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Interview de Thierno Ousmane Sy, Conseiller spécial du Présient de de la République chargé des nouvelles technologies : « La Solidarité de l’information, un remède contre la fracture numérique »

jeudi 23 octobre 2003

Le concept de " Solidarité numérique " a été présenté pour la première fois par le président Abdoulaye Wade à Genève, Suisse, lors du deuxième sommet préparatoire [1] au prochain Sommet mondial sur la société de l’information prévue en décembre dans la même ville. C’était en février dernier. Le président de la République a aussi exprimé sa pensée dans un article paru dans " Le Monde " du 7 mars 2003. L’idée de la solidarité numérique semble faire son chemin avec succès. Le Sénégal, en tant que pays chargé des NTIC au sein du NEPAD, est parvenu à rallier à cette idée, l’ensemble des Etats africains, certains du Nord, d’Amérique Latine, de l’Asie, l’Inde notamment, l’Organisation de la Francophonie et, plus récemment, l’Organisation de la Conférence Islamique. Dans cette interview exclusive, Thierno Ousmane Sy, conseiller spécial du président de la République chargé des Nouvelles Technologies, revient sur ce concept de solidarité.

Monsieur le Conseiller Spécial, on parle beaucoup, aujourd’hui, du concept de " solidarité numérique ". Que recouvre exactement cette expression ?

La solidarité numérique est une idée que le président Abdoulaye Wade a développée à la PrepCom 2 à Genève. C’est sa contribution au processus qui a été lancé pour lutter contre la fracture numérique. Il a observé qu’il existait beaucoup d’initiatives qui avaient été lancées, parfois régionales, parfois mondiales, comme l’initiative Leyland. Mais aucune d’entre elles n’a en fait réellement solutionné le problème de la fracture numérique. Au contraire, l’on constate aujourd’hui que la fracture devient de plus en plus béante.

Le président Wade, qui a étudié scientifiquement le problème de cette fracture, suggère qu’il faudrait, en réalité, que les trois grands acteurs - les Etats, la société civile et le secteur privé - se mettent ensemble pour générer un fonds pour l’éradiquer.

L’autre constat, c’est aussi que la fracture numérique n’est pas seulement une réalité des pays en voie de développement. Il y a dans les pays développés des distorsions entre les zones rurales et les villes. Par conséquent, ce Fonds de solidarité numérique serait à la disposition aussi bien du Nord que du Sud. L’idée est la suivante : il s’agit de collecter par certains mécanismes des contributions volontaires de la part des trois acteurs (Etat, société civile, secteur privé) qui vont alimenter le Fonds de solidarité numérique. Par exemple, à titre indicatif, on prendrait un dollar par ordinateur vendu pour le compte du fonds ou 1 % d’une communication téléphonique ou 1 dollar par logiciel vendu…

Ces contributions seront donc incluses dans le prix des matériels informatiques ?

Oui, mais ce n’est pas une taxe, j’insiste là-dessus, c’est une contribution volontaire.

Ça veut dire que l’acheteur peut choisir de ne pas la donner ?

Je vous donne un exemple. Vous rentrez dans un magasin à Washington, à Paris ou à Dakar. Vous êtes en train d’acheter un ordinateur portable. Au moment où vous achetez l’ordinateur, vous devez cocher un certain nombre de choses : est-ce que vous voulez que votre disque dur soit de 40 Go ou 80 Go, que votre RAM [mémoire vive] soit de 256 Mo ou 512 Mo, etc. Il y aura aussi une petite case qui vous demandera si vous voulez contribuer au Fonds de solidarité numérique. Si vous cochez cette case, votre ordinateur, au lieu de coûter par exemple 499 dollars, coûtera 500 dollars.

C’est la raison pour laquelle le secteur privé doit être impliqué : parce que si vous rentrez dans le magasin, il faut que celui qui vous vend [l’entreprise privée] vous présente ce papier-là. Il faut donc qu’il soit lui aussi impliqué. Son implication est de l’ordre de celle qui est relative au service Visa ou Mastercard. Dans le cas d’espèce, le client pourrait voir sur la porte du magasin en question le logo de la Solidarité numérique avec le commentaire " Digital Solidarity Accepted in this Shop ". Encore une fois, ce sont des contributions volontaires qui vont alimenter ce fonds. Celui-ci sera géré par une fondation internationale où tous les continents seront représentés et dont les mécanismes de gestion seront parfaitement transparents. Les fonds seront distribués dans le cadre de projets structurants qui vont aider les pays à entrer dans ce que le président Wade a appelé le " Serpent numérique " [voir encadré], la bande quantitative de la société de l’information.

En quoi, ce concept de solidarité numérique se distingue-t-il de celui de fracture numérique ?

On peut dire que la fracture numérique, c’est la maladie, tandis que la solidarité numérique c’est une proposition de remède. Déjà à ce niveau-là, ce sont deux choses qui s’opposent. Ensuite, la solidarité numérique est une approche et une stratégie, c’est aussi une impulsion mondiale. La fracture numérique, c’est quelque chose que les citoyens de la planète subissent alors que la solidarité numérique c’est quelque chose que l’on prend à son compte. On agit sur quelque chose que l’on subit.

Dans l’espace africain où beaucoup de gouvernements freinent la diffusion de l’information, acceptera-t-on toujours de redistribuer les fruits du Fonds de solidarité numérique quand on sait que les résultats d’une telle distribution seront une meilleure diffusion de l’information, donc plus de démocratie ?

Votre question est pertinente : certains pays ont posé le problème de la destination des fonds. La proposition du Président Wade est en effet inédite, car une partie des fonds provient de la Société Civile internationale, c’est-à-dire des peuples animés par la foi en la solidarité mondiale, leurs choix sont donc… ex-politico. C’est en prévision de cela que le Président Wade avait introduit l’idée de la Charte de Solidarité numérique. Pour bénéficier du Fonds, il faut signer ce document qui contient un certain nombre de pré-requis et d’engagements auxquels le signataire adhère.

Ce sont les gouvernements qui signent la charte ?

Oui, ce sont les Etats qui vont signer cette charte, ainsi que les deux autres catégories d’acteurs, la Société civile [c’est-à-dire chaque personne qui achète du matériel et qui veut faire une contribution volontaire] et les organismes privés. Toutes ces entités-là signent la charte pour exprimer leur adhésion à la lutte contre la fracture numérique. En ce qui concerne les Etats, ça pourrait être : " Nous nous engageons à ouvrir le marché des télécommunications ; nous nous engageons à faire tels investissements pour vulgariser l’outil informatique dans les écoles ", etc. Bref, un certain nombre d’engagements seront définis dans la charte. Une fois que vous l’avez signée, le processus se met en branle. Vous imaginez ? Nous avons ici un raccourci évident pour l’émergence d’une harmonisation continentale des environnements réglementaires relatifs aux NTIC… La porte sera donc ouverte pour la réussite par exemple de projets continentaux de services à valeur ajoutée !

Sur votre souci de savoir si les gouvernements accepteront de redistribuer les fonds reçus, nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’information, c’était peut-être possible, il y a quelques années [de freiner la diffusion de l’information], mais plus aucun pays ne pourra résister à l’ouverture des portes de la démocratie. Et c’est grâce en partie aux Nouvelles technologies qu’il en est ainsi.

Concrètement, comment va se faire la redistribution vers les pays bénéficiaires des fonds collectés. Sur quel critère tel pays va-t-il recevoir davantage que tel autre pays par exemple ?

Ce sera en fonction de votre position par rapport au serpent numérique. Il est évident que si vous êtes en dessous du serpent numérique [marge numérique inférieure], vous allez recevoir plus de fonds que si vous êtes au-dessus, tout au moins en valeur relative. Nous, au Sénégal, nous avons une façon de voir les choses que nous allons discuter avec nos partenaires. Nous pensons par exemple que la fondation devra verser 60 % de ses ressources à des projets destinés aux pays les moins avancés technologiquement, 30 % seront versés aux pays émergents et 10 % aux pays avancés technologiquement pour, bien sûr, régler leurs problèmes internes de fracture numérique.

Ça c’est notre proposition, mais le Sénégal est ouvert. Nous allons aux différentes réunions internationales pour discuter justement de tout cela. Sur instruction du Président de la République, je coordonne les travaux d’une équipe d’experts en vue de définir de manière satisfaisante pour nous une norme quantitative rendant compte de l’état technologique d’un pays. L’expert indien qui avait développé le modèle mathématique de e-readiness indien travaille avec nous sur cette question.

Dans les pays du Nord, certains se demandent si le fait de créer un nouveau fonds est opératoire. Il y a déjà, disent-ils, des budgets d’aide au développement qu’il faudrait tout simplement augmenter. Quel est votre avis sur ce point ?

Pour le Fonds de solidarité numérique, c’est différent, car on fait intervenir le secteur privé au départ. Cela veut dire qu’il sait parfaitement où cet argent va aller. Cela veut dire aussi que, pour lui, c’est un win-win. Si les pays en voie de développement technologique disposent de fonds qui leur permettent de rentrer dans le serpent numérique, ce sont de nouveaux marchés pour les entreprises intervenant dans les NTIC. C’est cet aspect win-win qui fait que ce programme est différent de tout ce qui a été fait jusque-là. Il y a une implication dès le départ du secteur privé, de la société civile et des Etats autour du problème. C’est cette synergie qui fait que le programme est beaucoup plus viable, plus dynamique que tous les programmes d’aide au développement qui ont été élaborés jusqu’ici. Il faut leur reconnaître cependant qu’ils s’attaquaient en priorité à d’autres problématiques d’ailleurs souvent très bien adressées. Ici, il s’agit de collecter des fonds selon un mécanisme nouveau, il faut donc de nouveaux instruments ou alors, une re-configuration de ceux qui existent, ce qui en définitive reviendrait au même.

Certains perçoivent encore cette notion de solidarité numérique comme une nouvelle manière de demander toujours de l’argent aux pays développés

- En réalité, la philosophie économique derrière tout cela, c’est ce que le président Wade explique dans son article paru en avril dans le journal " Le Monde ". Il commence par nous parler d’Adam et d’Eve, en nous disant que la première chose qu’ils ont faite c’est de communiquer. Ensuite, il a parlé de communication intra-groupes. Donc il a élargi cette communauté Adam-Eve à un groupe plus large. Il a ensuite parlé de langues. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire qu’en réalité la valeur économique d’un réseau dépend du nombre de personnes qui l’utilisent. Si on transpose cela aux technologies, c’est à cela que ça revient.

Par exemple, vous mettez en place un réseau qui permet à deux personnes de communiquer. Le jour où vous permettrez à ces deux personnes de communiquer avec une troisième personne, votre réseau gagne en valeur ; les matheux vous diront d’ailleurs que cette valeur, puisqu’elle rend compte du nombre de parties possibles (celles qui communiquent) d’un ensemble donné, évolue en 2 puissances n, où n est le nombre de personnes sur le réseau. Voyez-vous, grâce à cette puissance exponentielle, l’effort d’amener une seule personne sur le réseau mondial est très vite récompensée ! Aujourd’hui, le réseau mondial d’Internet a exclu tous ceux qui ne sont pas dans la société de l’information, tous ceux qui ne sont pas dans le serpent numérique, ceux qui ont des problèmes d’accès à la téléphonie, aux ordinateurs, à Internet. Ils ne peuvent pas communiquer, ni avec le Japonais lambda, ni avec l’Américain, etc. Par conséquent, le réseau mondial a un manque à gagner. Il existe 800 millions d’Africains qui sont des clients potentiels de ce réseau et qui lui permettraient de gagner aussi bien en valeur économique - parce qu’il y aurait plus d’échanges - qu’en valeurs culturelles et civilisationnelles. Parce qu’à ce moment-là, l’Afrique pourrait contribuer, avec ses propres contenus, au contenu électronique mondial.

Mais comment, avec tous ses analphabètes et ses illettrés, l’Afrique peut-elle investir la société de l’information ?

Le problème de l’analphabétisme est justement réglé par le réseau. Lorsque vous êtes analphabète et que vous ne savez pas écrire, vous savez parler et puis, de toute façon, puisque vous existez, c’est que l’on peut vous voir. Et, comme le président Wade l’a dit, vous savez communiquer. Les hommes ont communiqué avant d’écrire. L’outil technologique est mis à la disposition de cette communication, c’est tout. Lorsque vous aurez un réseau où vous avez de grandes bandes passantes, vous pourrez faire passer du multimédia confortablement sur ce réseau : vous pourrez envoyer des films africains à des gens qui sont dans leur salle de séjour aux Etats-Unis, vous pourrez montrer la confection de plats cuisinés africains à des correspondants au Japon, etc. Le multimédia, grâce à la connectivité et à la bande passante, va donc développer aussi bien la valeur économique que la valeur culturelle du réseau.

Mais je voudrais vous dire autre chose : le réseau Internet a cela de magique que sa complexité est déportée à sa périphérie. C’est-à-dire que l’intelligence ne se trouve pas sur l’infrastructure de transmission (câbles) qui est au centre, mais plutôt sur celle qui est proche de l’utilisateur final (routeurs, ordinateurs, etc.). Cela veut dire que l’utilisateur final a la main sur les services. Ceci est très important à comprendre : cela veut dire par exemple qu’il sait s’entourer d’une infrastructure hard ou soft personnalisée lui permettant de bien communiquer. Conséquence : vous pouvez installer sur l’ordinateur d’un Peulh du Macina une solution de vidéoconférence traduisant en temps réel ses propos en japonais et qui arriveront à Tokyo à la vitesse de la lumière. Je veux dire par là pour revenir à votre question, que les lettres ont pendant des siècles impressionné l’humanité alors qu’il s’agit de les réduire à ce qu’elles sont pour la majorité des hommes : un médium statique de la connaissance, rendu vivant par l’énergie de l’intelligence. Aujourd’hui, l’homme est parvenu à rendre cette dernière artificielle, le médium doit donc postuler au même traitement. C’est la complexité déportée des réseaux de communication qui permettra cela.

« Le Serpent numérique »

Le serpent numérique, selon M. Sy, " c’est la bande quantitative de la société de l’information ". Ce que le président Wade a introduit, explique encore le conseiller pour les Nouvelles technologies, " c’est la moyenne technologique d’un pays qui constitue sa photographie technologique, fondée sur un certain nombre d’indicateurs dont le choix sera discuté avec les experts internationaux. A titre indicatif, ces indicateurs pourraient inclure le nombre d’ordinateurs par habitant, la télédensité, le nombre de sites web par habitant, etc. Ces indicateurs vont donner l’état technologique de chaque pays.

Ensuite, une norme internationale sera définie, qui va dire : si vous êtes en dessous de cette moyenne technologique, vous êtes hors de la société de l’information ; si vous êtes au-dessus, vous êtes très avancé ; si vous êtes à l’intérieur, tout va bien. L’idée de la solidarité numérique, c’est de faire que le maximum de pays en retard, le maximum de gens puissent entrer de manière satisfaisant dans la société de l’information, c’est-à-dire que la moyenne de leurs indicateurs puisse être à l’intérieur du serpent numérique. "

Propos recueillis par Alain Just Coly

(Source : Le Soleil 23 octobre 2003)

[1] Les PrepCom sont des rencontres préparatoires au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui va se tenir en décembre 2003 à Genève, Suisse, et en 2005 à Tunis. La PrepCom 1 a eu lieu du 1er au 5 juillet 2002 à Genève, la PrepCom 2 du 17 au 28 février 2003 à Paris. La PrepCom 3 s’est déroulé du 15 au 26 septembre 2003 à Genève.

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