J’ai le plaisir d’initier ce moment de démocratie participative « bottom up – top down » qui permet aux internautes de transmettre leurs questions à un décideur ! Voici le reponses de M. Samba Sène ancien directeur du Technocentre d’Abidjan et également ancien directeur technique à la Sonatel sur les questions d’innovation dans le numérique. Je salue son ouverture d’esprit en acceptant de se soumettre à ce challenge.
1- Les opérateurs télécoms au Sénégal ne pouvaient-ils pas accompagner le passage à la TNT ? Si oui, Comment, si non, Pourquoi ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Il faut comprendre que la réalisation du projet de passage à la TNT a été confiée à EXCAF par l’état sénégalais. De ce fait, les opérateurs ne pouvaient intervenir qu’en tant que prestataires d’EXCAF. Je crois savoir qu’EXCAF a utilisé les services de Sonatel (ses liaisons en fibre optique) pour le transport du signal vers certains émetteurs.
2- Comment il voit les politiques d’innovation du groupe Sonatel ? En tant citoyen comment il voit le secteur des Télécom au Sénégal ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Pour ce que j’en sais, la stratégie d’innovation de Sonatel tend de plus en plus vers l’open innovation, c’est-à-dire vers plus de coopération avec des acteurs externes (développeurs, start-ups, sociétés de services, etc.) pour créer ensemble de la valeur en essayant de mettre sur le marché des services à valeur ajoutée inédits. Différentes initiatives de Sonatel semblent aller dans ce sens : offre Cloud d’Orange, hackathons et concours de développeurs, expositions d’APIs, etc.
Concernant le secteur des télécoms au Sénégal, pour résumer ma pensée, je dirai « peut mieux faire ». Ce secteur continue à peser d’un poids très important sur l’économie nationale par sa contribution au PIB (plus de 10% depuis plusieurs années) et aux recettes de l’état ; mais force est de constater que l’essentiel de la valeur du secteur se trouve entre les mains des opérateurs de télécom. En clair, les autres acteurs (sociétés de services, intégrateurs, fournisseurs de services à valeur ajoutée, etc.) ne bénéficient pas suffisamment de la forte croissance du secteur des télécoms. Conséquence : le secteur, qui était plutôt une référence en Afrique dans les années 1990, semble marquer le pas depuis plus de 10 ans. Deux exemples pour corroborer cela : i) l’absence d’ouverture dans la fourniture d’accès Internet : quasiment aucun autre FAI en dehors des trois grands opérateurs ii) le retard déjà pris dans l’attribution de licences 4G, par conséquent dans la fourniture de services Internet haut et très haut débits.
En clair, ce qui semble manquer, c’est la vision du rôle que le numérique peut et doit jouer dans le développement économique et social du pays.
3- Que conseillerait-il aux entrepreneurs dans le domaine des Télécom ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Si je peux me le permettre, le principal conseil que je donnerai à un entrepreneur dans le domaine des télécom, c’est de développer un savoir-faire très solide, voire une expertise, dans son secteur d’activités. J’ai en effet vu à plusieurs reprises des entrepreneurs échouer ou stagner par manque de maîtrise de leur métier.
Ensuite, comme tout autre entrepreneur, il s’agira de développer son activité avec passion (on ne fait bien et durablement que ce que l’on aime vraiment), résolution, persévérance et beaucoup d’énergie.
4- La frontière entre invention et innovation semble ténue. Comment peut-on innover dans les processus et process de l’économie numérique adaptés à nos pays sous-développés ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Selon moi, la frontière entre invention et innovation est claire. En effet, pour dire simplement les choses, une innovation est une invention qui a réussi. Les exemples d’invention, n’intéressant personne d’autres que leur concepteur, font légion et dorment dans les tiroirs, alors que dans ma conception, une innovation doit aboutir à une réalisation concrète et satisfaire un réel besoin. Par exemple le mobile money est une véritable innovation, alors que des services comme le Wap ou le MMS n’ont été que des inventions sans lendemain.
Que ce soit dans nos pays ou ailleurs, un des fondements de l’innovation, c’est l’observation. Observer son environnement pour déceler des besoins manifestes ou latents à satisfaire d’une manière originale, simple et adaptée aux modes de consommation locaux.
Dans nos pays, en particulier, c’est la technologie qui doit s’adapter aux contraintes des utilisateurs et non l’inverse. Si par exemple, le consommateur ne sait ni lire ni écrire, il serait insensé de lui proposer un service SMS, alors qu’un service vocal pourrait lui convenir parfaitement.
5- Peut-on inventer de nouveaux processus et de nouveaux process adaptés au contexte économique, social et culturel de nos pays ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Je ne suis pas certain de bien comprendre la question ; à creuser.
6- Quel rôle donner à la recherche fondamentale et la recherche appliquée dans le processus d’innovation et d’invention adapté à nos pays ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Je ne suis ni chercheur, ni spécialiste de la recherche ; je vais donc essayer de répondre sans prétention.
La recherche fondamentale se fait généralement dans un but d’acquisition de nouvelles connaissances qui n’ont pas d’applications ou de retour sur investissement immédiats ; elle est du domaine du long terme et nécessite généralement des moyens importants. Il est malheureusement difficile dans le cas de nos pays d’y consacrer des ressources.
Quant à la recherche appliquée, elle vise généralement à résoudre des problèmes concrets posés par l’industrie ou faire une application concrète des résultats issus de la recherche fondamentale. C’est l’utilisation de la recherche appliquée qui permet le passage à l’invention et à l’innovation.
En somme, dans nos pays, la recherche fondamentale, faute de moyens, risque de rester le parent pauvre. Mais consacrer des ressources conséquentes à la recherche appliquée, par exemple dans les domaines de l’agriculture et de la santé, ne me paraît pas être un luxe.
7- Comment promouvoir la Recherche & Développement dans nos différentes organisations pour améliorer les conditions de vie des populations dans un environnement de plus en plus numérisé ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Pour ne parler que du numérique, je pense que c’est une chance pour la recherche/développement et l’innovation pour nos pays. En effet, le numérique (ordinateurs et logiciels adaptés) offre les moyens d’accélérer les processus de recherche/développement et d’innovation, en ce sens qu’il permet de faire des simulations, des tests et des prototypes dans des délais relativement courts et de partager des résultats.
Nous devons donc utiliser massivement les outils du numérique pour décupler nos capacités de recherche/développement et d’innovation.
8- Nos pays dont les besoins sont souvent terre à terre peuvent ils se permettre d’affecter des ressources souvent conséquentes pour financer les coûts liés à l’innovation ? Les délais pour obtenir les gains escomptés sont longs et il y a un aléa au bout de l’opération. Pourquoi ne pas recycler des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves ?
[Réponse M. Samba Sène] :
On peut distinguer deux types d’innovations : les innovations de rupture et les innovations incrémentales. Les innovations de rupture peuvent – ce n’est pas toujours le cas – nécessiter des moyens financiers importants et induisent généralement des changements importants dans l’existant. Quant aux innovations incrémentales, il peut s’agir d’amélioration par petites touches de l’existant avec des gains en coût et en qualité qui peuvent être appréciables.
Adapter (et non recycler) des méthodes, des outils ou des processus éprouvés peut aboutir à des innovations incrémentales. Mais, il ne faut surtout pas s’interdire de faire des innovations de rupture, car c’est cela qui permet de créer le plus de valeur et d’avoir le plus d’impact positif sur la vie des gens.
9- L’innovation ne serait-elle pas plus pertinente dans une phase de maturité de nos économies ?
[Réponse M. Samba Sène] :
L’innovation est nécessaire à tous les stades de développement de notre économie. Je pense qu’elle est encore plus importante au stade actuel de nos économies où nous devons trouver nos propres solutions en les inventant ou adaptant des solutions éprouvées. Dans une course, pour rattraper ses devanciers, il faut soit courir plus vite, ou passer par un chemin différent et plus court. Dans le cas de nos pays, innover c’est trouver ce chemin.
10- Que conseillerait-il aux jeunes qui souhaitent se lancer dans le consulting (Télécom) ? Beaucoup de jeunes bacheliers choisissent la filière « Télécom / réseau ». La filière télécom peut-elle offrir de ces volumes emplois aux jeunes diplômés ?
[Réponse M. Samba Sène] :
Pour se lancer dans le consulting, je peux donner quelques conseils simples :
i) avoir une bonne connaissance et identifier ses domaines de prédilection
ii) avoir un savoir-faire solide, voire une expertise certaine
iii) prendre le temps de mettre au point une méthodologie de traitement des dossiers
iv) essayer de démarrer l’activité sur un projet.
Concernant la filière télécom, celle numérique de façon plus générale, sans avoir une idée précise des prévisions de créations d’emplois, je pense qu’il y a encore un potentiel important. En effet, les possibilités restent encore importantes pour les jeunes diplômés bien formés pour les raisons suivantes :
- Au Sénégal, le parc de technologie numérique de Diamniadio ouvre des perspectives intéressantes : près d’une vingtaine d’entreprises ont déjà exprimé le vœu de s’y installer, avec à la clé la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois ;
- La création d’entreprises sera de plus en plus promue et stimulée avec toutes les initiatives de mise en place d’incubateurs, de fonds d’investissement (amorçage) et d’open innovation ;
- Le marché de l’emploi va largement au-delà du marché national ; c’est l’Afrique, voire le monde.
(Source : Le blog de Moussa Traoré, 2 février 2016)