Ibrahima Diallo (Directeur général de la DAF) : ‘’Ce sont des gens qui sont déjà inscrits sur le fichier’’
samedi 16 février 2019
Tous les citoyens qui se rendent à la Direction de l’autonomisation des fichiers (Daf) sont ‘’déjà inscrits’’ sur le fichier électoral. C’est ce qu’a affirmé, hier, le directeur général Ibrahima Diallo, lors d’une interview accordée à ‘’EnQuête’’. Ainsi, il nie toute idée de manipulation de l’actuel fichier en faveur du président sortant.
Une vidéo qui circule sur le net fait état de gens qui sont en train de s’inscrire pour obtenir une carte d’électeur, alors que les inscriptions sont déjà clôturées. Qu’en est-il réellement ?
Les listes électorales, dont la révision exceptionnelle, ont été clôturées depuis le 30 avril dernier. Nous avons reçu les dossiers des autorités administratives et des consulats. Et depuis juillet dernier, les listes sont verrouillées. Il n’y a pas de possibilité d’inscription nouvelle. Les gens qui ont été aperçus hier (mercredi) sont venus avec des récépissés. Certains ont amené l’original et d’autres avec des certificats de perte. Ceux qui ont l’original de leur récépissé, ce sont des électeurs qui veulent profiter de la plateforme qui leur permet de disposer d’un duplicata.
Ce sont des gens qui sont déjà inscrits sur le fichier, qui sont présents dans le fichier que nous avons remis aux candidats, qui sont également présents sur les listes d’émargement déjà disponibles au niveau des sous-préfectures et des consulats, mais ils n’arrivent pas à retrouver leur carte. Alors, nous avons mis en place une plateforme qui fonctionne à l’annexe de la Daf, depuis plusieurs mois, et que nous avons décentralisé depuis deux mois au niveau de certains commissariats de la région de Dakar et des autres capitales régionales. Cela fait d’ailleurs l’objet de spots publicitaires au niveau des médias. On a invité les électeurs qui sont dans ces cas-là à se présenter. A partir du moment où on vérifie qu’ils sont bien sur le fichier et qu’ils n’ont pas reçu leur carte, on leur fait un duplicata. Les gens qui sont venus hier (mercredi) sont venus organisés, dans le cadre d’un moyen de transport collectif comme d’autres sont venus avant eux pour se faire établir un duplicata.
Est-ce que ce n’est pas le fait que ces gens appartiennent à un même groupe ethnique (des Peuls) qui a créé la suspicion ?
Non. On considère seulement que ce sont des gens qui sont dans la même localité qui se sont organisés pour venir ensemble. Nous sommes là à l’écoute de tous les citoyens qui viendront. Nous invitons, d’ailleurs tous les électeurs qui n’ont pas reçu leur carte à s’organiser. Qu’ils viennent en bus, train ou taxi, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est que nous avons ici une plateforme qui peut, toute la journée, du lundi au samedi, recevoir des électeurs qui ont l’original de leur récépissé, qui sont présents sur le fichier. Parce que, la première chose que nous faisons, c’est que nous interrogeons le fichier et nous notons le numéro de dossier qui a permis leur inscription sur le fichier. Sur la base de ça, on leur fait un duplicata. On les prend en photo, on prend leurs empreintes pour bien confirmer l’identité et on leur fait un duplicata qu’ils peuvent recevoir dans un délai de 48 heures.
Nous estimons que tous les Sénégalais qui ont fait une demande d’inscription ou de modification, qui ont été pris en compte et qui sont donc dans le fichier, on doit quand même tout faire pour qu’ils reçoivent leur carte pour pouvoir voter. Donc, ce dispositif existe depuis plusieurs mois et il est décentralisé au niveau de certains commissariats. Au Plateau, on trouvera des gens là-bas dans la même dynamique, à Pikine aussi, de même qu’à Thiès. Ce qui est clair, c’est qu’il n’y a pas de nouvelles inscriptions. Pour cette opération, ceux qui ont perdu leur carte vont payer un timbre de 1 000 F Cfa, comme l’indique la loi. Par contre, ceux qui n’ont jamais eu leur carte et qui le prouvent par l’obtention de l’original de leur récépissé, on leur fait le duplicata gratuitement. Ce n’est pas un dispositif nouveau.
Pourquoi donc les gens ont tiré sur la sonnette d’alarme, cette fois ?
Ce qui a fait l’émoi, c’est peut-être le nombre massif de gens qu’ils ont vu hier (mercredi). Et j’assure que ce que n’est pas la première fois. Personnellement, je suis là plus fréquemment que dans mon bureau au niveau de la Daf. Je constate qu’il y a beaucoup de gens qui viennent. Aujourd’hui, au niveau de la cité Malick Sy, nous en sommes à pratiquement 33 330 dossiers de duplicata. La même plateforme sert également à faire des corrections sur la carte, pour voir s’il y a des problèmes de photo, des informations erronées sur l’état civil.
Nous avons traité à ce jour 22 675 dossiers de demandes de correction. Au niveau décentralisé, nous avons commencé, depuis décembre, à aller dans les commissariats. Nous avons enregistré 211 dépôts de duplicata, dont 32 à Rebeuss, 124 au Plateau, 13 à Grand-Yoff, 3 à Tivaouane, 1 à Thiès arrondissement, 12 à Bel Air et 25 aux Parcelles-Assainies. Ceci, pour dire que ce n’est pas un phénomène nouveau. Ce sont vraiment des électeurs inscrits sur le fichier, détenteurs de l’original de leur récépissé et qui n’ont pas encore reçu leur pièce d’identité. Hier (mercredi) d’ailleurs, nous avons reçu la visite des plénipotentiaires de certains candidats dont celui de Rewmi, Mbacké Seck, qui est venu accompagné de quelqu’un et il a vu mon adjoint le commissaire Badiane. Ils se sont déportés au niveau de l’atelier et ils ont vu les dossiers qui étaient déposés et il y a bien les récépissés de dépôt à l’intérieur.
Donc, vous niez toute idée de manipulation du fichier électoral ?
Si, aujourd’hui, je voulais manipuler le fichier pour donner des cartes à de nouveaux électeurs, ces derniers voteraient où ? Parce que les listes d’émargement sont déjà parties au niveau des autorités administratives et des consulats. La carte électorale et le fichier sont déjà donnés aux candidats. Donc, ces nouveaux électeurs-là, ils ne pourraient pas voter, puisqu’ils ne seront sur aucune liste. Il y a aucun intérêt à créer un nouveau fichier.
Il y a beaucoup de citoyens qui se sont inscrits depuis le début du processus de changement des cartes d’identité et qui étaient inscrits sur l’ancien fichier. Mais aujourd’hui, sur leur nouvelle carte, c’est indiqué qu’ils ne sont inscrits sur aucune liste. Comment expliquez-vous ceci ?
Pendant la révision, ce que les gens font, c’est une demande d’inscription, soit une nouvelle ou une modification de leur adresse électorale. Quand on dit demande, ça suppose instruction du dossier. Quand c’est fait, il peut être accepté ou rejeté. Rejeté, parce qu’il y a un double sur l’état civil, les empreintes sont mal prises, la photo n’est pas bonne, etc. Donc, il y a plusieurs raisons de rejet. A la fin de l’exploitation des dossiers de révision, il y a une liste de rejets qui est envoyée au niveau des autorités administratives et des consulats qui les affichent.
Certains ont bien fait une demande de carte d’identité et d’électeur, mais si l’aspect électoral n’est pas accepté, ça fait l’objet d’un rejet. Maintenant, ils ont droit à une carte d’identité. Cette carte Cedeao est une carte à la fois d’identité et d’électeur. Donc, on leur sort leur carte d’identité et sur l’autre face, il est mentionné : ‘’Personne non inscrite sur le fichier électoral.’’ Alors, ces gens-là ne sont pas condamnés définitivement à ne pas figurer sur le fichier. Ils peuvent profiter d’une prochaine révision pour faire un dépôt et leur dossier d’inscription sera analysé, au regard des critères qui seront inscrits à nouveau. En ce moment, on leur fera une nouvelle carte en échange de la première.
Mais certains considèrent ceci comme une sanction pour empêcher les gens de l’opposition de voter…
Je ne vois pas quel serait le mobile pour pousser l’administration à sanctionner un électeur. Je ne sais pas comment moi, directeur de la Daf, je peux savoir, vous Mariama, pour qui vous votez pour vous sanctionner ? A contrario, vous ne savez pas pour qui je vais voter. Je pense que c’est de la conjecture. On est dans une campagne. Les politiciens utilisent tous les arguments qu’ils ont. Nous considérons que c’est de la politique. Pour ce qui nous concerne, l’administration électorale, nous sommes là depuis plusieurs décennies. Nous avons assisté à plusieurs alternances. Nous avons assisté au départ de Diouf (Abdou), de Me Wade (Abdoulaye). Si nous pouvions faire quelque chose pour l’empêcher, je pense qu’ils ne seraient pas partis.
Mariama Diémé
(Source : Enquête, 16 février 2019)