Le livre de Yves Eonnet et de Hervé Manceron intitulé “Fintech : les banques contre -attaquent” est un concentré des enjeux majeurs d’une activité attaquée dans ses frontières par les GAFA, leurs équivalents chinois BATX, les opérateurs télecoms et les Fintech. Autant de convoitises qui forcent la banque et sa vieille architecture informatique à organiser la riposte. Entretien avec Yves Eonnet, PDG de TagPay.
Dans votre livre, vous dites que l’Afrique est le siège de la banque de demain. Qu’est ce qui vous le fait dire ?
Quand on est en Californie , dans la Silicon Valley, personne ne travaille à la remise en cause du système bancaire. Il y a une telle montagne d’intérêts, d’obstacles, de puissance de la régulation et de gens installés qu’il ne viendrait pas à l’idée d’une personne bien constituée de vouloir changer la donne. Or l’Afrique est dans un autre cas de figure. Entre 80 et 85% de la population n’a pas de compte bancaire mais a un mobile. Il n y a pas d’obstacles dans ce cas de figure. Il ne s’agit pas de détruire ce qui existait, mais de trouver le meilleur moyen d’atteindre la population non bancarisée et qui a besoin de services financiers. On est donc libre d’inventer et c’est ça la Silicon Valley. Cette liberté d’inventer existe aujourd’hui en Afrique, pas en Californie.
Mais paradoxalement, il n’y a pas encore beaucoup d’inventions technologiques à l’actif de la Silicon Valley africaine ?
Il ne s’agit pas d’inventer une technologie révolutionnaire ou de lancer des mécanismes nouveau dans la physique fondamentale. On veut très intelligemment utiliser les dernières technologies en l’occurrence l’informatique du Cloud, les télécoms, l’informatique du temps réel , -des architectures complètement communes -, pour créer une nouvelle façon d’échanger de l’argent.
L’Afrique n’a peut être pas fait des découvertes sur ces dernières années, mais elle ne cesse d’innover en particulier dans la finance digitale. Sur ce point, le continent présente des similitudes frappantes avec l’Inde, qui avait été sous-estimée dans sa capacité d’inventer des business modèles innovants dans le domaine des TIC. Certains cabinets américains avaient mordicus soutenu que l’Inde ne pourrait pas vendre plus de 250 000 téléphones par an. C’est aujourd’hui le volume écoulé par minute !
Dans votre livre, il est question de système d’information comme frein vers la nouvelle banque. Cet obstacle n’est-il pas aussi présent en Afrique puisque la plupart des filiales locales sont reliées à leurs maisons mères par ces mêmes SI ?
Oui , bien sûr. La banque africaine d’aujourd’hui est la banque privée européenne, qui s’adresse à 10% de la population. Ce n’est pas cette banque là qui va aller chercher les 90% non bancarisés. C’est une nouvelle banque qui s’appelle la banque digitale qui fera ce travail. L’histoire des Core Banking System (CBS) n’a aucun succès en Afrique puisqu’elle n’a pas réussi à élargir sa cible au delà de la crème de la crème, ces fameux 10%. Or l’objectif d’un système bancaire c’est de toucher toute la population.
Comment appréhendez-vous les intrusions des GAFA dans le secteur bancaire en général et africain en particulier ?
Cela dépendra du dynamisme des banques. Si elles ne font rien, elles vont perdre du terrain au profit des grands acteurs (les GAFA et les BATX) qui vont devenir les fournisseurs des services financiers. Je pense que les banques vont réagir car personne, y compris chez les banques centrales et les régulateurs , mais aussi à la Banque Mondiale, n’a intérêt à ce que les grands mastodontes californiens deviennent les fournisseurs des services financiers pour le reste du monde. Les GAFA sont en définitive de formidables aiguillons qui vont forcer les banques à bouger.
En plus des GAFA, il y a aussi les opérateurs télécoms ?
C’est le même débat . Mais je pense que laisser les opérateurs télécoms faire de la finance revient à dire aux constructeurs d’autoroutes de fabriquer des voitures. Ce n’est pas leur métier. Les opérateurs télécoms doivent rester dans leur métier en fournissant leurs services aux tarifs les plus bas. Les banques n’ont qu’à utiliser ces autoroutes, ces canaux, pour délivrer leurs services. Évidemment, si les banques ne font rien, l’on tombe dans le scénario du Kenya en 2007 quand Mpesa est venu pallier aux défaillances du secteur dans ce qui est devenu une success story.
Orange Bank a démarré en Europe mais n’a pas encore obtenu l’agrément du régulateur en Afrique de l’Ouest ?
La situation de cette région est différente avec l’Afrique de l’ Est, notamment du Kenya et de la Tanzanie où les banques ont tendance à faire place aux opérateurs télécoms. En Afrique de l’Ouest quand je parle aux régulateurs, je comprend que le rôle de la Banque Centrale est de protéger les citoyens et de s’assurer que l’espace économique reste suffisant pour que les banques se développent. Le rôle d’une banque n’est pas de faire du système de paiement et de transfert. Le rôle d’une banque c’est d’animer l’économie locale. Il s’agit en fait de mobiliser l’épargne locale pour financer l’économie.
En quoi les Fintech vont-elles aider les banques à réaliser leurs missions ?
Les Fintech ont un rôle important. Cela fait 20, 30 ans qu’on apprend aux banquiers à ne pas être créatif. L’objectif des banques est de respecter les normes et non de faire de la créativité. Les Fintech apportent cette créativité en aidant la banque à élargir sa cible à l’exemple du partenariat que nous, TagPay, avons construit avec Société Générale. Une banque occidentale classique ne pouvait pas installer une agence pour moins de 100 000 personnes. Un tel schéma a mal fonctionné en Afrique, zone à majorité rurale. A partir du moment où tout le monde y dispose d’un mobile, il devient possible d’atteindre les 80% d’exclus grâce à la technologie.
Finalement, à quoi va rassembler la banque de demain ? Une pure player ou une banque classique rénovée ?
Une banque est un organisme qui a autorisation de collecter l’épargne et de la fructifier. Les grands acteurs historiques auront toujours un rôle à jouer. De nouvelles banques se créeront en partenariat avec les anciennes à l’exemple de Yup, Pepele. Les régulateurs doivent accompagner la tendance pour aider à l’inclusion financière. Le KYC est inventé il y a cinquante ans dans un contexte particulier. Le développement de la technologie impose le KYE. Aux banquiers africains, je leur dit qu’ils ne se rendent pas compte de leur chance. Ils n’ont qu’à se baisser pour ramasser des clients. Ce n’est pas le cas ici en Europe.
Propos recueillis à Paris par Adama Wade
(Source : Financial Afrik, 7 octobre 2018)