Ismaïla Sidibé, PDG d’Africable Network : « Faire une télévision où tous les Africains vont se retrouver »
vendredi 5 novembre 2004
Ismaïla Sidibé est né au mali où il a grandi. À 43 ans, il est dans l’audiovisuel depuis près de deux décennies avec, comme porte d’entrée, les antennes paraboliques, les ondes hertziennes et, aujourd’hui, le câble. Propriétaire de deux réseaux de câbles au Mali (Multicanal à Bamako et Mali Télévision dans les régions), il s’est associé à d’autres opérateurs du Togo, du Bénin et du Cameroun. Profitant de l’avènement des nouveaux équipements de régie et de diffusion numérique avec la mise sur orbite de satellites arrosant l’Afrique, ils ont lancé ensemble « Africable network ». Aujourd’hui, M. Sidibé veut réussir l’intégration à sa manière, en passant par l’audiovisuel.
Peu d’Africains osent investir le créneau de la télévision. Comment s’est effectué le montage d’Africable et avec quelles ressources ?
« Africable vient directement des deux mots : Afrique et câble. L’association des opérateurs privés de télévision d’Afrique (OPTA) dont je suis le secrétaire général avait organisé ses premières assises au Sénégal en 1999. Les câbles opérateurs avaient remarqué qu’il y a un manque criard de chaînes africaines. Avec des collègues du Togo, du Bénin et de Djibouti, nous avons eu l’idée de nous associer, dans un premier temps en 2000, pour créer une société de droit malien. À l’époque, il n’y avait pas les autorisations alors qu’en France il n’était pas nécessaire d’avoir une autorisation. Presque au même moment était créé Sud TV. Nous avons donc signé une convention avec la chaîne française RFO qui était la première équipée en numérique. C’était un bouquet de chaînes cryptées destiné à tous les opérateurs du réseau africain comme Excaf au Sénégal et Médiatrix au Togo. Au bout d’un an, il faut dire que l’opération n’a pas bien marché car cela nous revenait excessivement cher. Nous avons donc arrêté cette expérience et j’ai repris l’opération au Mali où j’ai eu les documents nécessaires pour l’installation et la diffusion. C’est ainsi que grâce à un financement d’Ecobank, nous sommes aujourd’hui équipés au même niveau que des chaînes comme « Beur TV » en France. Nous n’avons donc aucun complexe avec le numérique, de la fabrication de la chaîne à la montée sur le satellite. Et ce sont des opérateurs locaux qui reprennent le signal dans les différents pays. Au Sénégal, c’est Excaf de Ben Bass. Nous sommes rediffusés au Burkina, en Guinée, au Mali, au Cameroun et au Congo. Bientôt, nous serons au Bénin, au Niger et en Côte d’Ivoire. Nous avons changé de politique en optant carrément pour une chaîne africaine généraliste et familiale qui mise sur l’interactivité avec des jeux par SMS et audiotel, une chaîne qui va vivre de sponsoring, d’institutionnel et de production. Les autorités maliennes nous ont accordé des exonérations l’année dernière après le financement d’Ecobank et Africable tourne depuis 120 jours aujourd’hui (l’interview a été réalisée le 29 octobre dernier, ndlr) »
Parlez-nous maintenant des hommes qui font Africable. Qui sont-ils ?
« Les hommes financiers ou les hommes techniques ? »
Les hommes techniques d’abord...
« Le directeur technique est Camerounais, le directeur des programmes est Sénégalais, le directeur de l’informatique et de l’interactivité est Ivoirien. Nous avons aussi des Maliens, une Française, bref un peu de tout. Aujourd’hui, nous sommes 18 personnes dans la chaîne et montons en puissance puisque nous allons vers la production, les plateaux et, au fur à mesure, proposerons autre chose au public. Je suis simplement à la recherche des meilleurs »
Quelles sont les cibles d’Africable ?
« C’est tout public. Nous nous sommes dit que les quatre grands pays de la diaspora africaine sont le Sénégal, le Mali, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. En comptant avec la production nationale, chaque jour à Bamako nous captons toutes ces chaînes qui sont sur le satellite et sélectionnons 12 à 15 minutes des journaux télévisés nationaux afin que le Sénégalais de Yaoundé ou le Malien de Poto-Poto au Congo sache qu’il se passe quelque chose chez lui.
Les informations internationales, Africable ne s’en occupe guère. Nous allons ensuite vers les coproductions avec les télévisions nationales. Par exemple avec la RTS, nous avons déjà co-produit des émissions de forum et des distractions comme « Africa Show ». Notre ambition est de pousser au développement de la production privée dans le continent en offrant un support panafricain. Nous sommes fiers de voir que la musique burkinabé, qui n’était pas très bien connue au Sénégal, commence à l’être à travers notre chaîne. Des échanges comme ça, seule la télé peut les permettre. Je suis ainsi venu au Sénégal pour voir quelle forme de coopération développer avec le quotidien « Le Soleil ». Grâce à Internet, chaque jour à 13 heures nous allons faire la revue de la presse africaine. Aujourd’hui, nous avons des antennes Africable au Burkina et nous pensons en créer en Guinée et au Sénégal »
Compte tenu de la frilosité qui semble caractériser les autorités africaines lorsqu’il s’agit de chaînes de télévisions privées, comment a été accueillie Africable par les hommes politiques ?
« Nous ne pensons pas faire de la politique quand notre chaîne s’implantera au Sénégal. Africable n’est pas une télévision privée locale, mais une chaîne privée panafricaine diffusée par satellite dont la vocation est d’être regardée par tous les Africains. Dès ce moment, nous sommes conscients des contraintes et savons où nous voulons aller. Notre chaîne n’est pas une télévision politique, nous voulons apporter notre pierre au développement de l’Afrique sur le plan culturel. C’est ainsi que nous avons organisé « La nuit du foot » à Bamako en 2002 grâce à la Radio Télévision Sénégalaise (RTS) qui nous a soutenus avec une tonne de matériel. Nous l’avons réédité cette année lors de la coupe d’Afrique à Tunis et la RTS était encore présente en même temps que l’ORTM (Mali), la CRTV (Cameroun) et la RTI (Côte d’Ivoire). Nous avons également réalisé « La nuit des stars » qui a été rediffusée par des chaînes nationales africaines. Il y a tellement à faire dans nos pays ! Je comprends nos hommes politiques. Les rapports que nos populations entretiennent avec la télévision sont souvent très compliqués. Notre objectif est de nous mettre en situation de complémentarité avec les télévisions nationales qui, elles, ont des missions du service public que nous n’avons pas. Il y a aussi certaines choses qu’elles ne peuvent pas faire ou qui ne sont pas dans leurs objectifs. C’est dommage d’ailleurs qu’on diffuse en clair les chaînes francophones internationales CFI et TV5 et qu’on ne puisse pas faire une télévision transnationale africaine »
Revenons aux hommes financiers d’Africable...
« Nous avons monté Africable avec différents opérateurs associés dont une Togolais, un Béninois et d’autres promoteurs bien que je sois l’actionnaire principal. Et depuis le transfert de la chaîne à Bamako, les équipements et le business plan ont été assurés par Ecobank Mali. Dans les trois prochaines années, nous pensons investir dans la formation audiovisuelle parce que nous n’avons pas d’expertise numérique. Des emplois seront donc créés et il y a toute une industrie que nous devons mettre en place. N’oubliez pas que dans la plupart des pays africains existent des sociétés de câble. Au Mali c’est Multicanal, au Togo c’est Média Plus, etc. »
Qu’est-ce qui fait alors la différence avec Africable ?
« Nous voulons simplement faire une chaîne où tous les Africains peuvent se retrouver dans l’essentiel des programmes. Nous ne pouvons pas imposer une autre musique africaine au Congolais qui adore son ndombolo. Par contre, nous avons des émissions de débat qui portent sur les mêmes problèmes : des faits de sociétés, des situations économiques similaires et des problèmes d’existence communs. Et si aujourd’hui on parle beaucoup d’Africable, c’est grâce à l’interactivité parce que nous essayons d’amener le téléspectateur africain au centre de la chaîne et non le contraire. Il faut qu’il puisse donner son avis grâce au SMS, à l’audiotel, et faire ses dédicaces directement à l’antenne. Les gens peuvent envoyer des messages sur les disques d’or qui sont balancés à une certaine heure pendant la nuit. Nous allons créer des fans-clubs, réunir du monde autour de la chaîne. Pour moi, la télévision est un business comme un autre avec des règles très dures. Quand on dit qu’une émission commence à 21 heures, c’est à 21 heures pile parce que nous avons les équipements qu’il faut et nous les mettons à la disposition des équipes. Nous n’avons pas de contraintes sur ce plan-là »
Vous parlez souvent des Africains du continent, mais depuis un certain temps il est de plus en plus question de ceux de la diaspora. Vous pensez également à eux...
« La première diaspora africaine est en Afrique. À Bamako, il y a un quartier qu’on appelle Wolofo Bougou ou la case des Wolofs. Il y a un marché Sandaga à Douala. Le terme poto-poto, qui signifie boue, ce sont les Maliens qui l’ont emporté avec eux au Congo, etc. Donc, la première diaspora, elle n’est pas en Europe ou aux Etats-Unis, elle est ici. Avec l’aide des uns et des autres et grâce à notre politique de développement, nous espérons bientôt être présents au Maghreb et aux Etats-Unis.
Pourquoi pas ? Dans un premier temps, cette diaspora africaine est déjà servie. Au Sénégal il y a des ressortissants de pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Mali qui ne savent pas qu’Africable existe chez eux. Donc le problème de la diaspora est primaire et se situe en Afrique. Maintenant, au lieu d’aller chercher des solutions qu’on a sous la main, nous allons développer des émissions d’échanges entre les pays, par exemple sur les secrets de la femme burkinabé ou de la femme sénégalaise. Nous voulons vendre comme Canal Plus Horizons.
C’est un business pur et dur. Pour que tout le monde regarde la chaîne, il faut des programmes où chacun se retrouve. Le reste est juste un problème d’équipement. Nous avons choisi le numérique parce que nous maîtrisons cette technologie. Il faut maintenant qu’on mette l’accent sur les échanges afin que le Sénégalais connaisse mieux le Malien, que le Malien sache ce qui se passe au Burkina Faso et au Cameroun. Nous avons vu récemment sur Africable le vote du chef de l’Etat camerounais lors de la récente élection présidentielle. Il y a deux ans, il fallait regarder CFI ou TV5 pour voir cela. C’est ça Africable ! »
Quelque chose que vous aimeriez ajouter ? Un message ?
« Le grand message que je lance toujours, c’est de dire à tous ceux qui regardent notre chaîne que nous attendons de tout cœur leurs critiques et suggestions car cela nous pousse à nous améliorer. Africable c’est pour tout le monde et nous serons toujours près des téléspectateurs quel que soit leur pays. Au bout de quatre mois d’existence, nous savons que nous avons notre place dans l’univers de l’audiovisuel ».
Propos recueillis par Fara Sambe
(Source : Le Soleil, 5 novembre 2004)