Internet au Sénégal : les zones rurales sont délaissées
mercredi 15 janvier 2003
Avec plus de 225 000 lignes de téléphone fixes susceptibles d’offrir une porte d’entrée vers le réseau mondial, le Sénégal représente le marché le plus prometteur de l’accès Internet en Afrique de l’Ouest.
80% de la population se trouve « à moins d’une heure de marche d’un poste fixe » et à Dakar, les cybercafés pullulent, alignant leurs vieux ordinateurs rafistolés et leurs écrans usés. Une heure de connection se facture entre 350 et 500 francs CFA (0,30 à 0,75 euro). Pourtant, le nombre d’abonnés à Internet ne décolle pas vraiment au pays de la « Téranga » : guère plus de 11 000 connectés pour une population de 11 millions d’habitants, contre 8000 il y a trois ans.
« Le principal frein au développement de l’Internet tient au prix élevé des ordinateurs. À l’exception des entreprises et d’une population de cadres, la majorité des Sénégalais n’a pas les moyens d’investir 600 000 francs CFA dans une machine neuve », souligne Samba Sène, directeur général de Sonatel Multimédia, la filiale Internet de l’opérateur historique, propriétaire de Sentoo, équivalent local de Wanadoo. Avec 9500 abonnés, soit plus de 80% du marché, également répartis entre entreprises et particuliers, Sentoo règne sans partage sur l’accès Internet au Sénégal. Faute, il est vrai, de concurrents sérieux : d’une dizaine de fournisseurs d’accès il y a encore deux ans, seule une poignée reste encore en lice, les autres ont mordu la poussière.
Loin derrière Sentoo, Arc Informatique, le second fournisseur du pays, ne compte pas beaucoup plus d’un millier d’abonnés, pour l’essentiel des professionnels. Derrière ces deux opérateurs quelques fournisseurs d’accès à Internet « confidentiels » se partagent les 10% restant. Parmi eux, Cyberbusiness et Silicon Valley et Tradepoint, une plate-forme de e-commerce créée par l’État sénégalais, mais aussi l’Université de Dakar qui offre des accès à prix réduits aux chercheurs ou encore l’ONG Enda, à la tête d’une dizaine de « cyberpop » c’est à dire des points d’accès communautaires.
Loin d’instaurer une situation de saine concurrence, la privatisation de Sonatel en 1997 a renforcé encore la position dominante de l’opérateur. Principal accusé : le monopole sur l’accès Internet confié à France Télécom, entré au capital de Sonatel à hauteur de 42%, le reste appartenant à l’Etat sénégalais et à un groupe minoritaire de petits actionnaires. Prévu pour durer jusqu’en 2004, ce monopole s’assortit de conditions pour le moins léonines. Telle, par exemple, l’interdiction pour tous les autres fournisseurs d’offrir un accès public au réseau transitant par les technologies wireless (sans fil), comme le satellite ou la boucle locale radio (BLR).
Résultat : si la concurrence existe sur le papier, les petits fournisseurs restent dans l’incapacité de proposer des tarifs compétitifs. Obligés de se plier aux conditions tarifaires de l’opérateur (1,5 million de francs CFA pour une ligne spécialisée, 800 000 francs pour l’accès au câble sous-marin), ils n’ont pas le droit d’utiliser des solutions réputées moins onéreuses que le tout-filaire mis en avant par Sonatel. Chez Sentoo, on s’appuie sur le respect du monopole pour justifier cet immobilisme technologique. Mais l’argument n’exclut pas les considérations commerciales : « Si nous proposons des accès wireless, plus rien n’empêchera nos concurrents d’en faire autant », sourit Samba Sène.
Sonatel multiplie ses efforts pour doter le pays d’infrastructures de communication tournées vers les gros clients internationaux. La bande passante disponible frise les 90 mégabits, une capacité largement excédentaire aux besoins du pays. Deux câbles d’un débit de 45 mégabits chacun alimentent le Sénégal. L’un, géré par France Télécom, court sous les océans, de Lisbonne à Singapour, en irriguant au passage toute la côte de l’Afrique. Le second, appartenant à l’opérateur canadien Téléglobe, relie Dakar au Canada et à l’Amérique du Nord. La mise en service d’un câble en fibre optique d’un débit de 2,5 gigabits entre Nouakchott, Dakar et Bamako, au Mali, complète le dispositif. Cette débauche de réseaux à haut débit tournés vers l’international attire les gros clients, tel le francais PCCI qui a investi 4,5 milliards de francs CFA pour délocaliser à Dakar son centre d’appels téléphoniques, à destination de clients... européens.
Moins solvables, les villageois sénégalais doivent patienter. Entre 12 000 et 13 000 villages ne disposent ni de l’électricité ni du téléphone ni, a fortiori, de l’Internet. En la matière, Sonatel Multimédia se contente de suivre les progrès de sa maison mère, Sonatel, mandatée par l’Etat sénégalais pour relier les zones rurales au réseau téléphonique filaire. Au rythme de 150 nouveaux villages par an, en commençant par les bourgs de plus de 1000 habitants, il faudra bien une bonne dizaine d’années pour apporter ce type de communication à 95% de la population ! L’Internet suivra...
André Mora
(Source : Novethic 15 janvier 2003 )