matin, je vends mon café, mais à chaque fois que je reçois un appel pour une livraison, j’appelle un de mes frères qui me supplée. Je gagne beaucoup plus qu’avec la vente du café. En moyenne, je peux faire cinq courses par jour, c’est au moins 10 000 francs. Alors que pour faire le plein d’essence, je ne dépasse pas 2500 francs », se réjouit-il. Khadim Diakhaté lui, est étudiant. Il a profité de l’arrêt des cours pour se lancer dans le business. Lui non plus ne le regrette pas. « Au début, je le faisais pour arrondir les fins du mois, mais la rentabilité est telle que j’en ai fait un projet à part entière. En moins de trois mois, j’ai pu acheter un autre scooter que j’ai confié à un voisin. C’est un business assez intéressant », reconnaît-il.
Avec l’autre scooter qui verse 6 000 francs par jour, Khadim peut avoir un bénéfice de 20 000 francs quotidiennement. Si certains ont la chance de se procurer un scooter, d’autres n’en ont pas les moyens. Un créneau que certains comme Mouhamed Dione n’hésitent pas à explorer. Ayant compris que des jeunes de son quartier étaient intéressés par le business, celui qui est surnommé Momo en a fait un business.
Ainsi, il a acheté des scooters qu’il a mis à la disposition de ces jeunes, pendant que lui se charge de la supervision. J’achète des motos et je les mets à leur disposition. « Ils ont 30% sur chaque livraison. Le plus souvent, c’est moi qui leur donne les clients et je gère l’entretien des scooters. Chacun y trouve son compte », dit-il. Aujourd’hui, le business est tel que beaucoup continuent de l’investir, parallèlement à leurs activités formelles.
Comptable dans une entreprise de la place, Abdoulaye Diagne est presque chef d’une entreprise de livraison expresse. D’après lui, tout est parti d’une proposition d’un jeune frère qui l’a convaincu d’acheter un scooter. Mais, dit-il, la rentabilité était telle qu’il a doublé son investissement. « J’emploie actuellement trois jeunes de mon quartier. Chacun verse chaque jour 6 000 francs et à la fin du mois, ils ont chacun 25 000 francs en plus de ce qu’ils gagnent quotidiennement », dit-il.
DANGER PERMANENT
S’il est vrai que la livraison expresse offre beaucoup d’avantages, il n’en demeure pas moins que des risques réels existent dans le secteur. Selon un des acteurs qui a requis l’anonymat, la plupart des scooters qui circulent ne sont pas en règle. « C’est dans le marché informel qu’on les achète le plus souvent. Les prix varient entre 250 et 300 000 francs pour les scooters qui n’ont aucun papier. Maintenant, celui qui achète peut payer jusqu’à 50 000 francs pour se faire confectionner un faux Cmc (certificat de mise en circulation). C’est très fréquent. C’est tellement bien fait que les policiers ne les différencient pas facilement des originaux », souffle-t-il. Le risque est le même pour les clients. Babacar Samb, tailleur de profession, n’oubliera pas de sitôt cette amère expérience. « D’habitude je ne travaillais qu’avec un livreur que je connais très bien. Un jour, il est tombé malade, je me suis rabattu sur un autre qui avait déposé sa carte de visite chez moi. Il devait livrer un grand-boubou à un client qui devait voyager. Mais plus d’une heure après son départ, le client m’appelle pour me demander si j’avais trouvé un livreur. Je ne l’ai plus retrouvé. J’ai été obligé de porter plainte, et surtout de rembourser le client pour une valeur de plus de 130 000 francs CFA. Quand je suis allé à la Police, ils m’ont dit que des cas comme ça étaient récurrents », regrette-t-il.
CONTROLE DEFAILLANT
Aussi incroyable que cela puisse paraître, les livreurs ne sont pas très inquiétés sur la circulation. La plupart d’entre eux disent n’être interpellés que quand ils ne portent pas de casque. Et même ça, ce n’est pas tout le temps. Mais que transportent-ils ? Les réponses sont assez surprenantes. « Le plus souvent, ce sont des habits, des tissus ou des trucs de ce genre », répond ce jeune livreur. « Souvent, on me donne de petits cartons bien encastrés à livrer. Mais j’avoue que je ne me suis jamais posé la question du contenu », reconnaît Mouhamed Fall. Selon lui, le souci, c’est qu’il faut une relation de confiance pour fidéliser le client. « S’il se rend compte que j’ai essayé d’ouvrir les colis, il peut me poser des problèmes et ne plus me faire confiance », dit-il.
FATOU MORGANA, CAR RAPIDE PRESTIGE
« Il y a plus un problème d’encadrement que d’organisation » Un des pionniers du secteur de la livraison, l’entreprise Car Rapide Prestige, a vu le marché envahi par des concurrents venus de tous bords. Selon Fatou Morgana, chargée de clientèle et commerciale, cela montre que les populations mesurent l’avantage d’utiliser des coursiers plutôt que de se déplacer. « Le développement du commerce électronique, les boutiques ne sont plus seulement physiques mais aussi virtuels. Le développement des technologies de l’information et des moyens de paiement électroniques sont aussi des facteurs d’accélération du développement des services de livraison », explique-t-elle. Quid de la concurrence du secteur informel ? Selon Mme Morgana, le secteur est déjà organisé parce que l’Etat a pris toutes les mesures d’ordre législatif et réglementaire, dans le cadre du code des postes qui indique clairement les dispositifs liés à la fourniture du service de distribution ; et l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes est(Artp) est chargée d’administrer le secteur. Pour elle, la question est beaucoup plus un problème d’encadrement que d’organisation. « Parmi les livreurs informels, il y a les jeunes qui le font à titre personnel, sans autorisation, etles structures organisées distribuent en toute illégalité sans disposer de licence d’opérateur postal privé. Pour les jeunes, il faut de la tolérance jusqu’à une certaine limite. L‘écosystème économique n’est pas le même que dans les pays développés. Au Sénégal, le taux d’embauche est faible, les jeunes chômeurs n’ont pas d’indemnités de chômage et ils doivent se débrouiller pour nourrir leurs familles. A l’opposé, je dénonce les structures organisées qui font de la distribution en toute illégalité. Elles doivent être poursuivies et sanctionnées. La sanction doit être plus lourde pour les entreprises qui leur confient du courrier en violation du code postal en toute connaissance de cause », argue-t-elle.
L’ARTP BRANDIT EDES AMENDES DE 10 A 30 MILLIONS
« Quiconque exerce l’activité postale sans avoir préalablement obtenu une licence est puni d’une amende de dix (10) à trente (30) millions de francs et d’un emprisonnement de deux (2) mois à trois (3) ans, ou l’une de ces deux peines seulement ». C’est ce que dit l’article 43 du Code des Postes. Dans un communiqué, l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes avertit qu’elle procédera à des opérations de contrôle. Dans le même document, elle informe le public, les entreprises notamment, les sociétés de facturation, que conformément aux articles 27 et 28 de la loi n° 2006-01 du 4 janvier 2006 portant Code des Postes, l’exercice de l’activité postale est soumis à l’obtention préalable d’une licence d’exploitation du courrier délivrée par arrêté du Ministre chargé des postes, après avis de l’institution de régulation.
Malick Tine
(Source : Sene Plus, 17 juillet 2020)