Interview de Cina Lawson, Ministre des Postes et de l’Economie Numérique : « Togocom entame un nouveau chapitre de son histoire »
mardi 30 octobre 2018
L’ouverture de capital du Groupe TogoCom, l’attribution de licences aux FAI et la candidature du Togo à l’entrée au Conseil de l’UIT, autant de sujets qui agitent le secteur numérique au Togo. Cina LAWSON, Ministre des Postes et de l’Economie Numérique, décline les ambitions de son pays et ses atouts.
CIO MAG : Madame la Ministre, qu’attendez-vous de la vente de l’opérateur historique ?
Cina Lawson : L’ouverture de capital du Groupe TogoCom devrait permettre au Groupe de se doter des moyens nécessaires à la réalisation de ses ambitions. Le Groupe consolidera ainsi sa capacité d’investissement et bénéficiera des dernières innovations en matière de TIC pour développer de nouveaux segments de croissance à l’échelon national et international. Le Groupe entame ainsi un nouveau chapitre de son histoire à travers le développement de relais de croissance au service de ses clients. En effet, l’ambition affichée est d’intensifier l’accès à l’internet très haut-débit, notamment à travers la fibre optique, de développer le segment des applications de paiement mobile auprès de ses clients, d’accélérer les investissements dans le secteur ainsi que le déploiement du réseau mobile Internet 4G dans le pays et de préparer également l’avènement de la 5G.
TogoCom est une entreprise de qualité avec des actifs importants et l’ouverture du capital à un partenaire stratégique permettra à l’Etat dans le cadre de ses discussions avec le FMI (Ndlr : Fonds monétaire international) de dégager des marges de manœuvre financières substantielles afin d’améliorer les finances publiques et de continuer à investir dans le Plan National de Développement.
Avez-vous une idée du profil type du potentiel repreneur ?
L’objectif recherché par le Gouvernement est de doter TogoCom d’un actionnariat stable à même d’assurer son développement dans le cadre d’un projet stratégique et commercial précis et structuré répondant notamment aux conditions suivantes :
- Accroître la capacité financière et la compétitivité de TogoCom et de chacune de ses filiales et opérations ;
- Assurer les perspectives de développement des réseaux fixes et mobiles de TGT (Togo Télécom) et TGC (Togo Cellulaire) ;
- Conforter la politique sociale de TogoCom, TGT et TGC, en particulier en matière d’évolution de l’emploi, de la participation et de l’intéressement des salariés ;
- Et permettre à TogoCom, TGT et TGC de bénéficier de complémentarités techniques, commerciales et de management, et développer par la même occasion leurs plateformes techniques, en particulier par la mise en place de transfert de technologies et de savoir-faire.
Le potentiel investisseur devrait avoir une expérience similaire dans la gestion d’opérateur télécoms de premier plan.
Certains observateurs s’attardaient sur l’arrivée d’un troisième opérateur pour dynamiser le marché. Cette piste est-elle encore envisageable ?
Malgré les discussions antérieures sur l’arrivée potentielle d’un troisième opérateur, le Gouvernement n’envisage pas l’attribution d’une troisième licence mobile à moyen terme.
« La dynamique concurrentielle du marché a entraîné une baisse considérable des coûts de communication »
La qualité du service fourni par les opérateurs est souvent décriée par les consommateurs. Quel est l’état de la situation ?
Avec deux opérateurs mobiles et trois fournisseurs d’accès Internet (FAI), la dynamique concurrentielle du marché a entraîné une baisse considérable des coûts de communication, une amélioration de la qualité de service et une diversification des offres. Ainsi, le prix de la connexion ADSL de 4Mb/s est passé de 453 euros en 2015 à 53 euros en 2017, de même la connexion fibre optique de 30Mb/s est commercialisée à 46 euros. Ce qui a pour conséquence une baisse continue de l’ARPU (Ndlr : Average Revenue Per User, soit le revenu moyen par utilisateur), qui a été divisé par deux environ, entre 2012 et 2017, passant de 80 euros à 46 euros.
Cette tendance devrait se poursuivre avec le processus de transformation de TogoCom et l’ouverture de son capital. En effet, l’objectif de la transformation est de restructurer le Groupe dans le sens d’une haute exigence d’efficacité, d’assurer un accès Internet de qualité sur l’ensemble du territoire et de garantir des prix compétitifs aux usagers.
Déjà un an que les fournisseurs d’accès Internet, Teolis et GVA, sont entrés en phase opérationnelle. En termes d’engagement contractuel, ont-ils satisfait aux obligations notamment en termes de couverture géographique et de qualité de services ?
En juin 2017, le Gouvernement a en effet attribué deux nouvelles licences à des fournisseurs d’accès Internet : le Groupe Vivendi Africa (GVA) et Téolis parce que nous sommes convaincus que le secteur privé et les opérateurs doivent porter le développement de l’Internet très haut-débit. C’est la raison pour laquelle, nous avons également étendu le périmètre des licences des opérateurs mobiles Moov et Togocel à la 4G jusqu’en 2036.
GVA a démarré la commercialisation de son offre ‘fibre optique à domicile (FTTH)’ en mars 2018 et procède progressivement au déploiement de son réseau qui couvre aujourd’hui la moitié des quartiers de Lomé. Téolis, l’autre FAI, a lancé une offre sans fil qui cible en priorité les entreprises et les résidents des quartiers populaires.
De ce point de vue, il convient de relever que, parallèlement, les opérateurs Moov et Togocel ont procédé au déploiement de leurs réseaux 4G et démarré la commercialisation de leurs offres, respectivement en juillet et août 2018. Aujourd’hui, les deux grandes villes du pays sont couvertes avec la 4G (la capitale Lomé et la ville de Kara).
La fibre optique n’est pas en reste. Les acteurs du secteur ont multiplié leurs investissements :
- Togo Télécom a finalisé en 2018 la réfection de la fibre optique de 1 500 km qui traverse le pays du Nord au Sud et construit une boucle fibre optique pour sécuriser cette liaison. L’opérateur a également déployé un réseau métropolitain, en particulier dans la ville de Lomé pour raccorder les antennes mobiles de Togocel et collecter le trafic data. Pour faire face à la concurrence sur l’Internet fixe, il a enfin lancé une offre FTTH très agressive depuis août 2018 et couvre aujourd’hui les grands quartiers de Lomé ;
- Togo Cellulaire a, de son côté, lancé un vaste programme de déploiement de la 4G et couvre actuellement plus de 35% de la population. Cette activité est en pleine croissance avec plus de 50 000 abonnés 4G dénombrés en l’espace de trois mois ;
- Moov vient de finaliser la construction d’une boucle en fibre optique de 450 km, qui traverse le pays du Nord au Sud avec une liaison de secours et continue le déploiement de son réseau 4G dans la capitale Lomé.
« Il existe au Togo une forte capacité de l’Etat à entreprendre des initiatives au bénéfice des populations »
Votre pays est candidat à l’entrée au Conseil de l’UIT. Qu’est-ce qui justifie cette candidature ?
Le secteur de l’économie numérique au Togo fait preuve d’un dynamisme et témoigne d’une vitalité sans cesse croissante qui s’est traduite, ces dernières années, par des projets innovants stratégiquement orientés vers une vision globale impulsée par le Président de la République, SE Faure Essozimna GNASSINGBE.
Celle-ci part de l’évidence que « le numérique constitue un véritable levier de la modernisation de l’économie et de la société et qu’à ce titre, il peut et doit contribuer à faire du Togo un hub de services et un centre international d’innovations et compétences digitales ».
Cette vision ne peut se concrétiser que par une inclusion numérique de tous les citoyens. Les initiatives de l’Etat et les projets très structurants portés par le Ministère dont j’ai la charge, obéissent à cette cohérence stratégique.
Avec 6,26 millions d’abonnés à la téléphonie, le Togo a atteint en 2017 un taux de pénétration de 86%. Une croissance essentiellement tirée par le mobile dont le taux de pénétration atteint 83%.
Il existe ainsi au Togo une forte capacité de l’Etat à entreprendre des initiatives au bénéfice des populations, en s’appuyant sur les technologies numériques. Notre candidature au Conseil de l’Union Internationale des Télécommunications, à l’occasion de la Conférence de Plénipotentiaires – PP 18 à Dubaï (Emirats Arabes Unis) du 29 octobre au 16 novembre 2018, traduit cette dynamique conforme à notre vision qui, au surplus, conforte la vocation de Lomé comme pôle financier, logistique, portuaire et aéroportuaire en Afrique de l’Ouest.
Quels sont les atouts de votre pays ?
Le Togo, sur la base de son expérience acquise dans la mise en œuvre de divers projets innovants, entend apporter, au sein de cette instance, sa contribution face aux potentialités considérables des technologies émergentes telles que le Big data, l’internet des objets et l’intelligence artificielle, qui sont autant de sujets de préoccupation et qui appellent des réponses dans le cadre concerté d’une coopération internationale.
Par son dynamisme sur le front numérique et son leadership dans le cadre de la coopération multilatérale, en devenant membre du Conseil de l’UIT, il entend ainsi renforcer cette coopération dans les secteurs stratégiques, notamment par la lutte contre la cybercriminalité avec la mise en place de Computer Emergency Response Teams (CERTs) performants et de centres d’excellence africains destinés à promouvoir l’entrepreneuriat numérique et la formation aux nouveaux métiers du digital, la créativité, le développement économique par le numérique, la technologie, l’innovation et la recherche.
Propos recueillis par Mohamadou Diallo
(Source : CIO Mag, 30 octobre 2018)