L’Internet des Objets, un levier de développement en Afrique ?
vendredi 19 octobre 2018
L’internet des Objets (IdO ou Internet of Things IoT en anglais) est un concept faisant partie intégrante de notre quotidien. Prenant la forme de « téléphones intelligents », de voitures connectées ou encore de lignes de production industrielle autonomes, les cas d’usage de cette technologie sont aujourd’hui en plein essor dans les pays développés, et la création de valeur qui en découle n’est plus à démontrer. Qu’en est-il du continent africain ? Le Continent est-il prêt à « monter dans le train de l’IdO » et à ne pas rater l’opportunité amenée par cette composante de la nouvelle révolution industrielle liée au numérique ?
L’augmentation de la connectivité, l’essor du smartphone, la baisse du coût des capteurs, le développement du Cloud ou encore le potentiel d’attractivité des startups africaines offrent aux entreprises et aux citoyens du Continent l’opportunité de devenir de véritables acteurs du développement de l’IdO.
Le taux de pénétration de l’Internet en Afrique est stabilisé aujourd’hui autour de 34% et censé de dépasser les 50% en 2025. Le taux d’équipement en téléphonie mobile est de plus en plus important, dont le smartphone, lui-même objet connecté, mais également console d’administration, de manipulation et de traitement des données d’un écosystème d’IdO.
Des initiatives existent à travers le Continent pour créer des pôles technologiques destinés à fournir l’infrastructure technologique requise par l’IdO, même si l’accès général à cette infrastructure reste limité et inégal à l’échelle du Continent. L’essor des espaces « as a service » rend les coûts de stockage moins chers, favorisant ainsi le déploiement d’objets connectés.
Alors que l’urbanisation de masse se poursuit à travers l’Afrique, la mise en place de l’infrastructure fondamentale nécessaire à la construction de villes dites « intelligentes » n’a jamais été aussi importante et pertinente à la fois. Des pôles technologiques tels que Hope City au Ghana, des zones d’affaires et résidentielles, comme la ville de Waterfall à Johannesburg, Eko Atlantic à Lagos et Konza City au Kenya font déjà leurs preuves.
Les dépenses consacrées aux technologies des villes intelligentes dans la région devraient atteindre 1,2 milliard de dollars en 2018. Les investissements se concentreront principalement dans la e-administration, le transport intelligent, l’agriculture et la santé connectés.
Au Rwanda, les autorités prévoient de déployer un réseau IdO à l’échelle de la ville de Kigali pour améliorer l’accès à une eau potable et sûre, pour adopter des méthodes de culture plus rentables et moins coûteuses ou encore pour apporter une aide humanitaire dans les zones dévastées par des catastrophes naturelles. Un réseau étendu dédié à l’IdO a été conçu et déployé pour prendre en charge des millions d’appareils dans la ville. Un bus intelligent équipé d’Internet par satellite permet, par exemple, une connectivité omniprésente pour les communautés éloignées et l’acquisition de données en temps réel auprès des communautés qu’il dessert.
Les objets connectés peuvent faciliter la prévention et l’accessibilité aux soins des populations dans un contexte où le nombre de médecins par habitant n’est que de 2 pour 10 000. L’IdO permet en effet de dépasser les situations de déserts médicaux, notamment grâce aux outils de télé-diagnostic : les bracelets connectés enregistrent les informations de santé (vaccins, pathologies, allergies,...) et permettent un suivi régulier. Les applications mobiles de télémédecine permettent de réaliser des diagnostics à distance via un simple téléphone connecté à Internet. C’est par exemple le cas de la startup Health Q en Afrique du Sud qui développe des technologies pour aider les utilisateurs à surveiller leur santé et leur condition physique en général.
L’IdO constitue un levier remarquable d’optimisation et d’exploitation des ressources naturelles, notamment dans le domaine agricole. Les objets connectés ont permis de faire émerger une agriculture intelligente, respectueuse de l’environnement et efficiente en termes de ressources naturelles utilisées. En analysant l’humidité des sols ou encore le rythme de croissance des semences, les capteurs sont à même de définir de manière précise les besoins en irrigation. Les données récoltées peuvent également prendre en compte les prévisions météorologiques et proposer des plannings d’irrigation. Au Kenya, la startup EZ Farm, en coopération avec IBM, utilise de capteurs pour la surveillance du sol et des équipements, permettant un suivi précis et en temps réel de la récolte, l’optimisation de l’usage des équipements et la prédiction des saisons futures.
L’IdO peut se mettre au service de l’environnement et des espèces menacées en Afrique. La géolocalisation des animaux permet par exemple de suivre leurs migrations, mais aussi d’analyser leur activité physique pour détecter les tentatives de braconnage ou d’attaque d’oiseaux dévastateurs et rongeurs de plantes. Au Sénégal, un système doté de capteurs de mouvements permet de détecter la présence d’oiseaux dévastateurs et de déclencher une alarme qui repousse ces oiseaux. Ce système intelligent permet également de collecter les données de fréquentation des oiseaux rongeurs ou encore d’envoyer des appels d’urgence en cas de risque de feu de brousse.
Dans le commerce national et international, encore d’autres cas d’usages émergent. Des capteurs d’IdO mesurant l’évolution de la température, de l’humidité ou des vibrations peuvent évaluer et tracer la qualité de produits en transit. Les problèmes précis de transport de produits agricoles périssables ou fragiles comme le café ou le cacao, qui constituent aujourd’hui une partie significative des exportations de certains pays africains, peuvent ainsi être identifiés, permettant la mise en place de contre-mesures.
Ces exemples démontrent que l’avènement de l’Internet des Objets représente un intérêt indéniable pour le Continent. En Afrique, le marché de l’IdO devrait croître de 15% en 2018 [1], et le marché africain pèsera potentiellement à lui seul 500 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années [2]. Orange estime que le Continent est susceptible d’accueillir plus d’un milliard d’objets connectés avant 2020 [3]. Et pourtant, la croissance du marché de l’IdO reste concentrée dans les économies les plus dynamiques du Continent et s’accompagne de challenges à relever, notamment des infrastructures technologiques adéquates (constituée de réseaux de données à bas débits performants, de data centers et d’une alimentation énergétique continue, stable et de bonne qualité) et un capital humain qualifié et opérationnel sur le marché sont une nécessité absolue, afin de profiter pleinement des opportunités que représente l’IdO en Afrique.
Jean-Michel Huet, associé BearingPoint ; Amine Bennis, manager BearingPoint et Lennart Ploen, senior consultant BearingPoint
(Source : La Tribune Afrique, 19 octobre 2018)
[1] IDC (2017), Worldwide Semiannual Internet of things spending
[2] Cisco (2014), Conférence Cisco Connect
[3] Orange (2017), L’IoT en Afrique, c’est parti !