Faut-il en rire ou en pleurer ? Le « programme » global de nos chaînes privées de télévision se résume ces temps-ci en un pugilat de leurs propriétaires. Le programme, ce sont eux-mêmes, pour la plupart. Le programme, c’est le fait-divers permanent, le vaudeville, l’invective, les egos, les frasques, les mots de trop, la démesure, la cupidité, la personnalisation à outrance des débats. Ah, que ce pays serait tranquille sans eux !
Gaston Mbengue, symbole parfait du catalyseur d’une réaction cathodique en chaîne, contre-attaque Sidy Lamine Niasse (spécialiste ès-victimisation), lequel accuse Wade à chaque fois qu’il a des problèmes. El Hadj Ndiaye, actionnaire principal de la 2S Tv, qui s’en prend à Youssou Ndour, propriétaire-gourou de la Tfm, devenue généraliste entraînant du coup la montée de la lave chez ses nouveaux concurrents. C’est quoi le programme ?
C’est un soap-opera qui dévoile l’impréparation de nos « entrepreneurs télévisuels » dans la prise en charge des formidables enjeux financiers, juridiques et politiques corollaires à l’explosion des chaînes. Tout un programme dans les programmes. Ils avaient tous crié qu’ils allaient révolutionner les ondes ; au finish, ils sont limite, limite...
C’est la lutte avec frappe qui a mis le feu aux poudres. L’arène s’est dédoublée pour s’inviter dans la nouvelle écurie des patrons de presse télévisée. L’effet d’entraînement est saisissant. Asymétrie entre la puissance de la télévision et la faiblesse des arguments de ses propriétaires au Sénégal. Justement, on dit que la force est l’argument des...faibles. La télévision, « ce chewing-gum de l’œil », sous nos cieux, va bien mal. Finalement, on en arrive à regretter « le parti unique télévisuel », quand on savait à quoi s’en tenir : la Rts ou rien...
De fait, exception faite de Canal Infos et de la 2S Tv, toutes les chaînes de télévision sont des mutations de radios. Les mauvaises langues ne traitent-elles pas Walf Tv de radio filmée ? Le personnel de la Tfm n’est-il pas le clone de celui la Rfm ? Que dire de la Rdv, si ce n’est qu’elle est la synthèse des programmes de radio du groupe Excaf ! Le ronronnement uniformisant des programmes a vite cédé la place à des règlements de compte quand le nerf de la guerre s’est invité dans le débat...
C’est connu, entre l’argent et les idées, ces dernières ont rarement le dessus et bien vite on n’a plus qu’une idée : avoir plus d’argent ! Avec l’essor de la lutte avec frappe (nouveaux modèles sociaux, gloire, violence, pratiques mystiques, argent), les Sénégalais ont trouvé une échappatoire à la grisaille quotidienne.
L’acquisition du droit de retransmission télévisée des combats devient alors un marché où les chaînes privées et la Rts se livrent une concurrence acharnée par tous les moyens et les surenchères font flamber le prix. Comme si la Loi et le Droit n’existaient pas, chacun a voulu tirer la couverture vers lui.
Les deux premiers grands combats de l’an de grâce 2011 resteront dans les annales. A tout le moins, ils auront permis de constater que la ligne rouge est franchie. Il faut sévir. Yekini contre Bombardier organisé par « Gaston Productions » a été la première étape. Ici, il faut zoomer sur le personnage « Gaston Mbengue », Don King de l’arène sénégalaise. C’est un promoteur. En clair, il va chercher des sponsors, fait signer un contrat entre deux champions ou qui se croient comme tels, mobilise le ban et l’arrière-ban de la plèbe médiatique et fait le show. Il y réussit fort bien.
Mais comment peut-on s’appeler Gaston et en être fier. Gaston fut d’abord un personnage de la bande dessinée « Spirou ». Son nom de famille ? Lagaffe ! Il faut dire qu’il mérite son nom. Il a même réussi un jour à mettre le feu à des extincteurs ! Notre Gaston national, lui, n’a que faire des commodités et des usages diplomatiques. Quand le propriétaire de Walf Tv, Sidy Lamine Niasse (délire de persécution ?), courroucé pour n’avoir pas pu bénéficier des droits de retransmission cédés à la Rts par le promoteur, a envoyé des vertes et des pas mures à ce dernier.
Comme la recherche de la confrontation est devenue la chose la mieux partagée dans ce pays maintenant, Gaston Mbengue a profité de l’émission « Caxaabal » du très coloré Khadim Samb sur la Rts pour lancer sa contre-offensive : en résumé, il a expliqué que le mollah Sidy Lamine n’avait pas de leçon à lui donner, avec des coups en-dessous de la ceinture, avec en prime des commentaires salaces sur l’origine de la fortune supposée du journaliste-prêcheur-patron de presse-chef religieux. Courroux de la famille maraboutique Niassène de Léona à Kaolack...
Son khalife monte au créneau et menace des foudres de son chapelet l’impertinent Gaston Mbengue. La Rts en prend également pour son grade, elle qui n’aurait pas diffusé l’enregistrement du dernier Gamou de la famille. Fissa fissa, le soir même, le Triangle Sud diffuse les fameux chants religieux suivis.
Le week-end suivant, c’est le Premier ministre du Sénégal qui rend visite au guide religieux pour lui remettre 95 ou 100 millions (la précision de la presse sénégalaise sur les chiffres est chirurgicale comme le toucher de la canne d’un aveugle) comme participation du chef de l’Etat pour la construction de la grande mosquée du fief religieux. Dieu reconnaîtra les siens ! Ouf ! On est passé tout près d’une déflagration qui allait brouiller toutes les ondes... Tout ça à cause de l’argent généré par les droits de retransmission d’un combat de lutte avec frappe...
Bis repetita. Ama Baldé contre le très ennuyeux Balla Diouf au stade Demba Diop sous la houlette du promoteur Aziz Ndiaye. Ce dernier signe avec la 2S Tv puis cherche à négocier avec la Tfm. Courroux de El Hadj Ndiaye, qui se définit lui-même comme « un vendeur de cassettes » ; il balance, lui aussi, des joyeusetés à Youssou Ndour dont la télévision montrera d’ailleurs qu’elle n’est pas aussi prête techniquement qu’elle le clame urbi et orbi pour faire du direct. Finalement, la 2S Tv tiendra « son » combat et la Tfm devra repasser. Résultat des courses : tout le monde est braqué contre tout le monde.
Conclusion : en bon africains, les propriétaires de chaînes de télévision apparaissent, dans leur grande majorité, rétifs à toute organisation. Un cahier des charges les gêne ; ils préfèrent négocier comme le ferait un sans-le-sou sur le marchepied d’un car rapide ou alors tenter le hold-up parfait ; les dimensions d’un contrat dépassent leur géographie : l’informel.
(Source : Nettali, 12 janvier 2011)