L’Internet en Afrique
vendredi 4 juillet 2003
1 - Le problème des statistiques sur les usagers des nouvelles technologies en Afrique reste encore une préoccupation à laquelle se trouvent confrontés bon nombre de chercheurs ou de décideurs. En effet, on ne trouve aujourd’hui aucun indicateur fiable sur le parc informatique, le nombre d’internautes, le potentiel des techniciens disponibles dans les domaines liés aux NTIC ou les sites fonctionnels....
2 - Nous pouvons néanmoins relever que l’introduction des NTIC en Afrique a suscité beaucoup d’enthousiasme et d’espoir pour les entreprises privées et les administrations publiques qui convoitent un réel développement économique par le biais de ces nouvelles technologies, notamment l’INTERNET.
3 - Dans le rapport mondial sur le développement humain publié en 1999 par le programme des nations Unies pour le Développement, les auteurs dudit rapport ont constaté le développement inégal de l’Internet dans le monde en défaveur des pays en voie de développement et particulièrement de l’Afrique.
4 - Ainsi selon le rapport du PNUD, l’Afrique qui représente 9,7 % de la population mondiale n’abrite que 0,1 % des internautes alors que les Etats-Unis qui ne composent que 4,7 % de la population mondiale concentre 26,3 % des internautes.
5 - Cet important fossé entre « infos riches » et « infos pauvres » risque de s’élargir dans les années à venir avec pour conséquence la marginalisation croissante de nos pays avec le développement fulgurant du commerce électronique qui est le moteur de cette « société de l’information » qui remplace peu à peu la société industrielle.
6 - Le faible développement de l’Internet dans les pays d’Afrique est dû avant tout au faible niveau de développement des infrastructures de télécommunication qui y est constaté dans bon nombre d’entre eux.
7 - En effet, pour l’utilisateur de base qui dit connexion à Internet suppose obligatoirement l’accès à une ligne téléphonique, or la télédensité en Afrique est très faible et reste dans l’ordre de 1,6 lignes téléphoniques pour 100 habitants alors qu’elle est de 67 % aux USA. Il est courant d’entendre dire qu’il y a plus de téléphones dans la seule ville de Washington que dans l’ensemble des pays africains réunis.
8 - Au Sénégal, le nombre de lignes téléphoniques ne dépasse pas les 200 000 pour une population de 8 millions d’habitants, environ, soit une télédensité inférieure à deux (2) téléphones pour 100 habitants.
9 - Au delà de la faible télédensité, il y a le fait que les infrastructures sont pour la plupart vétustes et offrent des débits limités qui ralentissent ou ne permettent pas une connexion à l’Internet.
10 - Dans les rares pays qui ont fait l’effort d’investissement nécessaire à l’instar du Sénégal qui a une infrastructure de télécommunication de qualité avec un réseau numérisé à 100 %, l’insuffisance du débit reste encore un problème à résoudre, la connexion à l’Internet se faisant dans des conditions toujours difficiles pour l’utilisateur de base.
11 - S’y ajoute une autre difficulté, savoir, la concentration des lignes téléphoniques dans les zones urbaines faisant de facto des zones rurales, des exclus des autoroutes de l’information et de la communication qui ne peuvent prétendre à une connexion à l’Internet.
12 - L’autre facteur qui freine le développement d’Internet en Afrique est sans aucun doute, le prix élevé des communications téléphoniques. Si nous prenons le cas du Sénégal, la « péréquation » établie par la SONATEL (Société Nationale des Télécommunications) sur les télécommunications locales, il y a quelques mois a eu pour résultat d’augmenter de 30 % les coûts de connexion à l’Internet, en faisant passer de 50 FCFA les 3 minutes (1000 F CFA = 10 FF/ heure) à 50 F CFA les 2 minutes (1500 F CFA = 15 FF / heure) alors que dans un pays comme les USA, les communications locales et par conséquent la connexion à l’Internet sont gratuites ou presque.
13 - De plus, il faut savoir que le prix des liaisons spécialisées fournies par la SONATEL dans un cadre monopolistique aux fournisseurs de services Internet comme Télécom Plus, Métissacana et autres sont exorbitants par rapport aux prix pratiqués dans les pays développés. Ainsi , en France, une liaison spécialisée de 64 kbps coûte l’équivalent de 480 000 F CFA (4800 FF) par mois alors que cette même liaison est facturée par la SONATEL à 996 000 F CFA (9960 FF). La conséquence de ceci est que les prix des abonnements Internet facturés aux internautes se remettent de ces tarifs particulièrement élevés.
14 - Il faut toujours prendre en considération le prix élevé des équipements informatiques (ordinateurs, imprimantes, scanners, modems et l’indispensable onduleur pour se prémunir de la mauvaise qualité du courant électrique fournie par nos sociétés productrices).
Au Sénégal, malgré la baisse des taxes douanières opérée sur certains composants l’année dernière (1998), le prix d’une bonne configuration de base reste hors de portée de nombreux utilisateurs. Celui-ci tourne autour de 1,5 millions de F CFA (15 000 FF) dans un pays où le SMIG est de 35000 F CFA (350 FF) par mois ; en France le coût d’un ordinateur étant équivalent au SMIG (500 000 F CFA = 5 000 FF).
15 - L’informatique est quasi absente de nos programmes éducatifs, du préscolaire à l’enseignement supérieur, à cela vient s’ajouter le fait que les ordinateurs sont particulièrement rares dans les établissements d’enseignement privé ou public. La conséquence de cette situation est qu’au delà des 51,4% d’analphabètes que compte notre pays, il faut adjoindre un pourcentage plus élevé de « néoanalphabètes » entendus ici au sens de personnes incapables d’utiliser l’ordinateur.
16 - Il y a cependant quelques initiatives de la Banque Mondiale comme le projet world qui consiste à connecter des ordinateurs à l’Internet dans les écoles, environ une quarantaine au Sénégal ou encore ,le programme pilote ’Université virtuelle Africaine’ abrité par l’Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR (CAD) qui a démarré en octobre 1999. Il sera suivi dans les mois à venir par un programme similaire à l’initiative de l’agence de la francophonie dit ’ projet d’Université Francophone’ qui a sélectionné la même université(CAD), parmi ses sites pour la conduite du programme.
La perspective de mise en œuvre d’outils permettant à des analphabètes d’utiliser des services d’Internet et du multimédia est envisagée par la recherche, en vue de l’exploitation et du développement judicieux des possibilités offertes par les écrans tactiles et les procèdes de vocalisation,en considération des spécificités des sociétés Africaines qui sont issues de civilisation orales pour l’essentiel. Une organisation comme ENDA-TIERS MONDE, connue pour son engagement fort, autour du concept de’’ développement à la base’’ a entrepris dans certains quartiers de la banlieue de DAKAR,la réalisation du projet ’CYBERPOP’ qui est basé sur l’idée d’une appropriation collective des infrastructures de base et des services internet,la communauté se devant par conséquent de couvrir les coûts de connexion, de fonctionnement et de maintenance des outils informatiques et du téléphone.
17 - Du côté des administrations publiques, il est constaté un réel enthousiasme lié à l’utilisation des nouvelles technologies même si l’interface avec le citoyen n’est toujours pas établi par ce biais par la fourniture de produits ou services, la mise en ligne de formulaires administratifs ou des textes législatifs ou réglementaires, l’utilisation du courrier électronique dans les rapports administration - citoyen.
Néanmoins la volonté politique est certaine par l’évocation dans les discours officiels des recommandations de l’initiative africaine pour la société de l’information adoptée par les Ministres de la Communauté Economique pour l’Afrique (CEA) en 1995 et sa formulation précise dans les instruments de politique publique (9eme plan de développement du SENEGAL 1998-2001)
18 - Ainsi, au Sénégal les parlementaires ont tenu courant août 1999 un séminaire sur ces nouvelles technologies. Il est attendu une activité législative importante dans les prochains mois autour des nouvelles technologies dans l’objectif de créer un cadre juridique favorable au développement des téléservices et du commerce électronique.
19 - Il faut noter que le Sénégal a déjà déployé à travers la SONATEL une infrastructure de communication adéquate par la mise en place d’un réseau IP national haut débit pour supporter la demande de la clientèle (entreprises et résidentiels) et offrir des services s’appuyant sur les technologies de l’Internet, comme le télé-enseignement, la telemedecine, la visioconférence ou le commerce électronique. Il faut relever que la SONATEL s’est très tôt investie sur le réseau Internet et s’est positionnée dés 1995 pour être fournisseur de services Internet .La SONATEL continue la modernisation de son réseau avec le programme ATLANTIS2 dont la mise en service est prévue avant fin 1999.ATLANTIS 2 constitue le premier système câble sous-marin a fibre optiques reliant l’Amérique du sud, l’Afrique de l’ouest et l’Europe.
Ce programme permettra la connexion de l’Afrique de l’ouest au réseau mondial des câbles sous marins à fibres optiques et entraînera le développement de nombreux services à valeur ajoutée dont l’Internet ,la transmission de données et la vidéo. L’objectif poursuivi à travers ce programme reste la sécurisation de l’acheminement du trafic international par la diversification des systèmes de transmission. En juin1999 à PRETORIA la SONATEL a signe un accord de construction et de fourniture d’un système de câble sous marin à fibres optiques dans le cadre du nouveau programme SAT3-WASCet SAFE .Ce câble d’un grand intérêt pour l’Afrique ,reliera DAKAR(SENEGAL) au CAP(Afrique du Sud) via les pays de la cote Ouest-Africaine et sera prolonge vers l’Asie et l’extrême Orient.
Ce nouveau programme devrait permettre le désenclavement de l’AFRIQUE et l’accès aux autoroutes de l’information.
20-Le continent Africain sera complètement propulsé sur l’autoroute mondiale de l’information par la mise en orbite de son premier satellite prévu en l’an 2001,par la société ALCATEL(ALCATEL- SPACECOM) ainsi qu’il en a été décidé le 10/12/1998 ,en conseil d’administration de l’organisation régionale Africaine de communication par satellite (RASCOM), lors de sa 18e réunion tenue Abidjan (Côte-d’Ivoire).
Le satellite permettra l’interconnexion directe de tous les pays Africains entre eux ,réduisant considérablement les charges annuelles de transit élevées (environ 300millions de dollars US) jusqu’à présent payées par les organismes nationaux africains de télécommunication à des opérateurs Européens ou Américains dont les facilites sont utilisées pour communiquer a l’intérieur du continent .Ce programme qui prévoit en outre 500000 terminaux à utiliser dans les zones rurales et régions isolées d’Afrique, alimentés par l’énergie solaire ,devrait satisfaire à des coûts supportables ,les besoins vitaux de communication de l’immense majorité des populations Africaines en matière de communication.
21- L’Afrique reste marginalisée de manière générale dans la croissance d’Internet (0,7% , moins de 1%) et le Sénégal compte tenu de la vision et de la stratégie de renforcement de son économie a mis en place des structures de réflexion sur les grappes dont une sur les téléservices, en particulier. En s’alliant avec le leader de l’inter connexion , CISKO, en Septembre 1998 la SONATEL est le 2e opérateur en Afrique après UUNET ( Afrique du Sud), à être admis dans le programme CISKO Powered Network (CPN).Elle fait partie des Top 50 ISP Worldwide grâce à son nouveau réseau, à la richesse des services supportés et à la compétence de son personnel. En matière de commerce électronique Trade Point-SENEGAL reste dans ce dernier pays l’institution de référence qui a entrepris de décentraliser ses réseaux à l’échelon départemental en réalisant la connexion et la constitution de bases de données interactives à la disposition des producteurs de base.
Le secteur souffre néanmoins d’une certaine insécurité liée à l’absence de législation sur les points particuliers de la reconnaissance de la force probante des documents électroniques, ; de l’opposabilité de la signature électronique et de la sécurisation des paiements en ligne par les techniques de la cryptographie.
22 - Le marché d’Internet au Sénégal est estimé à 8000. Le marché des serveurs Internet au Sénégal souffre d’une mauvaise évaluation. La mise en place d’ISOC - Sénégal ainsi que d’associations telles que l’observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénégal (OSIRIS) devra aider dans le sens d’une meilleure maîtrise des nouvelles technologies.L’internet- society qui est une association mondiale dont l’objectif est d’accompagner la croissance d’Internet et de suivre ses évolutions techniques et sociales assure une formation aux nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le cadre de ses ateliers INET dans le but d’apporter une aide aussi bien aux pays non encore connectes qu’a ceux qui sont déjà présents dans le réseau.
Auparavant les ateliers étaient tenus aux USA(Université de STANFORD, Université de HAWAI),au CANADA (Université Mc GILL) ou en MALAISIE. Avec le développement des infrastructures en AFRIQUE ,de plus en plus d’ateliers INET y sont tenus .Ainsi des formations INET ont déjà eu lieu en TUNISIE (TUNIS)et au MALI(BAMAKO).Le SENEGAL (DAKAR) a abrite du 8 au 13 novembre un atelier de formation INET ;des thèmes très pratiques ont constitué les deux modules de formation de 50heures chacun sur ’’l’administration d’un réseau de campus ou d’entreprise’’ et ’’services d’information et outils de navigation’’.
23—Sur les cinquante trois(53) Etats que compte l’AFRIQUE ,cinquante et un(51) ont à cette date assuré leur connexion à l’Internet. Deux(2) Etats ne l’ont pas encore fait ,savoir le CONGO et de l’ERYTHREE, pour des raisons sans doute liées à leur passé politique récent .
L’ETHIOPIE a réalisé en dernier lieu sa connexion mais le coût d’accès à l’Internet pour l’utilisateur de base y reste encore exorbitant rapporté au niveau de vie soit 4,5ff /mn -450FCFA/mn ;ce qui ne devrait pas rendre le web très populaire dans ce pays !
24- Il faut alors considérer de manière générale, qu’il y a un démarrage effectif de l’Internet en Afrique qui pourrait connaître des difficultés dont l’ampleur variera d’un pays à l’autre selon le degré de préparation au passage à l’an 2000.
La situation des pays Africains sur cette question s’est nettement améliorée ces derniers mois et plusieurs dont le Sénégal, la Cote d’Ivoire ,le Maroc et la Tunisie se sont résolus à prendre le « taureau par les cornes ». L’heure est aujourd’hui à la formulation des plans de continuité alternatifs ,dans les secteurs strategiques,apres l’exécution des mesures correctives apportées aux systèmes informatiques
25- Il faut reconnaître les efforts consentis par les bailleurs de fonds et particulièrement la Banque Mondiale dans le cadre de son programme ’INFO-DEV’ pour sensibiliser les décideurs des pays en voie de développement. En effet sur la base des résultats d’une enquête concernant le bogue de l’an 2000 publiée en Février 1999 par ladite Banque, les pays en voie de développement étaient mal préparés.
A partir d’un échantillon de 139 pays en développement, l’enquête a révélé que 54 d’entre eux avaient commencé à mettre en place une politique nationale pour faire face au problème, 21 seulement prenaient des mesures correctives pour protéger leurs systèmes et 33 se déclaraient conscients mais restaient désespérément inactifs.
26- Il est attendu une forte croissance de l’Internet en Afrique après le bogue, du moins dans les pays où le redémarrage est presque assure ; c’est à dire ceux qui ont déployé des efforts pour réussir un passage en douceur à l’an 2000.
L’insécurité juridique liée à l’utilisation des nouvelles technologies en Afrique reste une préoccupation majeure pour les usagers.En effet, nos infrastructures juridiques actuelles ne répondent pas du tout ou répondent mal aux problèmes posés par l’utilisation de ces nouvelles technologies et l’Internet en particulier ,même si tout le monde s’accorde à relever ,que l’Internet n’est pas une’’ zone de non droit ’’. Il est aujourd’hui urgent de déterminer les droits et obligations ,les responsabilités et les sanctions attachées aux activités, sur les autoroutes de l’information ,dans les diverses matières que sont les noms de domaine ,la cryptographie ,le commerce électronique, les droits d’auteur ,la presse électronique ,le télétravail et la criminalité cyber, afin de lever l’imprécision qui plane sur les situations juridiques dont le caractère souvent inédit entraîne des solutions aussi diverses qu’inattendues.
Il nous semble hasardeux de lier le sort du ’’réseau des réseaux ’’ aux seules règles du ’’ laisser aller’’ ou du ’’laisser faire’’, si ce n’est celle du ’’ laisser surfer en toute liberté ’’ , qui ont largement instruit de leurs conséquences aussi imprévisibles que néfastes pour la personne, ,ses droits et ses précieuses libertés !
BIEN SUR ,LA QUESTION PREALABLE RESTE CELLE DE LA MISE EN ŒUVRE, EN AFRIQUE , D’UNE LEGISLATION DE BASE ,QUI PUISSE CLAIREMENT DEFINIR LES DROITS ET GARANTIES DU CITOYEN DANS LE DOMAINE INFORMATIQUE.
© 1999
Me El Hadji Mame GNING
Avocat au Barreau de Dakar
finishthejob@hotmail.com