L’Artp place 6 Milliards de F Cfa à Amsa : Un placement controversé
jeudi 6 mai 2010
Le rapport de la Cima a dénoncé le contrat signé entre la compagnie Amsa et l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp). Dans cette opération qui sent la nébuleuse, nos sources indiquent qu’une somme d’un milliard de FCfa se serait volatilisée pour atterrir probablement dans des comptes... Enquête sur un contrat « d’assurance vie sans assuré ».
Le contrat entre Amsa assurance et l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) portant sur un montant de 6 milliards de F Cfa est contesté par les inspecteurs de la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (Cima). L’affaire remonte au 06 mars 2008, lorsque l’Artp a voulu placer, dans une banque ou auprès d’une compagnie d’assurance, l’argent versé par les opérateurs de téléphonie pour le Fonds de développement du service universel des télécommunications (Fdsut). Pour, disent-ils, « rendre ses avoirs rentables ». Ainsi, nos sources indiquent que toutes les institutions financières contactées, pour réaliser l’opération, ont refusé le placement de cet argent. C’est dans ce contexte que le courtier Chérif Sène (ex-agent de l’AGS devenue Amsa), est entré en jeu. Ce dernier aurait convaincu la Directrice de la compagnie d’accepter la souscription de l’Artp, sous forme de contrat retraite complémentaire.
Ainsi, le courtier Cherif Sène, l’ancien Dg de l’Artp, l’ex-Dg de Amsa, scellent l’affaire. Dans son rapport de contrôle 2009, la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (Cima) a constaté que « le contrat a été souscrit comme un contrat de retraite complémentaire alors qu’aucune garantie de retraite ne figure dans le schéma de liquidation des prestations. En outre, il ne fait pas référence aux adhérents dont les retraites sont garanties. De ce point de vue, le contrat ne peut être qualifié de contrat de retraite complémentaire, encore moins de contrat d’assurance vie. En souscrivant à un tel contrat, la société Amsa s’est détournée du champ de son objet social ».
Cette observation établit de manière formelle la nature irrégulière du contrat considéré comme un placement spéculatif, au regard des clauses du contrat. « N’ayant pas de visa pour la commercialisation des contrats de capitalisation pure, la société ne peut non plus requalifier le contrat de bons de capitalisation ou de contrat de capitalisation. Ainsi légalement la société n’était pas autorisée à souscrire ce contrat », martèle le rapport. Les experts interrogés considèrent que les opérations qui ont conduit à ce placement ont pu donner lieu à des actes de gestion non orthodoxes portant sur des fonds du service universel. Ceux-là expliquent qu’une assurance ne peut être régulière que si elle est souscrite au nom d’une personne ou d’un groupe de personnes. Ce qui n’est pas le cas dans cette transaction. Mais, une voix autorisée au niveau de la compagnie défend le contraire. Selon elle « le contrat a été souscrit à l’issue d’un appel d’offre que la société Amsa a remporté pour avoir proposé des conditions plus bénéfiques pour l’Artp ». Elle précise, en outre que Amsa bénéficie d’un agrément pour la commercialisation des contrats. « C’est dans ce sens que nous avons pris les dispositions nécessaires pour la requalification du contrat de l’Artp. Le plus important dans un contrat de retraite complémentaire est de faire en sorte qu’au terme de l’échéance on puisse restituer la prime assortie d’intérêt », assure t-il.
1 milliard introuvable
Le quotidien L’Observateur dans son édition du 03 décembre 2008 avait relaté cette affaire. Le journal écrivait : « c’est du côté de l’Artp que nous avons eu quelques bribes d’informations. D’où l’on nous a appris par l’intermédiaire du service de communication que l’opération porte effectivement sur la rondelette somme de 6 milliards de F Cfa ». Or, les conclusions du rapport montrent que 5 milliards de FCfa seulement sont comptabilisés au titre de cette convention. « Le contrat était initialement à prime unique fixée à 6 milliards de FCFA pour une durée de 5 ans à compter du 06 mars 2008. Le taux d’intérêt technique serait fixé à 3,5%, les commissions à 2,91% et les chargements de gestion nuls. La prime a finalement été ramenée à 5 milliards de FCFA, l’Artp n’ayant pas pu payer le solde d’un milliard de FCfa ». Si la prime réelle de ce contrat est de 5 milliards de FCfa, comme le constate le rapport, alors que l’Artp parle de 6 milliards décaissés donc où est passé le milliard de différence ?
Ce milliard mystérieusement disparu ne saurait légalement représenter le montant de la commission perçue par le courtier Cherif Sène puisque la Cima autorise un taux maximal de 3%, soit 180 millions de FCfa pour ce contrat. Le rapport souligne un autre fait qui rend troublant l’intervention du courtier. « Bien que n’étant pas partie prenante à la mise en place de ce contrat, un courtier est intervenu par la suite dans la gestion du contrat. Ce courtier bénéficie d’un taux de commission de 2,91%. La mission de contrôle a demandé le protocole signé avec ce courtier dans le cadre de la gestion de ce contrat. Le décompte final de ces commissions serait d’ailleurs de 3,4% ». Ce même Chérif Sène qui est à l’origine du contrat controversé est actuellement inculpé par le doyen des juges dans l’affaire des primes exceptionnelles à la Société africaine de raffinage (Sar). Si on se réfère au rapport, on constate que le courtier a perçu une commission qui dépasse le taux autorisé. Qui plus est, il n’était pas autorisé à percevoir de commission dans cette opération. Toutefois, du côté de Amsa, on relativise. « Sur certains contrats on peut aller jusqu’à 5%.
L’essentiel est de tout intégrer dans le contrat car les taux de commissions varient en fonction des garanties », explique-t-on.
Une source contactée au niveau de la boite renseigne que le montant réel de la prime est de 5 milliards 500 : « C’est après le passage de la mission de contrôle que l’Artp a versé 500 millions de plus pour compléter la première prime ».
De toutes les façons, il y a un écart troublant dans les chiffres avancés par les parties prenantes.
Troc de l’immeuble
La compagnie Amsa a connu un accroissement de son chiffre d’affaires durant l’exercice 2008 grâce au placement de l’Artp. « la société a réalisé au cours de l’exercice 2008 un chiffre d’affaires de 5 milliards 867 millions de F CfA contre 1 milliard 516 de F Cfa en 2007, soit un taux de croissance de 28%. Cette forte croissance est due à la souscription d’un contrat présenté comme un « contrat retraite complémentaire » souscrit par l’Artp », mentionnent les contrôleurs. Toutefois, cette situation s’est vite détériorée en raison de certaines pratiques comme la convention d’assistance technique signée en faveur de la CFOA. De tels griefs ont entraîné la dégradation des fondamentaux de la société. La Cima révèle que « Amsa Vie présente à la clôture de l’exercice 2008 un déficit de marge de solvabilité ». Face à la dégradation de ses fondamentaux, un expert interrogé assure que « Amsa n’est pas en mesure d’assurer ses engagements réglementés ». Une information balayée d’un revers de main par la direction d’Amsa qui soutient que l’entreprise est en bonne santé financière.
Quand Ndongo Diao a pris la direction de l’Artp, il avait demandé à la compagnie Amsa de rembourser les 6 milliards de FCfa, à la suite d’instructions fermes du chef de l’Etat soutiennent nos sources. Ce que les dirigeants de la compagnie n’ont pas accepté de faire. Or, l’article 65 du code des assurances édicte un droit pour le souscripteur, « au remboursement de sa première prime dans un délai de 30 jours à compter de la renonciation ». Pour éviter le pire, l’actionnaire majoritaire François Bakou par l’entremise d’Alioune Badara Niang a rencontré le président Abdoulaye Wade. Durant cet entretien le patron d’Amsa et ses collaborateurs ont expliqué au président Abdoulaye Wade que si l’Artp retire le placement, Amsa sera mise en sérieuse difficulté ce qui ne serait pas à l’avantage des nombreux assurés du groupe. Les dirigeants de la compagnie ont plaidé et fini par convaincre le chef de l’Etat qu’il s’agissait d’un bon placement rentable pour l‘Artp et que celle-ci n’avait rien à craindre. Pour éviter des ennuis à l’entreprise, le président a alors demandé aux responsables de l’Agence de ne plus retirer le placement. La Gazette a appris qu’une seconde audience a eu lieu entre le chef de l’Etat et François Bakou qui auraient au cours de leurs discussions définitivement arrondi les angles.
En tout état de cause, La gazette est aujourd’hui en mesure d’affirmer que c’est grâce à ses relations au Palais qu’il a pu convaincre l’Artp d’accepter l’achat d’un immeuble neuf appartenant à Amsa à 5 milliards de FCfa. Cet immeuble est évalué aujourd’hui à un peu moins de trois milliards de FCfa. Mis en vente dans un premier temps, pour 3 milliards de FCfa, cet immeuble jugé trop cher au regard des prix pratiqués sur le marché, n’avait pas trouvé d’acquéreur. Des services de l’Onu, puis un consortium saoudien à la tête de laquelle se trouve une banque avaient proposé 2,5 milliards de FCfa. Interrogé, le secrétaire général du groupe, Amadou Sy se montre évasif mais, il a tout de même concédé : « les deux affaires n’ont rien à voir... » Ce propos est réitéré par une personne dans l’entreprise qui estime « qu’un tel système de troc est impossible, compte tenu de la violation flagrante des procédures qui régissent les transactions immobilières ». En outre, cette même source qui souhaite garder l’anonymat précise « qu’Amsa a reçu des offres moins intéressantes. C’est pourquoi, elle n’a pas vendu l’immeuble. En plus, le prix auquel elle a cédé l’immeuble est conforme à ceux pratiqués sur le même espace géographique où le mètre carré varie entre 1,1 millions et 1, 350 millions. » En revanche, des experts interrogés soupçonnent un deal sous forme de système de troc encouragé par les autorités.
Un autre fait vient se greffer dans cette affaire comme pour lui donner plus de relief. En guise d’avance, l’Artp a versé 2 milliards de FCfA en espèces en quatre versements de 500 millions de FCfa. La somme de 3 milliards de FCfa est soustraite de son argent placé dans la compagnie pour compléter l’argent de la vente de l’immeuble. Autrement dit, après la transaction immobilière, Amsa doit toujours 2 milliards de FCfa à l’Artp. De multiples zones d’ombres entourent cette transaction.
Mais, sur le plan légal, on peut se demander si l’Artp avait le droit de procéder à une telle opération. La réponse est non. Le Dg de l’Artp Ndongo Diao a violé la loi en procédant à l’achat de cet immeuble, sans l’approbation du conseil de régulation. L’opération a lieu alors que le mandat du conseil était arrivé à terme. C’est donc sur la base d’une décision personnelle que le directeur, Ndongo Diao, avec la bénédiction de personnes logées à la Présidence, a conclu cette opération. En toute illégalité.
La loi de l’omerta
Dans le cadre de cette enquête, nous avons pris le soin de contacter tous les acteurs qui ont pris part à cette opération pour recueillir leurs points de vue. Du côté de l’Artp, le Directeur général Ndongo Diao à qui nous avons fait parvenir notre demande d’entretien n’a pas voulu se prononcer sur l’affaire. Nous avons laissé notre contact au niveau de son secrétariat. Jusqu’au moment où nous mettions sous presse, les responsables de l’agence ont préféré garder le silence.
Baye Makébé Sarr
(Source : La Gazette, 6 mai 2010)