Kizito Okechukwu [Sur sa démission de Digital Africa] : « Beaucoup de choses étaient signées et je n’étais pas au courant »
vendredi 30 avril 2021
C’est en juin 2020, après la démission du Sénégalais Karim Sy de la tête de l’association Digital Africa que le Nigérian Kizito Okechukwu, fondateur et directeur exécutif de l’incubateur 22 ON SLOANE basé en Afrique du Sud, est porté à la tête de l’association comme président par intérim. Avec le poste de vice-président.
Mois d’un an après, Kizito Okechukwu lui également démissionne. Il reproche à l’Agence française de développement (AFD) et principalement à la directrice exécutive de Digital Africa, Stéphan-Eloise Gras, la non application des principes de bonne gouvernance dans la gestion de l’association. Le Nigérian espère que sa démission permettra à l’AFD de mettre en œuvre les changements structurels nécessaires.
Dans cette interview exclusive accordée à Digital Business Africa, Kizito Okechukwu explique les raisons de sa démission et propose des solutions pour la résolution des problèmes de l’association menacée de dissolution dès le 05 mai 2021.
Digital Business Africa : Le 21 avril 2021, vous avez démissionné de votre poste de président de l’association Digital Africa. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette décision ?
Kizito Okechukwu : La raison pour laquelle je décide de démissionner est que je n’avais pas de pouvoir de décision. Depuis que j’ai rejoint la direction de l’association, l’on m’a demandé de donner mes pouvoirs à quelqu’un d’autre. A une dame française, la directrice exécutive de l’association. Je me suis plaint de cela. Mais je n’ai pas été écouté. Il y a avait également un manque de transparence dans la gestion. Beaucoup de choses étaient signées et je n’étais pas au courant. Et parfois j’étais obligé de signer des choses.
Digital Business Africa : L’on vous a forcé à signer des documents ?
Kizito Okechukwu : Oui. Parfois, l’on m’a donné des documents me demandant de les signer, parce que l’activité ou le service avait déjà été exécuté et que l’avocat demandait d’avoir ma signature indiquant que j’avais fait une erreur. Donc, il y avait beaucoup de manque de transparence.
Digital Business Africa : Il y a quelques mois, l’on évoquait la dissolution imminente de l’association Digital Africa. Quelle est la situation de l’association à ce jour ?
Kizito Okechukwu : L’association est encore fonctionnelle pour le moment. Comme j’ai démissionné, je ne peux vous répondre avec exactitude. Mais, ils ont déjà indiqué qu’ils vont dissoudre l’association. Je leur ai demandé plusieurs fois pourquoi ils veulent dissoudre l’association au lieu de se focaliser sur la résolution des problèmes de l’association. Parce que le problème que nous avons est un problème de gouvernance. Pourquoi ne pas résoudre les problèmes ? Pourquoi ne pas limoger ceux que vous voulez limoger et laisser l’association fonctionner ? Ils protègent leur compatriote française. Ils m’ont donc laissé entendre que si je ne démissionne pas, la seule option sera de dissoudre l’association. Je me suis donc dis que je ne veux pas faire partie de ceux-là qui vont participer à la dissolution de l’association. D’où ma décision de démissionner.
Digital Business Africa : L’AFD vous a-t-elle demandé de démissionner de votre poste ?
Kizito Okechukwu : Oui, ils l’ont demandé indirectement. Ils me demandaient de démissionner depuis à travers leurs actes. Par exemple, les actions de la directrice exécutive qui est protégée par l’AFD et par l’Elysée. Si vous êtes directeur exécutif, c’est à vous de faire un rapport de gestion au conseil d’administration. Ce n’est pas au conseil d’administration de vous faire un rapport. Ce n’est pas correct de le demander. A présent, lorsque qu’on demande de faire les choses normalement, ils veulent nous retirer du conseil ainsi que d’autres membres du conseil d’administration. J’ai donc estimé que c’est le moment de démissionner, car nous nous sommes plaints auprès du directeur de l’AFD et au président français. Ils ne nous ont pas écoutés.
Digital Business Africa : Donc, vous avez écrit et fait part de vos difficultés au président français Emmanuel Macron…
Kizito Okechukwu : Non. Je me suis plaint auprès de l’AFD. Pas directement auprès du président français. Je leur ai clairement dit : « SVP parlez de nos différences au président français Emmanuel Macron, car vous interférez négativement dans la gouvernance de l’association ». Et je n’ai pas reçu de réponse à ma lettre.
Digital Business Africa : Un conseil d’administration convoqué par Jean-Pierre BARRAL, représentant de l’Agence Française de Développement (AFD), s’est tenu le 18 février 2021, en l’absence de plusieurs membres, dans le but de dissoudre l’association. Quelles ont été les résolutions de ce conseil d’administration dont vous avez contesté la tenue et auquel vous n’avez pas participé comme vous l’avez annoncé dès le départ ?
Kizito Okechukwu : J’ai demandé les résolutions de ce conseil et ils ont refusé de me les envoyer. Je sais que l’une des résolutions de leur CA était de me destituer. Mais, ils ne l’ont pas fait. Je ne sais pas ce qui s’est passé par la suite.
Digital Business Africa : Dans des posts sur Twitter il y a quelques semaines, Rebecca Enonchong, membre du conseil d’administration de Digital Africa, s’insurgeait du fait ce que ce soient les Africains du CA de Digital Africa qui luttent aujourd’hui pour la transparence des processus et la bonne gouvernance du conseil d’administration de Digital Africa. Pour elle, les organisations françaises, l’AFD principalement, s’activent pour dissoudre l’association au lieu de corriger les dysfonctionnements qu’ils ont créés. Partagez-vous cet avis ?
Kizito Okechukwu : Absolument ! Elle a mentionné comme tout monde les problèmes de mauvaise gouvernance. Vous ne pouvez pas me demander moi, président, de donner mes pouvoirs à un directeur exécutif qui ne respecte pas le conseil d’administration et le président de l’association. Un directeur exécutif qui n’écoute personne et qui veut remplacer les membres du conseil d’administration. Cela ne s’est jamais fait dans le monde.
Digital Business Africa : Pensez-vous qu’en changeant de président de l’association la situation restera pareille ?
Kizito Okechukwu : A mon avis, je pense que les Français doivent décider de ce qu’ils veulent réellement faire et le faire eux-mêmes en tant que Français, comme une initiative française. Pas vouloir faire quelque chose, nous associer, et la placer sous la bannière d’une initiative entre la France et l’Afrique. Parce qu’actuellement, ce n’est pas une initiative entre les Français et les Africains.
Digital Business Africa : En acceptant la présidence de l’association Digital Africa après la démission de Karim Sy, saviez-vous que les relations avec l’AFD seraient assez compliquées ?
Kizito Okechukwu : Oui. J’étais au courant de la situation avec l’AFD. J’avais d’abord discuté avec Karim Sy et il m’avait dit qu’il y avait un manque de transparence dans la gestion de l’association. Je suis arrivé avec la bonne intention de changer les choses, mais cela n’a pas marché.
Digital Business Africa : Donnez-nous un exemple d’actions de la directrice exécutive de l’association qui illustre vos propos…
Kizito Okechukwu : Par exemple, la signature des contrats au nom de l’association sans un mandat. Elle a signé des contrats au nom de l’association sans avoir le mandat de le faire. Plus encore, elle ne respecte pas le conseil d’administration et ses membres. Elle me force à lui donner tous mes pouvoirs. Et elle est très protégée par la Présidence française et par l’AFD dans ses actions.
Digital Business Africa : Quelle serait d’après vous la meilleure solution pour sortir de l’impasse et faire en sorte que Digital Africa prenne effectivement son envol comme le souhaitait il y a quelques années le président français Emmanuel Macron ?
Kizito Okechukwu : Il faut commencer par respecter les statuts de l’association. Pour moi, il n’y a pas de problème de gouvernance. Je pense que les gens se servent de cet alibi comme d’une couverture. Les statuts de l’association sont clairs. Le problème auquel nous sommes confrontés, c’est qu’il y a des interférences dans la mise en œuvre et le respect des dispositions statutaires. Quand un pouvoir qui n’est pas destiné au directeur exécutif est accordé au directeur exécutif, alors vous allez vous battrez ! Je pense que le problème est que la directrice exécutive n’est pas transparente et elle est protégée par les dirigeants politiques français, parce qu’elle est Française. C’est pourquoi elle a toutes ces protections. Pour moi, il n’y a donc pas de problème de gouvernance. Simplement, des gens refusent de respecter les statuts de l’association. D’où leur volonté de la dissoudre.
Propos recueillis par Beaugas Orain DJOYUM
(Source : Digital Business Africa, 30 avril 2021)