Pour avoir son mot à dire sur les avancées technologiques basées sur l’intelligence artificielle (IA), l’Afrique ne doit-elle pas d’abord relever les défis de compétences et d’infrastructures numériques auxquels elle demeure confrontée ? Une réglementation africaine de l’IA, à l’image de l’IA Act européen, ne serait-elle pas un atout, ne serait-ce que pour pouvoir revendiquer la souveraineté des Africains sur leurs données actuellement hébergées ailleurs ? Face à cet abyme de questionnements, il nous a semblé important de prendre du recul en faisant intervenir un expert en stratégie et transformation digitale ayant pris le temps de travailler en profondeur sur la thématique de l’intelligence artificielle. Entretien avec Paterne Bazebizonza.
Cio Mag : Depuis l’adoption de l’IA Act européen et les initiatives américaines pour encadrer les usages de l’IA, le monde se dirige vers des régulations possiblement très variables d’une région à une autre. Cette diversité de lois, règles et frameworks en matière d’IA ne va-t-elle pas conditionner ce que cette technologie pourra faire ou non dans telle région, tel secteur ou tel pays ?
Paterne Bazebizonza : On peut effectivement s’attendre à voir émerger un véritable “éco-système réglementaire” fragmenté d’une région à l’autre. Toutefois, cette diversité des cadres légaux risque d’avoir un impact majeur sur ce que l’intelligence artificielle sera autorisée ou non à faire selon les pays et secteurs d’activité. D’un côté, des réglementations strictes comme l’IA Act européen vont poser des garde-fous encadrant fortement certains usages sensibles de l’IA (reconnaissance faciale, scoring social, etc.). De l’autre, des zones comme les États-Unis ou la Chine adopteront peut-être des approches plus souples, laissant une plus grande liberté d’innovation. Cette fragmentation réglementaire pourrait freiner considérablement le déploiement transfrontalier de solutions d’IA. Une application validée dans un pays pourrait se voir interdite ailleurs pour non-conformité aux lois locales. Les entreprises devront alors développer des versions différenciées pays par pays. Par ailleurs, certains secteurs d’activité sensibles comme la finance, la santé ou les transports pourraient se voir appliquer des règles beaucoup plus strictes que d’autres, limitant les cas d’usage autorisés. À terme, ce risque de “fracture réglementaire de l’IA” pourrait véritablement nuire à l’adoption globale de cette technologie à grande échelle. Une harmonisation au niveau international ou du moins une reconnaissance mutuelle des différents cadres nationaux semblera indispensable pour déployer pleinement le potentiel de l’IA.
L’adoption croissante de l’IA soulève aussi des inquiétudes liées à la disponibilité des compétences en matière de data scientists et d’infrastructures (datacenter, supercalculateur, etc.) pour asseoir les bases d’une IA maîtrisée sur le continent ? Qu’en pensez-vous ?
Vous soulevez là un point crucial. En effet, le continent africain possède un énorme potentiel pour bénéficier des avancées de l’IA dans de nombreux secteurs clés. Cependant, pour réellement tirer parti de ces opportunités, l’Afrique fait face à un double défi de compétences et d’infrastructures numériques. Tout d’abord, le manque criant de data scientists, d’experts en IA et de développeurs qualifiés freine considérablement la capacité du continent à concevoir et déployer lui-même des solutions d’IA de pointe. Un effort massif de formation dans les filières tech et data sera indispensable. Ensuite, l’Afrique accuse un retard conséquent en termes d’infrastructures numériques de dernière génération, prérequis pour faire tourner les puissants algorithmes d’IA modernes.
Le manque de datacenters, de capacités cloud et surtout de supercalculateurs constitue un handicap majeur que des investissements d’envergure devront combler.
Tant que ces obstacles de compétences et d’infrastructures ne seront pas résolus, l’Afrique restera dépendante des solutions d’IA développées à l’étranger, sans réelle maîtrise et souveraineté technologique. Une voie à explorer pourrait être de nouer des partenariats avec les géants du numérique pour accélérer les transferts de compétences et de technologies. Relever ces défis nécessitera un effort soutenu des gouvernements, du secteur privé et des instituts de formation africains. Développer une véritable IA “Made in Africa” sera la clé pour en démocratiser les bénéfices à grande échelle sur le continent.
En l’état actuel des choses, une réglementation de l’IA à l’échelle du continent n’est-elle pas requise pour permettre aux Africains d’avoir un regard sur leurs données, à l’instar de l’IA Act permettant aux Européens d’accéder à leurs données collectées par les applications américaines telles que ChatGPT ?
Une réglementation continentale de l’IA en Afrique me semble en effet nécessaire, ne serait-ce que pour permettre aux pays africains de revendiquer la souveraineté et le contrôle sur leurs données actuellement hébergées ailleurs. Actuellement, la grande majorité des données générées par les applications et services numériques utilisés en Afrique sont hébergées et traitées dans des infrastructures cloud ou des centres de données situés en dehors du continent. Cette situation pose un réel problème de souveraineté numérique pour les pays africains. En effet, ces données représentent une ressource précieuse pour alimenter les futurs développements de l’IA.
En n’ayant pas la mainmise dessus, les Africains se retrouvent dépendants des avancées technologiques réalisées par d’autres. Ils n’ont pas non plus leur mot à dire sur l’utilisation qui peut être faite de ces données les concernant.
C’est pourquoi, à l’image du règlement européen sur l’IA qui permet aux citoyens d’accéder aux données les concernant, une réglementation sur l’IA à l’échelle du continent africain apparaît indispensable. Un tel cadre légal pourrait imposer aux grandes entreprises technologiques de restituer ces données aux États africains ou de les héberger localement dans des infrastructures sécurisées. Recouvrer la souveraineté sur ces précieuses données serait une première étape clé pour l’Afrique. Cela lui permettrait ensuite de développer ses propres capacités en IA en s’appuyant sur ces données, au lieu de devoir se reposer sur des solutions importées. Bien que représentant un défi juridique et technique de taille, une telle réglementation panafricaine sur l’IA et les données apparaît nécessaire pour faire émerger à terme une véritable IA “Made in Africa”, au service des priorités et des intérêts du continent.
Serait-ce donc utopique de parler d’IA en Afrique en termes de développement, de souveraineté ou même de protection des données ?
Parler de développement et de souveraineté en matière d’intelligence artificielle pour le continent africain à l’heure actuelle relèverait effectivement d’une vision quelque peu illusoire. La réalité est que la grande majorité des pays africains en sont encore à un stade d’adoption et d’utilisation basique des technologies d’IA existantes. Le déficit de compétences techniques qualifiées, d’infrastructures numériques de pointe et de financements alloués à la recherche en IA font que l’Afrique accuse un retard considérable par rapport aux grands pôles mondiaux que sont les États-Unis, la Chine ou l’Europe dans ce domaine. Dans l’immédiat, plutôt que de se lancer dans une course effrénée pour rattraper son retard, l’approche la plus pragmatique et réaliste pour le continent serait donc de se concentrer sur les usages concrets et les cas d’application de l’IA existante au service de ses priorités de développement. On peut citer par exemple le recours à l’IA pour optimiser la productivité agricole, améliorer les systèmes de santé, faciliter l’accès à l’éducation ou encore sécuriser les infrastructures informatiques. Autant de leviers qui pourraient avoir un impact positif rapide.
Bien que n’étant pas encore en mesure d’asseoir une véritable souveraineté technologique, adopter de façon ciblée des solutions IA déjà matures serait une première étape essentielle.
Cela permettrait de familiariser les entreprises et les gouvernements avec ces technologies, en vue de pouvoir progressivement monter en compétences. Le développement d’une IA pleinement africaine et souveraine ne pourra être qu’une trajectoire de long terme, à construire pas après pas. Mais l’urgence est d’ores et déjà de démocratiser au maximum les usages existants.
En définitive, quelle serait la meilleure approche pour asseoir les bases d’une IA maîtrisée sur le continent africain, et rester dans un cadre éthique et souverain convenable ?
Pour asseoir une véritable maîtrise de l’IA en Afrique dans un cadre éthique et souverain, une approche progressive en plusieurs étapes me semblerait judicieuse :
(1) Développer les compétences locales : Un effort majeur de formation aux métiers de la data science, du machine learning et du développement d’IA devra être entrepris. Il faudra à la fois former les nouvelles générations, mais aussi permettre la reconversion des professionnels en activité. Des programmes universitaires dédiés, des académies, des certifications professionnelles seront indispensables.
(2) Construire les infrastructures adéquates : L’Afrique devra se doter d’infrastructures numériques de pointe : datacenters, capacités cloud, réseaux à haut débit et même supercalculateurs. Sans ces prérequis techniques, les applications d’IA resteront bridées. Des investissements publics et privés massifs seront nécessaires.
(3) Stimuler une recherche africaine en IA : En parallèle, il faudra encourager l’émergence d’une véritable recherche fondamentale et appliquée en IA sur le continent. Soutien aux projets innovants, création de pôles d’excellence, collaborations public-privé, programmes de financement dédiés seront les clés.
(4) Définir un cadre réglementaire continental : Un cadre juridique et éthique africain sur l’IA devra être établi pour garantir l’alignement avec les valeurs du continent (respect des droits, inclusivité, protection des données…). Une réglementation commune sera essentielle.
(5) Nouer des partenariats ciblés : Pour accélérer sa montée en puissance, l’Afrique gagnera à nouer des partenariats gagnant-gagnant avec des leaders mondiaux de l’IA publics et privés (transferts de technologie, co-développements, investissements).
Seule une stratégie holistique adressant permettra à l’Afrique de se doter progressivement d’un véritable écosystème IA vertueux, souverain et aligné sur ses priorités de développement durable.
Anselme Akéko
(Source : CIO Mag, 11 juin 2024)
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