L’Afrique pourra-t-elle relever le défi de l’UNIMEDIA ? (Communication présentée par Amadou Top à Orbicom 99)
samedi 17 avril 1999
Depuis quelques années, une vague de fond déferle sur le monde entier, portée par ce qu’on nomme avec un peu de simplification les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC).
Internet qui fédère les diverses formes de communication développées tout au long du 20ème siècle, nous laisse entrevoir des mutations structurelles
dont il style est difficile d’imaginer toutes les conséquences sur l’évolution de nos sociétés.
Quelque peu pris de court par la vitesse à laquelle se manifestent quotidiennement les effets de ces nouvelles technologies sur les manières dont nous
travaillons, pensons, réagissons et socialisons nos relations, nous éprouvons des difficultés même pour caractériser le mouvement qui se déroule. Ainsi
parlons nous de façon imprécise de l’ère de l’information, de la société du savoir ou de la société de l’information.
En nous conviant à discuter des moyens de combler l’écart entre la formation et l’emploi en communication, ORBICOM nous demande de nous adonner
à un exercice fort délicat, tant il nous faut, pour émettre un propos cohérent, prendre position d’une certaine manière dans un débat dont les termes
restent encore flous.
Africain, évoluant dans le secteur de l’informatique et du multimédia, vous me donnez l’occasion d’exposer des points de vue assez typiques au regard
des réalités du moment qui conduisent de nombreux afro-pessimistes et quelques analystes objectifs à exclure le continent africain du champ de
déploiement des NTIC.
Ayant eu l’opportunité de participer au volet informatique du programme de redressement de la PANA - Agence panafricaine d’information- j’ai pu
constater l’extraordinaire rapidité avec laquelle Internet s’est développé en Afrique.
La direction de cette institution, soutenue par l’UNESCO pour remettre à flot l’agence, a très vite compris l’enjeu que constituait Internet pour la collecte,
le traitement et la diffusion de l’information au niveau continental à des coûts compatibles avec les maigres ressources dont elle disposait.
Quand nous avons démarré le projet RAPIDE ( Réseau Africain pour l’Intégration et le Développement ) en 1995 à Dakar, Internet n’était encore qu’à
l’état de balbutiement dans quelques rares pays africains, sous la forme de courrier électronique, et le pari osé fait à l’époque en concevant l’un des tout
premiers serveurs web du continents était que cette nouvelle technologie, au mieux, allait se déployer dans un horizon de 5 ans et qu’il serait alors
possible de l’exploiter pour le réseau d’information d’agence au fur et à mesure que les pays couverts par la PANA seraient connectés.
Grande fut notre surprise de constater dès la fin de 1997 (soit en moins de 2 années ) que plus de 90 % des pays africains étaient non seulement
connectés à Internet, mais offraient les mêmes services que ceux disponibles dans les grands pays développés.
Voilà un exemple qui illustre la réduction extraordinaire du temps de propagation d’une technologie aussi structurante que l’Internet entre pays du nord et
du sud. Autre preuve de l’effort et de la capacité d’adaptation de l’Afrique, je vous citerai le cas du Sénégal, mon pays, où trois des cinq quotidiens
d’informations sont présent sur Internet ; mieux le site web de l’un d’entre eux, le journal « Le Soleil », en l’occurrence, a été cité parmi les dix meilleurs de
la presse écrite mondiale.
Songez, simplement, que certains pays africains n’ont disposé d’émetteur TV qu’au début des années 90, tandis que la couverture de l’espace national
par la radio et surtout le développement des radios privées ne se sont opérés dans la quasi totalité des pays africains que vers la fin des années 80.
Si, la contraction du temps et de l’espace dans le cyberespace est une des manifestations spectaculaires de ces nouvelles technologies de
l’information, le rôle fédérateur du multimédia ( qui lui vaut d’ailleurs l’appellation plus appropriée d’UNIMEDIA ) avec ses capacités extraordinaires à
disjoindre le contenu et la forme pour laisser la totale liberté du choix de l’expression à l’utilisateur, du fait de l’interchangeabilité des médias, en est
certainement la plus impressionnante facette.
Il m’a paru important d’évoquer ces questions parce que la discussion sur les nouvelles technologies interfère naturellement avec un autre débat en
cours sur les concepts de mondialisation et de globalisation qui, sur d’autres registres, tentent de rendre compte des transformations en profondeur qui
affectent le fonctionnement des Etats - nations dont les frontières géographiques et les espaces économiques, politiques, culturels, sociaux sont
fortement brouillés par les dynamiques du monde virtuel, celui de la « global information infrastructure » qu’impulse l’Amérique.
Les autoroutes de l’information ne sont plus perçues comme des vues de l’esprit et les plus sceptiques parmi nous se rendent à l’évidence : les chantiers
ont bien démarré.
Une certaine opinion publique façonnée dans l’univers de l’ère industrielle, projetant la situation actuelle sur celle à venir, reproduit allègrement les clichés
sur l’exclusion due au fait que nombre de pays du sud et la quasi totalité des pays africains ne sont pas traversés par les autoroutes du développement
industriel et ne disposent que de rares bretelles pour en recevoir un maigre trafic.
Force est cependant d’admettre que déjà, on peut percevoir une différence de nature importante quant à la manière dont s’édifient les nouvelles
autoroutes de l’information et l’importance stratégique que revêtiront les « ponts » dans leur tracé.
Les bâtisseurs des futurs canaux de passage à grande vitesse des données seront bien moins embarrassés par les mers , les montagnes , les forêts,
les déserts ou tous les obstacles physiques à traverser et il n’y a paradoxalement aucun moyen de contourner un seul pays.
On sait bien que tous les projets en cours, avec les satellites et autres émetteurs-récepteurs de toutes sortes qui vont relayer l’indescriptible dialogue
planétaire, par la multiplicité et la diversité des services, la simplification des procédures d’accès, et la baisse vertigineuse des coûts, permettront de
désenclaver de nombreux pays africains, et réduiront au minimum les facteurs de discrimination technologique et/ou financière.
Ne seront exclus du vaste cybermarché en constitution, dont ni le fonctionnement, ni la configuration ne nous sont intelligibles aujourd’hui, que ceux qui
n’auront pas su développer le minimum de compétences pour traduire dans l’une des multiples formes supportées par l’UNIMEDIA, leurs besoins et
leurs apports au rendez-vous du donner et du recevoir.
Avec moins de 1 téléphone pour 100 habitants, l’Afrique dispose de la plus faible télédensité du monde. Pour frapper les imaginations, on rappelle
souvent le fait que Manhattan dispose de plus de téléphones que toute l’Afrique noire réunie. La situation n’est guère meilleure s’agissant des
équipements informatiques avec l’ordinateur pour plus de 5000 personnes dans certains pays.
Cela est vrai, mais peut se relativiser à l’examen de 2 phénomènes significatifs. Les lignes téléphoniques sont loin d’être exploitées de la même manière
ici et là, car en Afrique, chaque téléphone entre dans le réseau de la solidarité sociale et devient la quasi propriété de toute une communauté. C’est en
partant de ce constat que les télécentres ont été développés de manière volontariste au Sénégal et dans de nombreux pays africains pour offrir au
maximum de personnes l’accès au téléphone et depuis quelques temps à Internet.
Par ailleurs, on le sait bien , les modalités techniques de la couverture téléphonique ont profondément évolué depuis quelques années avec l’avènement
de la téléphonie sans fil qui supplante progressivement les réseaux filaires et permet de connecter à un rythme soutenu les zones les plus reculées, à
des coûts inimaginables il y’ a seulement quelques années.
Quant aux ordinateurs, on assiste à une nette tendance à la baisse des coûts, mais aussi et surtout au mariage de plusieurs technologies qui
entraîneront prochainement la banalisation du poste de travail, un peu à la manière des postes radio et des calculettes.
Un autre argument de poids, supposé être une barrière naturelle infranchissable, est le niveau de l’éducation qui est l’un des plus bas au monde avec
des taux de scolarisation souvent inférieurs à 40 % et des taux d’analphabétisme proches de 80% dans beaucoup de pays du continent.
Pendant que toute l’attention est portée sur la lutte contre l’hégémonie de la langue anglaise sur les contenus de l’Internet et que des pays développés
traînent des « info-exclus » qui ne disposent pas d’ordinateurs et ne savent pas surfer sur Internet, qu’en est il alors de l’Afrique si longtemps
marginalisée.
C’est sur cette question essentielle que les technologies de l’information et de la communication nous réservent d’agréables surprises par le fait même
que les nouvelles formes d’écriture qu’elles induisent favorisent le nivellement par tous les côtés à la fois, en s’adaptant presque parfaitement à la
technique d’expression de chacun.
Qui n’a pas observé l’engouement suscité dans les campagnes africaines par la prolifération des radios communautaires dont les animateurs
communiquent dans les langues nationales et donnent une ouverture salutaire à des communautés qui se sentiront davantage citoyennes du monde.
J’ai souvent été impressionné par la dextérité avec laquelle des hommes et des femmes qui n’ont jamais été à l’école et n’ont donc jamais appris les
rudiments du calcul, manipulent avec aisance sur tous les marchés et souks africains des calculettes qui ne les impressionnent guère. Cela est rendu
possible du fait de la banalisation de ces petits joyaux de la technologie qui malgré leur simplicité n’en sont pas moins des ordinateurs en miniature avec
écran , clavier et logiciel intégré.
Nos sociétés africaines qui accordent une place centrale à l’oralité pourront à coup sûr développer des usages inexplorés de l’UNIMEDIA afin d’assurer
de meilleures conditions de conservation et de transmission de leur patrimoine culturel et de leurs savoirs faire.
L’observatoire des systèmes d’information des réseaux et des inforoutes du Sénégal - OSIRIS - a décidé d’investir en priorité cette question en
organisant prochainement une réflexion approfondie sur le thème de l’oralité et des nouvelles technologies de l’information afin d’initier un programme de
recherche approprié.
Nous pensons qu’il n’est pas loin le moment où la fusion de la voix et de l’image allant à la rencontre de l’écran tactile et de la reconnaissance vocale va
ouvrir un nouvel horizon à des millions d’ analphabètes, trop vite exclus par certains de la société de l’information, qui, n’en doutons pas, sera moins celle
des infrastructures que celle des contenus.
Le défi de l’éducation et de la formation semble être au cœur de ce qui va décider finalement de la capacité où non à assimiler les nouvelles technologies
de l’information et de la communication.
Vue du nord comme du sud, la situation de l’emploi et de la formation dans les domaines de la communication est fort complexe de nos jours.
Le constat qui s’impose, c’est qu’il y’ a une évidente inadéquation entre les enseignements dispensés par les systèmes de formation classiques et les
besoins exprimés souvent avec imprécision par les entreprises.
L’ambiguïté provient avant tout de ce que le profil même de la qualification recherchée n’est pas établi avec netteté. Prenons le cas des sociétés de
service en informatique en Afrique qui soudainement doivent faire face à de très fortes demandes en équipements et installation de réseaux où, la
frontière entre informatique et télécommunication s’estompe. Comment y faire face si on sait que les rares centres de formation avaient été taillés pour
fournir de petits contingents de techniciens supérieurs ?
Quant aux technologies liées à Internet et au multimédia, presque aucune structure de formation n’avait prévu de modules réellement adaptés à leur
mise en œuvre, ce qui explique que devant l’urgence et face à la pénurie, des formations diplômantes privées fleurissent en particulier sous l’impulsion
de fabricants de logiciels qui tels que Microsoft ont développé des approches pédagogiques nouvelles, et des méthodes inspirées des fast food qui
permettent de se former en 2 à 3 semaines sur des modules spécifiques puis de passer électroniquement ses examens de certification sans pré requis
académique particulier.
Malgré l’apparence bâclée de ces formations, elles sont devenues le moyen obligé pour nombre de sociétés de services de faire face à la demande
exponentielle. Compte tenu des niveaux de rémunération de ces nouveaux experts clé en main, il n’est pas rare de voir des ingénieurs issus de la filière
traditionnelle faire un tour dans les centres de formation agréés pour glaner quelques certifications leur assurant toutes les chances d’obtenir rapidement
un travail.
Des outils didactiques (cd-rom d’auto-formation) permettent même à ceux qui le souhaitent de se passer des frais souvent élevés réclamés pour
l’inscription dans un centre de formation agréé , se contentant juste le moment venu, de s’acquitter des frais d’inscription à l’examen que l’on peut passer
dans les heures qui suivent.
Et que dire des immenses perspectives ouvertes par l’éducation à distance, qui va permettre de délocaliser des enseignements et conduire à de
substantielles réductions des coûts tant en ce qui concerne les ressources humaines que les infrastructures, tout en assurant une plus grande richesse
fonctionnelle des prestations.
La flexibilité de ce nouveau type de formation correspond bien à l’extrême rapidité avec laquelle évoluent les demandes et convient aux pays comme les
nôtres dont les ressources sont rares et les besoins immenses.
En effet d’une version à une autre d’un système d’exploitation ou d’un logiciel il y a souvent transformation complète du contexte de mise en œuvre,
nécessitant un nouvel apprentissage pour la bonne maîtrise de ses fonctionnalités toujours plus nombreuses.
S’agissant enfin du volet de la formation relatif plus spécialement aux communicateurs, il reste à s’accorder sur les compétences qu’il faudra acquérir à
l’avenir pour mériter de jouer ce rôle.
A l’ère du tout communicant, alors que les règles deviennent vite obsolescentes, que le flot continue d’informations nous submerge et emprunte toutes
sortes de canaux, il y’ a comme un besoin non plus d’informer mais d’aider à s’informer.
Alors il faudra repenser jusqu’à la notion même de formation qui pour l’heure est prise dans l’engrenage des mutations profondes et irréversibles qui
refaçonnent le monde.
Amadou Top
Directeur d’ATI Interactive