Internet en Afrique : dix ans d’évolution, d’impact sur la vie de millions de personnes, mais aussi des défis
samedi 9 avril 2022
En 2011, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne découvraient l’internet haut débit mobile grâce à la 3G. Dix ans plus tard, l’ultra haut débit fait ses débuts sur le continent. Alors que la quatrième révolution industrielle décolle, lever les obstacles qui empêchent la majorité de la population d’en tirer profit devient impératif.
L’Afrique est l’une des régions du monde où la technologie mobile a évolué le plus rapidement au cours des dix dernières années d’après plusieurs acteurs de l’industrie des télécommunications comme Ericsson ou encore l’Union internationale des télécommunications. Le passage de la 2G à la 3G, puis à la 4G, et enfin l’avènement de la 5G, ont mis relativement moins de temps en Afrique qu’en Europe et aux États-Unis où il a fallu attendre près de 20 ans.
Avec la mutation rapide des réseaux mobiles, l’accès à Internet s’est démocratisé de manière soutenue. La connectivité fixe, longtemps seul apanage des foyers nantis et des cybercafés, a fait place à la connectivité mobile qui permet actuellement à plus de 300 millions d’Africains d’accéder aux nombreuses opportunités qu’offre le web. En 2011, on dénombrait moins de 100 millions d’utilisateurs d’internet.
Dans son rapport de mobilité de novembre 2021, Ericsson, indique que la technologie 4G représentait déjà 19% des abonnements mobiles à la fin de 2021 contre 43% pour la 3G et 32% pour la 2G. La 5G a déjà quelques abonnés, bien que négligeables pour le moment. Ces avancées enregistrées au fil de la dernière décennie sont le fruit des investissements conséquents consentis dès 2010 par les opérateurs télécoms dans l’infrastructure réseau.
Un boom au niveau des infrastructures
En 2021, l’Afrique disposait déjà de plus 170 000 tours de télécommunications. Plus de la moitié de ces infrastructures a été déployée par les opérateurs de télécommunication dans le but d’apporter les services télécoms, notamment Internet, au plus près des populations. Le reste est un investissement des towercos, entreprises spécialisées dans la construction et la gestion de tours télécoms. Dans le segment de la fibre optique, les opérateurs télécoms ont également déployé de nombreuses ressources pour améliorer la qualité des services offerte aux populations.
Aujourd’hui, le continent est déjà connecté à une vingtaine de systèmes sous-marins internationaux de fibre optique. De nouveaux câbles, à l’instar du Equiano de Google, du PEACE, du Ellalink, du 2Africa sont en cours de déploiement par des consortiums d’entreprises et seront prêts au service d’ici 2023. En tout, près 1,1 million de kilomètres de fibre optique parcourent déjà l’Afrique, selon la Société financière internationale (IFC). Près de 50% de cette infrastructure télécoms à haut débit est porté par des opérateurs privés tels qu’Orange, Liquid Telecom, Seacom, MainOne, MTN, ou Vodacom. L’autre moitié appartient aux Etats à travers des entreprises publiques.
Pour renforcer davantage la qualité de la connectivité, les points d’échanges internet (IXP) ont été multipliés à travers le continent. Ces infrastructures qui réunissent différents fournisseurs d’accès Internet, notamment les opérateurs télécoms, qui échangent du trafic entre leurs réseaux de systèmes autonomes et améliorent ainsi la qualité locale de la connectivité, sont passées d’une dizaine en 2011 à 46 actifs dans 34 pays en 2020, selon l’Association africaine des points d’échange internet (African Association IXP). L’Afrique du Sud est le pays qui détenait le plus d’IXP, six ; suivie par la Tanzanie qui en avait quatre et le Nigéria trois.
Le satellite a aussi connu un regain d’intérêt des opérateurs télécoms qui y investissent massivement depuis les six dernières années afin d’élargir leur couverture réseau. Plus d’une centaine d’accords de service ont été signés à cet effet entre les opérateurs de téléphonie mobile et les opérateurs de services télécoms par satellites comme Eutelsat, Intelsat, Yahsat, SES, OneWeb, etc.
En tout, c’est plus de 15 milliards $ qui ont été injectés au cours des dix dernières années par les sociétés télécoms dans la modernisation et l’extension du réseau télécoms en Afrique afin de soutenir l’accès à Internet mobile à haut débit à travers lequel les populations accèdent aujourd’hui à une large gamme de services à valeur ajoutée.
Un monde de possibilités
Le haut débit, surtout mobile, a eu un impact significatif sur les conditions de vie de millions de personnes en Afrique. La multiplication des startups spécialisées dans des domaines stratégiques tels que l’agriculture, la santé, l’éducation, la finance, la logistique, le commerce et le financement croissant qu’elles mobilisent chaque année depuis 6 ans, témoigne d’ailleurs du dynamisme que l’Internet a apporté dans ces différents secteurs.
Dans son « rapport sur la numérisation de l’agriculture africaine 2018–2019 », le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA), organisme soutenu par plusieurs acteurs internationaux dont l’Union européenne, l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA), la Fondation Bill et Melinda Gates, révèle que 33 millions de petits agriculteurs et de pasteurs étaient déjà abonnés à des solutions d’agriculture numérique en Afrique en 2019 à travers 390 solutions numériques fournissant des services financiers, du conseil et de l’information, la gestion de la chaîne d’approvisionnement, de l’accès au marché. 70% de ces acteurs produisaient déjà des recettes selon CTA qui estimait le chiffre d’affaires potentiel de l’agriculture numérique à plus de 5,3 milliards d’euros. L’organisme indique que c’est 200 millions de petits agriculteurs et pasteurs qui peuvent voir leur revenu s’améliorer d’ici 2030.
Dans son rapport « The High Tech Health : Exploring the E-health Startup Ecosystem Report 2020 », Disrupt Africa note que l’e-santé a connu un développement rapide en Afrique de janvier 2019 à juin 2020. Pour le seul premier semestre 2020, les startups engagées dans l’e-santé ont recueilli plus de 90 millions de dollars $ représentant la moitié des fonds alloués à ce secteur depuis cinq ans. La pandémie de coronavirus a également fait progresser à 56,5% le nombre de startups actives dans le domaine des technologies de la santé sur le continent de 2018 à 2020.
Disrupt Africa indiquait par ailleurs qu’il y avait déjà 180 startups axées sur les technologies de la santé en activité sur le continent africain, proposant des soins à des millions de personnes. La Covid-19 a contribué à libérer le véritable potentiel de l’e-santé en Afrique, incitant de plus en plus de personnes à s’y orienter aussi bien pour l’information en rapport avec la santé de la reproduction, les consultations médicales, les prescriptions médicamenteuses, etc.
Internet, c’est aussi l’essor des réseaux sociaux qui ont contribué à une nouvelle forme de commerce en ligne, ainsi qu’à plus grande mobilisation pour la défense des intérêts communs. D’ici 2025, Google et la Société financière internationale (SFI) estiment dans leur rapport conjoint « e-Conomy Africa 2020 » qu’Internet associé au développement économique a le potentiel de contribuer pour 180 milliards $ au Produit intérieur brut de l’Afrique.
La data est un levier sur lequel il faudra compter pour atteindre les Objectif de développement durables (ODD) des Nations Unies.
Dans son rapport intitulé « Contribution économique du large bande, de la généralisation du numérique et de la réglementation des TIC. Modélisation économétrique pour l’Afrique » publié en 2019, l’Union internationale des télécommunications (UIT) soutient que l’accroissement du taux de pénétration du haut débit de 10% a comme incidence une augmentation de 2,5% du Produit intérieur brut (PIB) par habitant.
Avec la transformation numérique qui s’accélère à travers le continent et son impact sur le développement, Internet devient un service de base essentiel, au même titre que l’électricité et l’eau. En Afrique du Sud, le gouvernement réfléchit d’ailleurs à une allocation mensuelle gratuite de 10 GB de data aux domiciles.
Des défis persistent
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Malgré les multiples progrès enregistrés depuis l’arrivée de la 3G, puis de la 4G en Afrique subsaharienne, des défis demeurent cependant encore en matière d’accessibilité. En 2020, 1 GB coûtait en moyenne 4% du revenu mensuel par habitant en Afrique subsaharienne. Si cela représente une baisse par rapport au 6,3% enregistré en 2016, la tendance à réduire ce coût doit se poursuivre. Selon GSMA, le taux de pénétration d’Internet mobile était de 28% en Afrique sub-saharienne en 2020, contre 46% de taux de pénétration du mobile.
Internet est davantage utilisé via des périphériques mobiles qu’à travers des périphériques fixes à cause du coût de l’outil de connexion. C’est également ce coût encore assez élevé pour la majorité des Africains qui freine encore l’adoption de l’Internet mobile. Dans son rapport de 2020 « From luxury to lifeline : Reducing the cost of mobile devices to reach universal internet access », l’Alliance for Affordable Internet (A4AI) indique que le prix moyen d’un smartphone en Afrique est de 62 $. Soit 62,8% du revenu national brut mensuel par habitant contre 13% en Amérique latine et 16% en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La Sierra Leone (265 $), le Burundi (52 $), le Niger (60 $) sont quelques-uns des pays où le Smartphone est considéré comme cher par l’A4AI. Le Botswana (26 $) est l’un des pays où il est le plus abordable. Des coûts qui ne découlent pas toujours des opérateurs télécoms et des vendeurs d’appareils mobiles. Conséquence de ce double obstacle, 53% des Africains vivant dans des zones couvertes par le haut débit mobile n’utilisaient toujours pas internet en 2020, d’après GSMA. Les populations rurales sont celles les plus touchées par cette réalité. Des questions auxquelles il est urgent de répondre sur cette décennie afin de donner accès à tous les Africains aux formidables opportunités offertes par la quatrième révolution industrielle.
Emiliano Toussou
(Source : WeAreTechAfrica, 9 avril 2022)