Kabirou Mbodje dans « Entretien » : « Steve Jobs et Bill Gates ont commencé dans des garages… Il faut se lever le matin et avoir l’envie de changer les choses… L’Afrique doit être connectée au reste du monde »
samedi 11 février 2017
Au sommet de l’actualité depuis qu’il s’est offert Tigo, le Sénégalais, Kabirou Mbodje est, semble-t-il, loin d’être dépassé par les événements. Invité de Dakaractu dans « Entretien », la patron de Wari livre la philosophie à la base de son succès et invite les jeunes entrepreneurs à faire sien le verbe « Oser ».
L’homme d’affaires Sénégalais est aussi revenu sur les contours de la transaction avec Camberos avant de décliner ses nouvelles ambitions. Entretien…
Son nom figure en bonne place dans le profil des personnes en hausse. Son dernier achat se chiffre à 80 Milliards FCFA. En effet, Tigo Sénégal est tombé dans l’escarcelle de Kabirou Mbodje, le PDG du groupe Wari. L’homme fascine autant qu’il impressionne, le self-made man est l’invité de ce numéro d’entretien sur Dakar Actu.
Bonsoir Mr. Mbodje
Bonsoir.
Est-ce que l’étiquette de self-made man vous sied ? Est-ce que vous êtes d’accord avec cette étiquette qu’on vous colle ?
Oui, et je pense que l’étiquette de self-made man sied à tout entrepreneur qui se lève le matin et décide de créer une entreprise et de débloquer une activité quel que soit le profil qu’il a. Effectivement c’est un self-made man parce qu’il compte d’abord sur lui avant de compter sur les autres.
Êtes-vous conscient que ces derniers jours, vous faites le buzz avec le rachat de Tigo à 80 Milliards de FCFA ? Comment se sent Kabirou Mbodje après ce rachat ?
Alors le rachat, il ne faudra pas s’attarder sur les montants. C’est un rachat avec une valeur et une offre derrière. Je pense les gens en font cas parce que peut être ce n’est pas fréquent et on aimerait bien que ça soit plus fréquent que les Africains, les Sénégalais osent, ne se donnent pas de limites et se disent que c’est possible d’aller acquérir des activités, des sociétés quel que soit l’endroit où ils sont, en fonction des synergies que ça peut avoir avec son activité propre.
Comment ça s’est passé ? On aimerait bien savoir. Qu’est-ce qui a fait la différence ? Qu’est-ce qui a fait que Kabirou Mbodje a raflé la mise, devançant ses concurrents ?
Mais je pense qu’on avait déjà une offre. J’en profite pour remercier toute l’équipe qui a travaillé sur ce projet d’acquisition. Ils sont vraiment très professionnels. Aussi bien nos équipes en interne que nos partenaires, consultants, avocats et autres financiers qui ont travaillé sur ce montage-là. Je pense que c’est ce qui a fait la différence. Une offre adaptée, une vraie convergence par rapport à WARI et l’activité que WARI développe en Afrique et par le monde, et enfin une meilleure provision financière. Je pense que c’est le package, la combinaison de tout cet ensemble qui a déclenché le choix de Millicom de nous vendre sa société.
C’est quoi l’objectif, le but de ce rachat de Tigo ? Vous visez quoi à travers cette transaction ?
Ce que nous visons aujourd’hui c’est créer une convergence d’activités. On parle de l’économie digitale et quand on parle de l’économie digitale, les gens ont tendance à penser Internet. L’économie digitale, c’est de faire en sorte qu’il y ait convergence entre les services, la finance et l’outil, le véhicule qui est la Telecom. Sans les trois nous ne pouvons pas parler de l’économie digitale. Donc, c’est ce que nous avons compris. Nous avons développé la plateforme Wari et nous l’avons étoffée de services : de services financiers et d’autres services non financiers. Nous avons créé des partenariats avec des banques parce que Wari anime un ensemble de partenaires dont des banques qui offrent des services financiers et, à ça nous avons greffé la dernière pierre qui est la partie Telecom pour permettre de créer la capillarité et de donner un accès global à l’ensemble des services qui sont fournis.
Alors c’est une première en Afrique que les services Telecom soient rachetés par un Africain, un Sénégalais de souche. Est-ce que Kabirou Mbodje est aujourd’hui dans la logique de changer ce qui est déjà acquis au niveau Tigo, en y apportant des innovations, ou justement Kabirou Mbodje va rester dans cette même dynamique en laissant continuer son actif ?
Il y a deux questions dans la question. La première chose sur le fait que ça soit une première. Tant mieux que ça tombe sur nous, mais on n’y a pas réfléchi en tant que première. On réfléchit en tant qu’opportunité de renforcer notre position et de pouvoir mieux développer nos activités conformément à nos stratégies. C’est la première chose. Il s’est fait que c’est passé par le rachat d’une multinationale et c’est tant mieux. J’en profite pour dire aux gens que quel que soit le domaine d’activités où ils sont, les sénégalais, les chefs d’activités sénégalais ou africains, ils peuvent le faire, ils doivent aller conquérir le monde. Ça c’est la première chose.
Concernant Tigo en lui-même, aujourd’hui il faut partir d’un constat d’une offre de service, d’un service public que sont les Télécoms et de pouvoir faire mieux, proposer une meilleure qualité de services, plusieurs services à la disposition des populations et avec des prix toujours moins chers et abordables pour que tout le monde puisse en profiter pour que ça crée un écosystème qui génère des emplois pour que la jeunesse sénégalaise, la jeunesse africaine puisse s’y engouffrer et créer leur propre valeur ajoutée. Cela va profiter au Sénégal et profiter à notre continent
Vous êtes le PDG de Wari. Comment se porte WARI actuellement ?
Il se porte très bien. Aujourd’hui nous sommes partis d’un pays en 2008, date de la création de Wari, avec une banque et je rappelle une banque Sénégalaise, la première banque à nous faire confiance, donc il faut que les sénégalais se fassent confiance pour arriver à ce genre de résultat. Nous sommes partis avec une banque et aujourd’hui sommes dans 40 pays en Afrique et 62 pays dans le monde et 152 banques qui sont partenaires de la plateforme Wari et des centaines d’institutions de micro-finance plus des dizaines et dizaines de milliers de partenaires, de points partout en Afrique. Voilà un peu, les statistiques de Wari. On passait d’une vingtaine de transactions par jour à des millions de transactions par jour. Voilà, on peut s’en féliciter et on espère que l’engouement suscité par les populations par cette acquisition va se traduire par une adhésion au projet de Wari, et avec le projet Tigo, je pense que ça va créer un ensemble qui va plaire au sénégalais.
Kabirou Mbodje a un parcours assez élogieux. Aujourd’hui, il est au sommet… je peux dire ça avec ce qui vient d’être fait. Alors, c’est quoi le message que Kabirou Mbodje veut livrer aux sénégalais. Qu’ils continuent à avoir confiance en eux-mêmes et croient en leurs capacités ?C’est quoi aujourd’hui le message de Kabirou à l’endroit des africains en général ?
Déjà on n’est pas au sommet, nous avons un long chemin à parcourir. On n’est qu’au début. Cette acquisition n’est que le début d’un long travail pour offrir le meilleur aux Sénégalais, aux Africains. Effectivement, on a commencé dans une pièce qui fait 26 m2 à deux et maintenant il y a plus de 300 personnes dans cet immeuble qui travaillent sur le projet Wari. Ça va se développer avec l’apport de tout le staff de Tigo etc… Ce que je peux dire aux gens, c’est qu’il faut croire en soi. Comme on dit : on le fait parce qu’on ne savait pas qu’on pouvait le faire. Donc voilà, il faut se lever le matin et avoir l’envie de changer les choses, d’avoir envie de changer son quotidien, avoir envie d’améliorer la vie des gens autour de soi et à ce moment-là, les choses se mettent en place parce qu’avec abnégation et avec pugnacité, on finit par ouvrir petit-à-petit des portes et on commence à développer une activité et à réaliser ses rêves.
Jusqu’où peut aller l’ambition de Kabirou Mbodje ?
Jusqu’où doit aller l’ambition de n’importe qui dans le monde. De la même chose, je donne l’exemple de Visa, de Coca Cola, l’exemple d’Apple, Microsoft. Quand vous regardez Steve jobs ou Bill Gates, ils ont commencé dans des garages, l’un dans celui de son père, l’autre dans sa maison, dans sa chambre. Ils ne se sont pas posé de questions. Ils travaillaient sur leur concept et les choses sont venues… L’argent, ce n’est pas ce qui vient avant. Quand on a démarré une activité en pensant à ce qu’on va gagner, on a forcément beaucoup de déception au départ et beaucoup de difficultés pour atteindre les objectifs. Mais quand on pense à ce qu’on doit faire de différent de ce que font les autres, ce qu’on doit faire pour changer les choses, à ce moment-là tout se greffe autour et les résultats arrivent, mais il ne faut jamais arrêter.
Ça vous est arrivé d’avoir des doutes dans votre parcours ?
Oui tout le monde a des doutes. On a eu des gros et on a eu même des périodes catastrophiques dans le parcours où vous pensez que vous avez fait un bon bout de chemin et du jour au lendemain, vous perdez tout et vous vous retrouvez à redémarrer à zéro. C’est arrivé quelque fois. Mais ce qui fait la force d’une personne, ce n’est pas de dire j’ai essayé et j’ai réessayé … c’est de dire combien de fois tu as essayé et c’est ce qui définit la valeur d’une personne. Les doutes ça peut arriver à tout le monde, dans la maison, dans le travail, qu’on soit employé ou entrepreneur. Encore une fois, il faut ou être croyant ou avoir la force de se lever tous les matins et de se dire que ce jour-là sera meilleur que demain et en ce moment-là, ça vous fait avancer.
Comment analysez-vous de manière générale l’environnement des affaires en Afrique ?
Au Sénégal, il faut saluer les autorités parce qui font de gros efforts. Regardez l’attention qu’elles mettent pour renforcer la notation dans le doing business. Cela veut dire qu’il y a une vraie volonté de créer des conditions pour qu’éclose l’entreprenariat Sénégalais. Il faut que les entrepreneurs croient en eux. Les Sénégalais ont montré qu’ils pouvaient croire aux entrepreneurs Sénégalais. On les remercie parce que cela motive. Ce qu’il faut, c’est que les gens prennent exemple sur cela pour faire mieux de sorte à développer les services qui sont adaptés et demandés par les populations. En ce moment là, je pense que les pouvoirs publics nous accompagneront et mettront le cadre pour que cela profite à tous.
L’Etat crée les conditions, le privé doit aider les jeunes à lutter contre le chômage. De Wari à Tigo, vous allez contribuer à donner aux jeunes du travail ?
Quand on est entrepreneur, c’est qu’on veut créer son propre emploi. Créer plus de valeurs ajoutée, c’est créer plus d’emplois. Ce que nous voulons faire… que nous avons fait avec Wari en créant plus de 18 mille emplois directs, c’est faire en sorte que, grâce à la combinaison de Wari et Tigo, cela génère énormément d’opportunités, d’emplois et que la jeunesse Sénégalaise puisse s’y engouffrer et faire éclore cette créativité qu’on voit à travers les initiatives privées…mais pour que ça devienne quelque chose de costaud, il faut un écosystème organisé. Tout ce que nous essayons de faire, c’est organiser ou contribuer à organiser le système et faire en sorte que chacun s’y retrouve pour ou créer son emploi, ou profiter de cette opportunité pour avoir un emploi et générer des revenus qui vont profiter à l’ensemble de la nation.
Quelle sera la prochaine étape de Kabirou Mbodje après les télécoms ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, ce que nous essayons de faire depuis que nous avons créé le concept Wari, c’est de faire en sorte de répondre aux besoins des Africains. Aujourd’hui, c’est de connecter l’Afrique à elle-même, que chaque Africain, quel que soit l’endroit où il est sur le continent, soit connecté et puisse profiter de l’énergie, de la synergie de la valeur ajoutée des uns et des autres. Que l’on fasse en sorte que l’Afrique soit connectée au reste du monde. Pas que le reste du monde soit connecté à l’Afrique pour ses besoins, mais que nous, l’Afrique, nous nous mettions ensemble pour qu’on aille peser sur l’économie mondiale et que notre voix, notre image soient renforcées et qu’on puisse faire jeu égal avec l’ensemble des acteurs.
Après le rachat de Tigo Sénégal par Kabirou Mbodje, les Sénégalais ont eu un sentiment de fierté. Cela vous réconforte ?
Non seulement cela nous réconforte, mais cela nous ramène à beaucoup plus de responsabilités. Cela veut dire que les gens croient en nous et ont des attentes. Et cela se traduit par une vraie réponse en terme de qualité, en terme de prestations de services, en terme de coût et de plus de responsabilité par rapport à leurs attentes.
Qu’est ce qu’elle est devenue… Soda ?
C’est l’assistante la plus fidèle. Vous m’interviewez moi, mais c’est elle la star de l’entreprise. C’est elle le pilier. Tous les employés la vénèrent. Elle a énormément de valeurs. Elle est décisive dans l’âme de Wari. Pour cela, je la salue. La fidélité, le sérieux, l’abnégation et le professionnalisme. C’est ce qu’elle incarne et c’est pourquoi je suis content de l’avoir à mes côtés.
Quel message aux jeunes entrepreneurs porteurs de projets ?
Allez-y ! Allez-y ! Essayez et que personne ne vous dise que ce n’est pas possible, faites-le et faites le ensemble et allez jusqu’au bout de vos rêves parce que vos rêves sont valides...
(Source : Dakar Actu, 11 février 2017)