L’Etat doit se retirer de la Sonatel, mais plus tard
lundi 18 avril 2005
L’Etat sénégalais va-t-il se retirer de la Sonatel (Société nationale des télécommunications) ? Pour l’instant, le gouvernement s’est gardé de préciser sa position, se limitant à indiquer dans la Lettre de politique sectorielle des télécommunications, publiée en janvier 2005, que « l’Etat étudiera les options relatives à son désengagement partiel ou total et dans cette attente fera preuve d’impartialité en tant qu’ultime garant des nouvelles règles régissant le secteur ».
L’Etat gagne-t-il à se désengager de la Sonatel ou est-il préférable qu’il conserve ses actions ? D’un point de vue strictement financier, il lui faut faire un arbitrage entre les gains immédiats tirés de la cession de ses parts et les rentes futures qu’il percevra avec les bénéfices de la société. Mais l’aspect financier n’est pas le plus important ici. Toute décision doit se fonder d’abord et avant tout sur des considérations stratégiques, sur l’intérêt général et sur la cohérence globale du schéma retenu. Aujourd’hui, l’Etat exerce un rôle protéiforme, étant en même temps un stratège qui définit la politique de télécommunications, un actionnaire dans le capital de la Sonatel et un régulateur garant d’une concurrence saine et loyale dans le secteur. Pour éviter d’être écartelé entre ces trois fonctions mettant en œuvre des intérêts divergents, le plus raisonnable serait que l’Etat choisisse de n’en exercer qu’une seule (la définition des politiques et des stratégies), de cesser d’être un acteur (en se désengageant totalement de la Sonatel) et de transférer l’exercice de la régulation à une autorité réellement indépendante, dotée d’une autonomie financière et qui rendrait compte non pas au président de la République mais au Parlement. Tel est le modèle idéal et le Sénégal devrait converger tôt ou tard vers ce schéma-là.
Le vrai débat n’est donc pas de savoir si l’Etat doit se retirer de la Sonatel (il doit le faire) mais quand et à quelles conditions. Le tout est d’évaluer si le contexte est suffisamment adapté pour que l’Etat s’engage hic et nunc dans cette voie. Très clairement, la réponse est non.
Ceci pour une raison principale. Le marché des télécommunications demeure peu concurrentiel au Sénégal et l’Agence de régulation des télécommunications (Art) ne semble pas encore posséder les capacités nécessaires pour exercer ses compétences comme il se doit. La Sonatel est toujours un monopole pour le fixe et occupe une position dominante sur le mobile et sur la transmission des données (Internet). En demeurant dans son capital, l’Etat, à défaut de pouvoir réguler convenablement le marché de l’extérieur, peut toujours réduire l’asymétrie d’information et exercer une certaine influence sur les choix stratégiques de la Sonatel, au-delà de la fixation d’objectifs dans le cadre des cahiers de charges. Par conséquent, le préalable au retrait de l’Etat, c’est l’installation effective d’un second opérateur global (fixe, mobile, données) et l’émergence d’une Art forte, crédible et impartiale. Une Art à même notamment de contrôler efficacement la tarification des services offerts et leur qualité, à travers des indicateurs de performances, ainsi que de prévenir tout comportement anticoncurrentiel de la part des acteurs. Un autre préalable, c’est l’application par l’Etat de réformes sur le plan technique qui faciliteront l’ouverture des marchés à la concurrence, en obligeant par exemple la Sonatel à procéder au dégroupage de la boucle locale pour favoriser l’accès universel à Internet et permettre au Sénégal d’émerger au niveau mondial comme un pays phare en matière de technologies de l’information et de la communication.
Surtout, le désengagement de l’Etat devra se faire en respectant certaines formes, en transférant notamment les actions publiques au secteur privé sénégalais qui renforcerait ainsi ses aptitudes entrepreneuriales dans un secteur névralgique de l’économie.
Moubarack LO
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(Source : Wal Fadjri, 18 avril 2005)