Il y a beaucoup d’argent tiré du secteur des télécommunications. Mais très peu de transparence sur la destination des ressources tirées par l’Etat de ce secteur. La gestion du Fonds de développement du service universel des télécommunications (Fdsut) en est une caricaturale illustration. Crée par Abdoulaye Wade qui avait nommé à sa tête Innocence Ntab Ndiaye à la tête du Comité de gestion à la veille de la présidentielle 2012, l’utilisation des montants collectés par le Fonds devait servir à raccorder 14206 villages qui n’avaient pas encore accès au réseau de téléphonie avant décembre 2010 reste un véritable mystère. Financé par le prélèvement opéré sur les chiffres d’affaires des trois opérateurs (Sonatel, Tigo et Sudatel) à raison de 3% par an et les prélèvements sur les recettes de la cession des licences de téléphonie, rares sont aujourd’hui les Sénégalais qui en connaissent le montant encore moins les placements effectués ou l’utilisation. La bataille au sommet entre le directeur de l’Agence de régulation des télécommunications et postes (Artp) et la présidente du comité Innocence Ntab qui a débouché sur la paralysie du Comité a rappelé son existence aux Sénégalais, mais a surtout révélé l’enjeu qu’il représente.
L’alternance intervenue en mars dernier était la promesse d’une lumière projetée sur la gestion de ces fonds, la promesse d’une rupture dans la gouvernance. Pour le régime actuel qui s’est engagé à faire la gestion optimale des ressources la trame de sa gouvernance, éclairer les Sénégalais sur l’utilisation de ce fonds est une impérieuse nécessité démocratique.
Certes la coïncidence de la nomination de l’actuelle présidente du Comité à la veille de la présidentielle 2012 est suspecte et bien sûr que le profil de certains de ses membres peut outrer les dirigeants actuels. Sans nul doute, le conflit d’intérêts crée par la nomination de Moustapha Yacine Guèye comme membre du comité est d’une extrême incongruité. Mais cela justifie-t-il pour autant l’état de paralysie actuelle du comité ? A la vue de la demande de transparence exprimée par les Sénégalais et de la promesse de bonne gouvernance claironnée par le nouveau gouvernement, la réponse est non. La leçon magistrale infligée à Wade résonne encore comme un signal d’alarme contre toute forme d’opacité dans la gestion des ressources publiques. Une demande qui n’était pas ponctuelle, mais principielle.
Aussi, au-delà du montant alloué au Fonds, les citoyens devraient en connaître les réalisations. Une exigence d’autant plus légitime que le régime précédent avait fait montre d’indélicatesse en plaçant la somme de 6 milliards de FCFA issus de ce fonds à Amsa pour une durée de 5 ans dont les 5 milliards dans un immeuble de Amsa Assurance qui en valait à peine la moitié. D’ailleurs, la Conférence interafricaine des marchés d’assurances (Cima) avait vigoureusement dénoncé cette transaction.
Pour toutes ces raisons, le Dg de l’Artp a le devoir d’éclairer la lanterne des Sénégalais sur ce fonds et de veiller au bon fonctionnement du Comité quand bien même les personnes nommées ne l’agréeraient point. En dénonçant le contrat de construction de deux immeubles pour le compte de l’Artp attribué au sieur Cheikh Amar le successeur de Ndongo Diao s’était bien sûr inscrit dans une démarche attendue.
Egalement, transparence pour transparence, la même célérité est attendue de lui pour apporter toute la lumière sur Fdsut. Seulement, le blocage actuel du Comité de gestion du Fonds pour les motifs qui ne convainquent pas nombre de sceptiques n’est pas un bon marqueur de transparence. Mais plutôt un paradoxe à rebours du crédo du pouvoir actuel inscrit dans une démarche de transparence.
De plus, avec la mise sous mandant de dépôt de l’agent comptable de l’Artp double signataire avec Thierno Alassane Sall des actes du Fonds, ce dernier est devenu le seul maître à bord. D’ailleurs on se demande ce qui empêche le pouvoir de procéder à la nomination d’autres membres s’il est convaincu que la nomination des membres actuels n’est pas en conformité avec les textes. Une telle mesure contribuerait à rendre opérationnel le Comité de direction pour une meilleure gestion du fonds. Et d’en faire un véritable levier financier et institutionnel « pouvant assurer durablement la promotion de l’investissement technologique et la vulgarisation des usages et services de télécommunication en milieu rural. »
Le droit à l’information des Sénégalais consacré par la Constitution exige la lumière sur ce fonds dont une grande partie a été utilisée pour le financement du Plan Takkal. Quel montant ? Qu’en est-il des autres placements ? Si le point d’interrogation est gros, la réponse est excessivement simple. C’est surtout une nécessité pour qu’on n’ait pas l’impression que la rupture annoncée n’est qu’une illusion.
Mamby Diouf
(Source : La Gazette, 8 août 2012)