Un système de surveillance à grande échelle d’Internet a été discrètement mis en place en Ethiopie, utilisant une technologie qui permet d’espionner l’ensemble des communications Web du pays, révèle le quotidien La Croix.
A la mi-mai, les responsables du projet Tor, un logiciel de contournement de la censure, notent que le nombre d’utilisateurs de leur programme chute brutalement. Après étude de ce trafic anormal, les responsables du projet ont conclu que le pays avait mis en place un système de Deep Packet Inspection (DPI) : cette technologie consiste à « scanner » les données circulant sur un réseau, sans les intercepter directement. Schématiquement, c’est un peu l’équivalent de lire le contenu d’une lettre en exposant son enveloppe à la lumière : le courrier n’est pas ouvert, mais son contenu a été lu... Régulièrement visée par les organisations de défense des droits de l’Homme (PDF), l’Ethiopie a connu, ces trois dernières années, un impressionnant renforcement de son arsenal législatif limitant la liberté d’expression, note l’organisation Reporters sans Frontières.
QUINZE ANS DE PRISON POUR L’UTILISATION DE SKYPE
Le gouvernement a notamment rendu les imprimeurs conjointement responsables de ce que publient les journaux, et tente d’imposer la mise en place de contrats d’impression qui donneraient un pouvoir de censeurs de fait aux imprimeurs - le principal étant contrôlé par l’État. Le gouvernement a également banni l’utilisation de services de téléphonie par Internet (VOIP), évoquant des raisons de sûreté nationale et la protection de son monopole d’Etat. L’utilisation d’un service comme Skype est théoriquement puni de quinze ans de prison. Si des cas de blocage de sites Web ont déjà été signalés en Ethiopie, ils sont jusqu’à présent restés rares - vraisemblablement en raison du faible taux d’accès à Internet dans le pays.
« Le DPI permet de faire une surveillance poussée des communications, et un filtrage sur mesure des sites », note Lucie Morillon, responsable du bureau nouveaux médias de Reporters sans Frontières. « Le fait que l’Ethiopie se dote de ce genre d’outils n’est pas anodin, et c’est symptomatique d’une évolution générale, qui touche également la liberté de la presse écrite. »
L’OPÉRATEUR NATIONAL CONSEILLÉ PAR ORANGE
Le système de DPI a été mis en place par Ethio Telecom, unique opérateur téléphonique du pays, propriété de l’État. L’entreprise est issue d’une réforme lancée en 2010 d’ETC, l’opérateur historique, conduite avec les conseils d’Orange - le PDG d’Ethio Telecom, Jean-Michel Latute, est en détachement de son contrat auprès de l’opérateur français. Il explique à La Croix que la mise en place du système de DPI était une décision du gouvernement, et non de l’opérateur, tout en estimant que cet outil sera utile à Ethio Telecom pour réguler son trafic.
Ces liens, même indirects, de l’entreprise française avec un opérateur qui met en place un système de surveillance, ont fait grincer quelques dents. « Faut-il aider le pays à progresser technologiquement, même avec de la censure, et donc un jour arriver à la démocratie, car le progrès amène toujours la démocratie ?, s’interroge le syndicat CFE-CGC/UNSA. Ou bien faut-il le laisser dans l’obscurantisme, tout en sachant que si ce n’est pas un acteur comme France Télécom qui le fait, ce sera un autre ? »
Les équipementiers et constructeurs de téléphones chinois investissent massivement en Afrique, et l’Ethiopie n’échappe pas à la règle. En 2006, trois entreprises chinoises majeures, dont Huawei, avaient signé des contrats pour 1,5 milliard de dollars, notamment pour développer le réseau de téléphonie mobile du pays.
(source : Le Monde, 11 juin 2012)