L’Armp annule définitivement le contrat « Public-Privé » entre l’Artp et Global Voice : La Direction centrale des marchés publics épinglée
jeudi 16 septembre 2010
Par décision numéro 127/10/Armp/Crd, hier, le Comité de règlement des différends dans les marchés publics a purement et simplement annulé le contrat liant l’Agence de régulation des postes et des télécommunications (Artp) et Global Voice Group. Ce, après l’avoir suspendu le temps d’y voir plus clair. Dans la décision obtenue par L’As, l’Armp revient en long et en large sur les péripéties de cette affaire, non sans accabler sérieusement la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) qui avait autorisé le contrat de gré à gré en le qualifiant de contrat...public-privé.
À la suite de sa décision numéro 119/10/Armp/Crd du 8 septembre 2010 prononçant la suspension du contrant liant l’Agence de régulation des postes et des télécommunications (Artp) à Global Voice group (Gvg), le Comité de règlement des différents (Crd) dans les marchés publics, bras séculier de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), s’est penché sur le fond du dossier hier. A la suite d’une rencontre qui a tiré en longueur, le Crd a, par décision numéro 127/10/Armp/Crd en date du même jour annulé purement et simplement le contrat, tout en exigeant de l’Artp, si elle veut relancer la procédure, de lancer un appel à concurrence.
La décision obtenue par L’As revient sur les dessous de cette affaire. Par lettre numéro 0082Artp/Dg/Sg/Dsa/Dlog en date du 12 janvier 2010, l’Artp avait saisi la Direction Centrale des marchés publics (Dcmp), sous la tutelle du ministère des Finances, pour « solliciter l’autorisation de souscrire un contrat de prestation de services par entente directe avec la société Global Voice Group, portant sur une assistance pour la mise en place d’un système de contrôle et de tarification des appels internationaux entrants au Sénégal, selon les termes de la missive. Après plusieurs échanges de correspondances avec l’Artp, la Dcmp, par lettre numéro 0010/Mef/Dcmp/6 du 11 mars 2010, « sur la base des informations reçues et en application de l’article 80 du décret numéro 2007-545 du 25 avril 2007 portant code des marchés publics », a « confirmé » son avis de non-objection au marché de gré à gré.
Le 23 juin 2010, après la signature et la publication dans le journal officiel du 12 juin 2010 du décret numéro 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal, l’Artp a publié un communiqué annonçant que « le Sénégal met en place un système de contrôle des communications téléphoniques internationales » et qu’« à cet effet, l’Artp s’est attaché, dans le respect des procédures du Code des marchés publics, les services de l’opérateur international Global Voice Group comme partenaire technique pour la mise en œuvre du système ».
Sonatel s’interroge sur 4,8 milliards de Fcfa de Fcfa/mois payés à Gvg
Le 9 août, le Directeur général de Sonatel, Cheikh Tidiane Mbaye, écrit à l’Armp pour dénoncer ce gré à gré. Dans cette missive, le patron de la Sonatel écrit : « ce marché a été conclu de gré à gré au motif que Global Voice Group est la seule entreprise en mesure de réaliser cette activité, alors que d’autres sociétés comme Telta, offrent les mêmes prestations ». Dans le quotidien « Le Soleil » du 28 juillet citant M.Niang de global Voice, on peut lire ceci :... « nous quantifions l’investissement entre 15 et 20 millions de dollars. Or Sonatel a investi pour le même équipement environ 2 millions d’euros. On apprend, toujours, dans le même journal, du Dg de l’Artp, que le Trésor public sénégalais va gagner 5 milliards de Fcfa par mois et que le partage des revenus entre l’Artp, représentant l’Etat, et Global Voice est de 51/49, ce qui fait que Global Voice sera rémunéré à 4,8 milliards de Fcfa de Fcfa/mois ». On s’interroge : « pour quels investissements ? Pour quels services », se demande Cheikh Tidiane Mbaye.
Echanges épistolaires tous azimuts entre l’Artp et la Dcmp
Il résulte de l’instruction du dossier par l’Armp que par lettre numéro 0082 Artp/Dg/Sg/Dsa/Dlog en date du 12 janvier 2010, l’Artp a saisi la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) pour solliciter la signature du gré à gré. L’Artp dans sa lettre se « fonde d’une part sur les dispositions de l’article 76 (1a et 1b) du Code des marchés publics relatives à la sécurité nationale et d’autre part sur l’exclusivité de la solution détenue par Global Voice Group qui l’a déjà implantée avec succès dans de nombreux pays ». À l’appui de sa requête, l’Artp a joint les termes de référence de la mission d’assistance, les justificatifs légaux et économiques de la requête, un projet de contrat et la liste des pays ayant acquis cette « solution », selon leurs mots. Dans sa lettre réponse numéro 00010/Mef/Dcmp/Dsi du 15 janvier 2010, la Dcmp rejette les moyens soulevés par l’Artp et déclare qu’en l’espèce, il s’agit d’une convention de partenariat Public-privé, au regard des modalités de rémunération qui sont fonction des redevances perçues sur les usagers, parce que directement indexées sur le tarif international à travers une grille de répartition entre les opérateurs, l’Etat et Global Voice.
Un deuxième projet de contrat sur « conseil »
En conséquence, la Dcmp a demandé à l’Artp de revoir l’argumentaire fondant la demande d’autorisation, pour « l’asseoir » sur les dispositions de l’article 80 du Code des marchés publics, puisque l’alinéa 5 dudit article traite des cas sur la base desquels l’autorité contractante peut recourir à l’entente directe ou gré à gré. En outre, la Dcmp a rappelé à l’ Artp les termes de l’alinéa 2 de l’article précité qui indique qu’un rapport d’opportunité lui est soumis concomitamment à la requête. Forte de ces... « conseils » (comme semble railler l’Armp) de la Dcmp, l’Artp saisit l’organe de contrôle a priori, par lettre numéro 266 Artp/Dg/Sg/Dsa/ Dlog du 2 février 2010, d’une « demande d’avis pour passer un contrat de partenariat par entente directe », en annexant à sa requête la décision d’agrément d’installateur d’équipements radioélectriques numéro 0700118/Ag/In du 22 janvier 2010 (donc bien avant le contrat), signée au profit de Global Voice Afrique Sarl.
Toutefois, par lettre numéro 00484 Mef/Dcmp du 5 février 2010, la Dcmp fait observer à l’Artp que son « argumentaire qui a abouti à la conclusion que Gvg est la seule source en mesure de fournir le service demandé pose problème » parce que fondé « sur le seul fait que seule l’Artp est habilitée à agréer les installateurs d’équipements radioélectriques pour leur compte et pour des tiers et que Gvg est la seule société nationale ou étrangère agréee par l’Artp à posséder les compétences requises ». En retour, dans sa lettre numéro 395 Artp/Dg/Sg/Dsa/Dlog du 18 février 2010, l’Artp fait observer d’abord que « sur les 22 installateurs agréés au Sénégal, seule la société Global Voice présente une offre relative au contrôle du trafic téléphonique international, alors que tous les autres installateurs interviennent dans les domaines d’installation et de maintenance de réseau et systèmes de télécommunications, radiodiffusion ou télévision ou en matière informatique ».
L’Artp soutient, ensuite, que Gvg, d’une part utilise une technologie « basée » sur la capture en temps réel des Cdr, en utilisant les routeurs Stp C7, qui permet de superviser le trafic à partir des données de signalisation des opérateurs, sans affecter l’intégrité et la qualité de leur réseau ; et d’autre part elle est la seule société à avoir installé le système de contrôle de trafic international dans plusieurs pays, notamment africains, en général victimes de fraude internationale en matière de trafic. Enfin, elle affirme qu’une recherche sur l’internet avec le critère « Contrôle du trafic international entrant » donne comme résultat une seule référence, celle de Gvg.
Non satisfaite de l’argument tiré de l’exclusivité de Gvg, la Dcmp, dans sa lettre numéro 00866/Mef/Dcmp du 02 mars 2010, a exigé qu’en sus de l’agrément signé au profit de Gvg, lui soit produite une attestation corroborant les informations y contenues. Au vu de l’attestation signée le 4 mars 2010 par le directeur général de l’Artp aux termes de laquelle « sur les 22 installateurs agrées au Sénégal, seule la société Global Voice Group présente une offre relative au contrôle du trafic téléphonique international. Tous les autres installateurs interviennent dans les domaines d’installation et de maintenance de réseaux et systèmes de télécommunications, radiodiffusion ou télévision ou en matière informatique », la Dcmp par lettre numéro 0010/Mef/Dcmp/6 du 11 mars 2010, « sur la base des informations reçues et en application de l’article 80 du décret numéro 2007-545 du 25 avril 2007 portant code des marchés confirme son avis de non-objection ».
L’Armp tire sur tout
La série d’argumentaires ayant conduit la Dcmp à autoriser la passation par entente directe du contrat, n’a pas été du goût de l’Armp qui l’a sérieusement accablée. Dans sa décision, elle estime que ni par l’objet du contrat ni par les obligations à la charge de Gvg et ses modalités de rémunération, le projet de contrat ne peut recouvrir la qualification de contrat de partenariat. Il ne peut être identifié aucune mission globale de financement de réalisation d’investissements matériels ou immatériels, ainsi que leur entretien et leur exploitation, estime l’Armp parlant de l’objet du contrat mis en cause. D’autant que si Gvg devait nécessairement procéder à des achats de biens et services, ce serait à titre accessoire et dans le cadre de la réalisation des prestations ci-dessus décrites, ce qui est d’ailleurs le cas pour tous les contractants des personnes morales de droit public, assujettis à des charges inhérentes à l’exécution des contrats qu’ils ont signés.
Pire, estime l’Armp, la durée de cinq ans du contrat n’est adosée ni à la durée d’amortissement des investissements, ni aux modalités de leur financement. Encore que la rémunération de Gvg n’est pas assurée par l’Artp et n’est pas non plus liée à des objectifs de performance qui lui sont assignés. Ce mode de rémunération de Gvg renvoie plutôt, selon l’Armp, à une délégation du service public. Convoquant le décret pris par Wade, l’Armp estime que l’Artp envisage ni plus ni moins que de déléguer ses activités de service public à Gvg ! « En conclusion, c’est à tort que la Dcmp a qualifié le projet de contrat de partenariat public privé », écrit l’Armp dans sa décision.
Parlant du gré à gré autorisé par la Dcmp, l’Armp flaire de la légèreté ; d’autant que pour elle, l’organe de contrôle n’a même pas pris le soin de vérifier les déclarations contenues dans l’attestation de l’Artp comme quoi seule Gvg peut réaliser ce contrôle. Dans la même logique, l’Armp écrit : « La circonstance que seule Gvg opère en Afrique ne saurait signifier que c’est la seule société capable de réaliser les prestations envisagées d’autant que seul un appel d’offres est de nature à établir cet état des faits ». Le verdict suit : « l’autorisation donnée par la Dcmp à l’Artp de passer un contrat par entente directe est mal fondée et irrégulière ».
Toutes choses qui font que l’Armp qualifie « d’inexacte » la qualification du projet de contrat entre l’Artp et la société Global Voice Group comme étant un contrat de partenariat Public-Privé. Aussi, ordonne-t-elle l’annulation du projet de contrat, avant d’ajouter que la satisfaction des besoins de l’Artp pour le type de prestations envisagées doit faire l’objet d’un appel à concurrence, conformément au Code des marchés publics.
Par ailleurs, une autre dénonciation anonyme concernant la même affaire est actuellement pendante devant la cellule d’enquête de l’Armp, qui a ouvert des investigations à cet effet. Les accusations contenues dans cette dénonciation sont extrêmement graves. Il reste à savoir si elles seront ou non confirmées.
Cheikh Mbacké Guissé
(Source : L’As, 16 septembre 2010)