« La régulation en général est conçue comme un appareillage devant conduire un secteur naguère gouverné par des monopoles vers le principe concurrentiel » Marie-Anne Frison-Roche. La régulation par le prix et la satisfaction client ont révolutionné le secteur du transfert d’argent au Sénégal, et depuis wave, nous assistons à la naissance de plateforme de transfert d’argent, dont la dernière en date est Flash.
Il arrive que votre crédit s’épuise en pleine communication, et pour la dernière fois, j’ai demandé à un de mes collègues de me faire un dépôt de 5.000 par Orange money pour acheter du crédit téléphonique. Elle me dit que le montant n’était disponible que sur wave. Elle me propose le transfert par wave et à moi de faire un retrait-dépôt. Après avoir reçu le transfert le premier multiservice me signale que pour wave elle a juste 2000 F. Il faut alors passer par deux points services.
Cette union dans la pratique, qui consiste à refuser aux clients orange et free de passer par wave pour acheter du crédit ne constitue-t-elle pas une restriction ?
Nous sommes en face d’un traitement discriminant Wave au profit de ses concurrents, Orange finances mobiles Sénégal et Free Money Sénégal pour la distribution d’un produit de télécommunication, les minutes d’appel.
A bien y regarder nous sommes aussi en face d’une atteinte à la neutralité technologique et des services des TIC. Dans le communiqué de l’ARTP il a bien été rappelé que « les opérateurs fournissent les services dans des conditions de transparence et de non-discrimination et dans les même conditions que celles accordées à leurs filiales ou à leurs associés » article 76 LOI 2018-28 du 12 décembre 2018. Depuis plus d’un an, rien ne bouge. Et récemment, dans le dernier rapport de l’ARTP, nous pouvons aussi lire sa position en faveur d’un traitement équitable. Mais nous constatons bien que ce n’est pas facile de faire bouger un éléphant sans sa participation, il faut un suivi jusqu’au moment où l’objectif sera atteint.
Un cadre légal favorable au client
Nous saluons la conformité du code des communications électronique sénégalais au cadre supra national (l’acte additionnel A/SA 3/01/07) relatif au régime juridique applicable aux opérateurs et fournisseurs de services. A côté de l’impératif pour les Etats, de veiller à la promotion de la neutralité des technologies et des services, il y a l’obligation d’assurer la non-discrimination, la proportionnalité et la transparence pour la fourniture des services de télécommunication.
Pour l’accès au marché sénégalais des TIC, nous avons trois niveaux : la licence, l’autorisation et l’entrée libre qui, dans certains cas, peut être soumise à déclaration, notification ou enregistrement auprès de l’autorité nationale de régulation.
La déclaration est exigée pour les activités bénéficiant du régime libre, il s’agit de la fourniture de service à valeur ajoutée, de la fourniture de service internet, et l’activité des revendeurs.
Maintenant, si après toute cette procédure pour faciliter l’accès, l’ARTP ne joue pas le jeu en Ex post (sanctions, règlements de litiges ou médiation en face d’une situation) c’est peut-être le moment de se poser de sérieuse question sur sa capacité à participer au développement du secteur. Ou bien, peut être que la procédure est toujours en cours parce que le traitement équitable peut aussi exiger que wave se mette dans les mêmes conditions que ses concurrents ?
Il est inconcevable, que le Sénégal, après avoir consacré les facilités essentielles pour garantir l’entrée, ne fasse rien pour rendre la concurrence effective.
Pour comprendre ce concept de facilité essentielle il faut revisiter l’arrêt de la Cour Suprême des Etats- unis de 1912 Terminal RailRoad Association of Saint Louis. Ici nous sommes dans le domaine des chemins de fer, avec un groupe de compagnies qui avait le contrôle sur les ponts et gares de triage pour accéder à Saint-Louis.
Un groupe de compagnie ferroviaire a constitué une association pour contrôler les principaux moyens de traverser le fleuve à Saint-Louis. Selon la cour, se basant sur le sherman Act, a considéré qu’il s’agissait d’une restriction illégale au commerce et d’une tentative de monopolisation du marché. Elle décida alors d’imposer aux groupes de compagnies propriétaires du terminal RailRoad d’ouvrir l’accès à leurs concurrents.
Selon le Professeur TEMPLE LANG si un concurrent est propriétaire d’une installation, si l’accès est essentiel pour permettre à d’autres concurrents de faire des affaires, et si l’on ne peut pas s’attendre à ce que les concurrents fournissent cette facilité par eux-mêmes, le droit de la concurrence de l’Union européenne oblige le propriétaire de la facilité essentielle à donner un accès égal à ses concurrents.
Il fallait à l’époque faire tout pour éviter l’abus de position dominante et nous pouvons constater que cet esprit s’est bien emparé de la conception américaine de la régulation qui, à bien des égards favorise l’accès aux nouveaux entrants et accompagne leur développement. Au Sénégal, le concept de facilités essentielles est matérialisé par l’interconnexion. C’est grâce à ce levier de régulation que Free et Expresso Sénégal ont pu concurrencer l’opérateur historique. Au-delà de cette dynamique, nous pouvons citer l’exemple du dégroupage, du partage d’infrastructure et pour couronner le tout, la consécration de la neutralité technologique pour éviter qu’un opérateur exige une technologie particulière pour se connecter au réseau.
Liberté de choix du client
C’est pour éviter d’embrigader les clients et enlever toute possibilité pour l’opérateur dominant le secteur, de fermer la porte aux jeunes pousses, que l’activité de télécommunication est détachée de celle de transfert d’argent. Mais la pratique des opérateurs depuis un an montre le contraire. Il impossible d’acheter du crédit depuis Wave pour l’opérateur Orange ou Free. Par contre si vous passez par Free Money ou Orange Money l’opération est acceptée. Comment vous appelez cela, discrimination ?
Si l’ARTP continue dans cette inertie la prochaine étape pour les opérateurs sera de nous refuser de renseigner nos numéros de téléphones pour utiliser d’autres produits et ou services des communications électroniques dont ils ne sont pas propriétaire ou partenaire.
L’inclusion financière, qui est un but poursuivi par les finetech peut être considéré comme partie intégrante de l’accès /universel. Les opérateurs sont tenus de rendre ces services dans les meilleures conditions économiques au bénéfice des utilisateurs. Article 24 de la loi précitée.
Pour aller plus loin, mais pas très loin au-delà de l’article 25 toujours de cette même loi, nous avons des garantis pour les utilisateurs en ce qui concerne la liberté dans l’usage des outils et service de l’internet.
Au dela de la neutralité de l’internet, cet article vise la liberté d’utiliser n’importe quelle application qui est conforme à la loi. « Les utilisateurs ont le droit d’accéder et de diffuser les informations et contenus légaux de leur choix, et d’utiliser et fournir des applications, services et équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où ils se trouvent et où se trouve le fournisseur, et quel que soit le lieu, l’origine ou la destination de l’information communiquée, du contenu diffusé, de l’application utilisée ou du service fourni ou utilisé.
Comment, au regard de cet article, l’ARTP laisse encore perdurer les pratiques du zero rating ? Il s’agit de cette possibilité de bénéficier encore de facebook zero même si vos données sont épuisées. C’est possible que cela aide ceux qui n’ont plus de connexion, mais ne pensez-vous pas que c’est plus pertinent dans ce cas d’offrir les mêmes conditions à signal ou télégram ?
Ce que Free permet à Free mobile, Orange à Orange Finance mobile, ils doivent mettre wave dans les mêmes conditions. Inversement, WAVE doit accepter et satisfaire à toutes ces conditions sans subir de discrimination. Si toutes les conditions sont réunies, l’ARTP ne devrait pas avoir de difficultés pour trancher elle n’a pas à craindre que sa décision soit attaquée.
Emmanuel M. Diokh
(Source : Social Net Link, 10 octobre 2022)