L’information a pris une envergure sans précédent suite à la convergence de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel rendue possible par la numérisation de tous les types d’informations (textes, images fixes, images animées et sons). Désormais beaucoup plus facile à créer, à collecter, à traiter, à stocker, à diffuser et à utiliser dans les processus de l’entreprise, l’information est, aujourd’hui, considérée comme une ressource stratégique et comme un bien économique émergent (on parle de « bien informationnel ») qui vient s’ajouter aux facteurs de production classiques que sont la terre, les ressources naturelles, la main d’ouvre et le capital. Dans l’ère post-industrielle, ces facteurs de base conservent leur importance dans la fonction de production, mais ils baissent en valeur et cèdent la place à l’information, au savoir et au savoir-faire qui permettent de gérer rationnellement l’usage de toutes les ressources pour optimiser la production. La compétitivité se gagne ainsi, dans le nouveau contexte mondial, non pas par des avantages comparatifs de prix, mais par une meilleure gestion des connaissances et des compétences, par une plus grande flexibilité et par « une gestion des affaires à la vitesse de la pensée », pour reprendre l’expression de Bill Gates.
Le rapport mondial sur la technologie de l’information, édition 2004-2005, publié par le World Economic Forum, a ainsi découvert que les pays émergents qui font un bon usage de l’information, du savoir et des TIC enregistrent de substantiels gains de productivité globale des facteurs. Les postulats posés par les théoriciens de la croissance endogène, dont Paul Romer est le chef de file, sont donc vérifiés.
La leçon à en tirer, c’est que les gouvernements des pays pauvres doivent désormais promouvoir la croissance accélérée en donnant des incitations aux agents qui sont actifs dans les secteurs productifs de savoir, intensifs en capital humain et insérés dans les réseaux mondiaux d’échanges d’idées. Le non-accès aux systèmes et flux d’information et de savoir est en effet source de pauvreté, tant le manque d’information joue sur la capacité à se former, à innover et à saisir les opportunités économiques et commerciales. Et, il est, par conséquent, possible de postuler que : « l’Afrique est aujourd’hui pauvre parce qu’elle peine à s’intégrer dans l’ère de l’information ».
Le continent n’a donc pas le choix. S’il veut sortir de la misère, il lui faut impérativement réussir la vision de faire de l’information le moteur de son développement. Une Afrique émergente est donc forcément numérique ou ne sera pas. Pour passer à l’action, le handicap majeur qui se pose, c’est que le marché est tellement contraint par les imperfections d’information (qui sapent l’efficience du marché) et que la diffusion des TIC est tellement faible sur le continent, qu’on peut se dire que, vu les ressources financières et les efforts requis pour se mettre à niveau, l’Afrique ne pourra jamais y arriver. Des pays beaucoup plus avancés rencontrent d’ailleurs eux-mêmes des difficultés pour s’adapter convenablement aux exigences de la « révolution informationnelle ».
Malgré tout, ce handicap de base ne doit pas conduire à baisser les bras. Le plus important pour l’Afrique, c’est de faire preuve de volonté politique, de démarrer le processus et de s’engager avec fermeté dans la conduite d’une stratégie de développement qui met au centre la diffusion de l’information, du savoir et des TICs.
Les dirigeants africains ont bien compris cela en procédant dès 1996 à l’adoption de l’AISI (Initiative Société Africaine à l’Ere de l’Information). Le programme NEPAD a également retenu comme chantier majeur le développement de l’information et des TICs sur le continent. De la même manière, la Commission de l’Union Africaine a inclus, comme ligne d’action de son plan stratégique, la réduction du fossé qui sépare l’Afrique des autres continents dans le domaine des Technologies de l’Information de la communication (TIC) et des services de l’Internet. Au surplus, les partenaires au développement de l’Afrique sont de plus en plus conscients qu’il leur faut accorder une importance accrue au développement de l’information et des TICs dans leur programme de coopération avec l’Afrique. C’est dans cet esprit qu’il faut lire la décision de la Communauté internationale de faire de la promotion des TICS une des 18 cibles des 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement, ainsi que la création récente du Fonds mondial de Solidarité Numérique, en prélude à la tenue de la Seconde Phase du Sommet mondial sur la Société de l’information en novembre prochain à Tunis.
Au demeurant, la mise en place d’un environnement favorable au développement d’économies africaines pour lesquelles l’information sera un moteur privilégié, implique une appropriation de cet impératif au plus haut niveau de l’Etat et sa prise en compte concrète dans les documents de politique économique (notamment les Plans de Développement et les Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté, DSRP).
Les stratégies intitulées « Infrastructures Nationales d’Information et de Communication, NICI », que plusieurs pays africains ont d’ores et déjà conçues, avec l’appui de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA), dans le cadre du CODI (Comité sur l’Information pour le Développement), sont suffisamment élaborées pour servir de cadre d’action. Il leur faudrait simplement transformer les NICI en lois d’orientation axées sur la préparation de l’entrée dans la société de l’information, programmer des ressources budgétaires adéquates pour réaliser les objectifs fixés et faire un suivi-évaluation rigoureux. Il leur faut aussi se convaincre qu’une dépense effectuée dans le développement de l’information et des TIC constitue une priorité absolue en ce qu’elle exerce de réels effets multiplicateurs sur la croissance économique, en même temps qu’elle contribue in fine à éradiquer la pauvreté. Toute nouvelle politique publique en Afrique devrait ainsi inclure une dimension informationnelle. Les lignes d’action devraient également couvrir la refonte de la politique de régulation des activités économiques et l’érection de la transparence de l’information publique comme règle constitutionnelle, de manière à réduire les situations d’asymétrie d’information dans l’économie.
Sur le plan pratique, les pays doivent investir dans la mise en place d’une infrastructure technique (réseaux à haut débit de télécommunications notamment), servant de base à la création, au traitement, au stockage, à la diffusion et à la recherche de l’information, ainsi que d’une info-structure consistant en l’ensemble de systèmes d’information (archives, bibliothèques, centres de documentation, bases de données statistiques, Intranet, Sites Web, systèmes d’information géographique, etc.) et des personnes capables de prendre en charge la création, la gestion et surtout l’exploitation des ressources informationnelles.
Le défi, c’est enfin et surtout de convaincre les PME-PMI africaines des bienfaits de la « nouvelle économie » (fondée notamment sur l’information et sur les TIC), en termes d’opportunités pour réinventer entièrement leur organisation et leurs modes de fonctionnement, organiser le partage et la gestion des connaissances, faire de la veille et du « benchmarking » [1] et gagner des marchés de sous-traitance au niveau mondial, grâce au commerce électronique.
Moubarack Lo
(Source : Le Journal de l’Economie, 2 mais 2005)
[1] Le « benchmarking » se définit comme le processus qui permet de connaître les normes d’un produit, d’une activité, savoir si l’on est en phase avec ces normes et situer son rang en termes de classement.