« L’Intelligence artificielle est devenue une nécessité dans le monde financier »
mardi 16 août 2022
Entre promesses et risques de déshumanisation, l’Intelligence artificielle est bien plus qu’une réalité dans le monde financier. Chef Département Excellence opérationnelle, transformation digitale et innovation de la Banque nationale d’investissement (BNI), Erwin Anet N’guetta décline les socles du succès de l’IA. Interview.
CIO Mag : L’Intelligence artificielle est partout aujourd’hui et représente l’un des sujets les plus existants de notre ère. Dans la finance, que savons-nous véritablement de cette technologie ?
Erwin Anet N’guetta : La finance est l’un des domaines les plus impactés par l’Intelligence artificielle. En effet, de l’intégration des programmes mathématiques complexes à la fin des années 80 au trading haute fréquence aujourd’hui, une panoplie de cas d’usage a déferlé sur le secteur financier afin d’en améliorer les performances, la qualité de son service mais aussi pour accroitre la satisfaction du client en améliorant son expérience.
L’Intelligence artificielle peut être utilisée comme levier pour l’atteinte de l’excellence opérationnelle comme les RPA (Robotic Process Automation). Elle peut être utilisée pour améliorer l’expérience client comme les chatbot. Elle peut permettre de réduire les taux d’attrition de notre clientèle.
L’Intelligence artificielle est donc une réalité dans le monde financier et son utilisation est devenue une nécessité. La majorité des banques et/ou établissements financiers utilise cette technologie ou ont au minimum des projets de son intégration dans leur stratégie digitale.
Pensez-vous que l’IA va naturellement bousculer les habitudes du secteur financier ?
Oui l’IA va bousculer les habitudes dans le secteur financier actuel et a même déjà commencé. L’utilisation de cette technologie aura un impact d’abord sur le capital humain. En effet, du fait de l’utilisation de l’IA et surtout des robots, la majorité des emplois tels qu’on les connait actuellement vont soit être transformés, soit disparaitre. Il est donc du ressort des entreprises impactées d’accompagner leurs ressources humaines à embrasser cette transformation pour leur permettre de s’adapter afin que la transition soit plus douce.
En outre, l’ère de l’IA nous permet de changer de paradigme. Nous passons d’un monde dans lequel la force de travail de l’humain était au centre de la performance des entreprises à un monde ou l’utilisation des robots pour certaines tâches (à non-valeur ajoutée et répétitives) en remplacement des humains permet de gagner en efficacité et de réduire les risques opérationnels. Cela permet donc de réallouer la force de travail sur des tâches à forte valeur ajoutée. Cela va donc changer la manière de recruter et aussi impacter les processus opérationnels et même la prise en charge du client en permettant aux banques de lui proposer des produits et services sur mesures.
La BNI aujourd’hui, travaille à la mise en place d’un cadre permettant l’utilisation du plein potentiel de cette technologie. Plusieurs projets sont en cours d’implémentation dans ce sens. Nous travaillons à nous assurer de faire bénéficier au maximum des aspects positifs de la technologie tout en limitant ses aspects négatifs et en mettant en place une bonne conduite de changement.
Il n’y a donc pas que des avantages à exploiter l’IA ?
Une technologie n’est ni bonne, ni mauvaise. Une technologie est neutre. C’est l’utilisation qu’on en fait qui peut être qualifiée d’éthique ou de non éthique. L’intelligence artificielle va devenir de plus en plus présente dans nos vies. Quand nous arrivons au machine learning ou au deep learning, nous observons que nous avançons vers une étape durant laquelle, l’IA peut évoluer, apprendre, décider et même ressentir ou simuler des sentiments.
Quand nous prenons par exemple le mouvement du transhumanisme, qui promeut la naissance d’un nouveau type d’humain augmenté grâce à l’Intelligence artificielle, nous frôlons les limites de l’éthique. Quand la société Neuralink promeut des puces intégrées à notre cerveau pour guérir certaines maladies comme Parkinson ou Alzheimer, cela apparait être une bonne chose mais quand on avance plus loin pour dire que ces puces pourraient permettre d’avoir des humains qui réfléchiraient plus vite, ne nous éloigne-t-on pas de ce qui est moralement acceptable ?
Concernant la banque, il est vrai que le fait de limiter exclusivement les interactions avec les clients déshumanise un peu les échanges. C’est pour cela qu’après plusieurs années durant lesquelles, les banques ont fermé de nombreuses agences, elles reviennent à ce qu’on appelle l’« Agency Banking » qui est un nouveau modèle pour se rapprocher des clients et avoir une expérience bancaire plus humaine. Cela est aussi dû au fait que les banques se sont rendu compte que l’un de leurs avantages les plus prépondérants face aux fintech, techfin, et bigtech était leurs proximités avec le client et l’expérience plus humaine qu’elles pourraient leur apporter dans un monde aussi connecté.
A partir de votre expérience, quels sont les socles du succès de l’IA pour un établissement bancaire ?
Le succès de l’IA pour une banque repose sur les piliers suivants :
- Intégrer le déploiement de l’IA dans une stratégie globale de transformation digitale,
- Définir au préalable la finalité et l’ambition de l’IA,
- Définir le modèle d’éthique et de responsabilité sociale (AI first vs Human First »)
- Définir un budget adapté,
- Bâtir une feuille de route IA adaptée,
- Nouer des partenariats stratégiques avec des pure players (fintech, etc.)
- Assurer une bonne conduite de changement externe (client) et interne (collaborateurs)
Pour conclure, comment le secteur bancaire africain peut-il véritablement profiter de l’IA pour apporter de l’agilité à ces process internes et dans les relations client ?
L’Intelligence artificielle a de nombreux cas d’usage pour le secteur bancaire : Chatbot, algorithmes prédictifs, orientation vers des produits plus adaptés, gestion de la relation client, etc. Ces cas d’usage ont été expérimentés dans de nombreuses zones géographiques avec succès. Tout en s’éloignant du « syndrome de l’objet brillant », il nous faut adapter ses technologies pour qu’elles soient alignées aux besoins de notre clientèle et soient le plus proche possible de nos réalités. Des technologies comme le RPA pourraient permettre de réduire drastiquement les temps alloués aux tâches rébarbatives et à faible valeur ajoutée, permettant aux banques d’être plus performantes en réduisant leur coefficient d’exploitation tout en réduisant considérablement les risques opérationnels.
Cependant, pour que l’utilisation de ces technologies soit pérenne et porteuse de résultat, il faut accompagner les équipes impactées, les former, préparer des plans de redéploiement, et avoir une communication transparente et sans faille menée par le plus haut niveau de la banque. Il ne faut pas non plus oublier de rassurer le client par une communication et un accompagnement adapté pour résorber les quelques réserves qu’il pourrait émettre.
Anselme Akéko
(Source : CIO Mag, 16 août 2022)