L’irruption des technologies de l’information en Afrique a permis une certaine démocratisation des services, voire même la généralisation de certains usages (GSM, réseaux sociaux...). L’importance croissante de ces nouveaux usages et l’intégration galopante des solutions et algorithmes aux différents secteurs d’activités représentent autant d’opportunités pour le continent que de défis en termes de réglementations, de régulations, voire même de business model pour les opérateurs économiques, qu’ils soient africains ou extra-continentaux.
Le développement continu d’Internet (notamment mobile) en Afrique a entraîné l’apparition de nouveaux services intégrés multi-secteurs. Ainsi en témoigne la croissance du mobile banking et l’influence grandissante des réseaux sociaux, qui supplantent peu à peu les médias traditionnels. Le succès du mobile banking est un bon exemple de solution multi-secteurs, où se mêlent les activités télécoms et financières. En clair, cette technique permettant aux utilisateurs de retirer de l’argent ou de faire des transferts de fonds via un simple GSM a permis aux banques africaines d’élargir facilement et à moindre coûts leur maillage territorial.
En effet, l’Afrique pâtit depuis longtemps de faibles taux de bancarisation. Le recours à la téléphonie mobile permet aux banques commerciales de contourner les contraintes géographiques, tout en mettant en place des stratégies d’expansion à faible coût. Contrairement aux pays européens, voire d’Afrique du Nord, où les banques ont plutôt recours à des solutions « premium » de portabilité via le développement d’applications et des sites web généralement destinées aux détenteurs de smartphones, le mobile banking cible en priorité les utilisateurs de téléphones « basiques » à connexion 2G, dont les prix des terminaux ont chuté de plus de 50% lors des 10 dernières années.
Lancée pour la 1ère fois au Kenya sous le nom de M-Pesa par l’opérateur Safaricom, le mobile banking a séduit plus de 17 millions d’usagers en moins de 10 ans, générant au passage des flux annuels équivalant à près de 35% du PIB kenyan, soit 20 milliards de dollars. Face à ce succès, le mobile banking fera rapidement tache d’encre en Afrique anglophone et intéressera par la suite les opérateurs télécoms de la sphère francophone, malgré la différence des cadres bancaires et financiers. Ce pari s’était avéré payant pour le géant français Orange, via sa déclinaison Orange Money, notamment pour sa filiale malienne, qui compte actuellement plus de clients actifs qu’il n’existe de comptes bancaires, soit un flux équivalent à 10% du PIB du Mali.
De l’engouement à la nécessité d’encadrement
Cet engouement pour le mobile banking se traduit par une mutation du business model des opérateurs télécoms, dont les business model sont de plus en plus dépendants de la commercialisation de la data et de la gestion de ses flux financiers. La preuve en est l’orientation stratégique 2020 du groupe Orange, qui met l’accent à la fois sur l’Afrique et les instruments de paiement considérés comme un important levier de fidélisation de la clientèle.
Cette stratégie est confortée par l’assouplissement des législations bancaires dans l’UEMOA, dont les pays ont mis en place, dès 2006, des agréments d’émetteurs bancaires électroniques (EME). Ce nouveau cadre juridique obéit à des exigences identiques à celles imposées aux banques en termes d’audit interne et de connaissance des clients, tout en modérant le capital minimum exigé. Cette situation renforce la position des opérateurs télécoms, qui étaient déjà maîtres du jeu au plan technique et qui sont maintenant capables de prendre l’ascendant sur les établissements bancairres au niveau des opérations financières. Cela entraîne déjà une concentration des flux financiers aux profits d’une poignées de « majors ».
Face à cette mutation des habitudes de consommation, les banques peinent à contrer cette incursion des opérateurs télécoms dans leur pré carré, vu leur faible capacité de riposte en termes d’innovation technologique. Cette situation s’explique par les difficultés que traversent les grands groupes subsahariens, les effets de la crise au Nigéria ou encore l’accroissement des créances en souffrance.
Amine Ater
(Source : La Tribune Afrique, 24 novembre 2016)