Haut débit mobile : cinq réponses au retard de l’Afrique subsaharienne
lundi 1er février 2021
Exonérations de taxes, co-investissements, science des données… Ce sont quelques unes des solutions à la disposition des opérateurs et des États pour déployer le haut débit, souligne le spécialiste des télécoms Amadou Makhtar Fall.
En 2020, seuls 26 % de la population au sud du Sahara disposaient d’un abonnement à internet via les réseaux 3 et 4 G alors que 74 % de cette population étaient couverts par ces réseaux. Ces chiffres attestent d’un double déficit, de couverture du territoire et d’utilisation du haut débit.
Pour le résorber, il est possible d’agir avec cinq leviers tout en gardant à l’esprit qu’il faut donner la priorité à la résorption du déficit d’utilisation, plus motrice en termes de potentiel de développement de la téléphonie mobile que celle visant le déficit de couverture.
1 – Repenser la gouvernance des fonds de service universel
Ce déficit de couverture découle du manque de viabilité économique des projets d’installation d’infrastructures, les opérateurs télécoms étant peu incités à investir dans des zones à faible densité et/ou habitées par des populations à faible revenu. À cet écueil s’ajoutent les difficultés d’accès qui renchérissent le coût de la couverture.
Historiquement, lorsqu’un service ne peut être assuré de manière économiquement viable, il bénéficie de subventions à travers des mécanismes tels que les fonds de service universel (FSU). Or, dans de nombreux pays, ces fonds ont été utilisés au profit d’autres secteurs que celui des télécoms voire pas du tout dépensés.
L’ESPRIT DU PARTAGE D’INFRASTRUCTURES DOIT ÊTRE PRÔNÉ
La première solution est donc de revoir leur mode de gestion pour le rendre plus transparent et inclusif, en mobilisant l’ensemble des acteurs du secteur des télécoms. Ces fonds devraient, par exemple, se voir imposer des objectifs annuels ou pluriannuels avec des indicateurs chiffrés, permettant de mesurer la performance des projets financés.
2 – Co-investir dans les zones non rentables
Au-delà du possible accès à des subventions via les FSU, les opérateurs peuvent alléger les coûts de couverture en faisant du co-investissement en particulier dans les zones non rentables. C’est l’esprit du partage d’infrastructures qui est prôné par certains cadres réglementaires.
LUTTER CONTRE LA PAUVRETÉ AU NIVEAU GLOBAL A DES EFFETS POSITIFS, PAR RICOCHET, SUR L’ACCESSIBILITÉ
Sauf que, dans la pratique, ce cadre est très mal ou très peu appliqué. Ce partage de CAPEX et/ou d’OPEX permet aux opérateurs de présenter des business plans plus solides malgré la faiblesse des revenus escomptés.
3 – Généraliser les exonérations de taxes
La solution est connue mais insuffisamment adoptée. Les États et les municipalités peuvent contribuer à la réduction des coûts de déploiement en accordant des exonérations temporaires de taxes et/ou de redevances aux opérateurs télécoms pour tout projet de déploiement d’infrastructures.
LES POLITIQUES PUBLIQUES DES ÉTATS SUBSAHARIENS DOIVENT ÊTRE HARMONISÉS
Ils ont aussi intérêt à agir pour combler le déficit d’utilisation, notamment à travers une politique de démocratisation des terminaux intelligents. Sans oublier que lutter contre la pauvreté et promouvoir la bonne gouvernance au niveau global a des effets positifs, par ricochet, sur l’accessibilité.
4 – Définir des plans nationaux du haut débit
En complément, les politiques publiques et les cadres réglementaires des États subsahariens doivent être harmonisés dans l’optique d’encourager la couverture des zones non encore desservies. Sur ce volet, l’adoption d’un plan national du haut débit est un outil très efficace s’il comporte des objectifs réalistes, clairs et chiffrés.
IL FAUT RÉFLÉCHIR À L’UTILISATION DE TECHNOLOGIES PLUS ADAPTÉES AUX ZONES DIFFICILES
Ces plans doivent également être assez flexibles pour permettre des mises à jour lorsque surviennent des événements inattendus tels que la pandémie à laquelle nous faisons face actuellement.
5 – Utiliser connectivité alternative et science des données
Enfin, il faut aussi réfléchir à l’utilisation de technologies plus adaptées à ces zones difficiles à couvrir et, surtout, encourager les opérateurs à les expérimenter. C’est l’ambition depuis quelques années du Telecom Infra Project, avec toutefois plus ou moins de réussite.
En parallèle, pour évaluer les résultats de ces technologies comme la pertinence d’un plan d’action global, il convient de recourir plus largement à la science des données. En gardant bien à l’esprit que, dans ce domaine, la rigueur est de mise : une légère inexactitude des données peut en effet remettre en cause toute l’analyse produite.
Amadou Makhtar Fall [1]
(Source : Jeune Afrique, 1er février 2021)
[1] Spécialiste de la régulation des télécoms en Afrique, travaille depuis quinze ans dans l’analyse et la réglementation des télécoms sur le continent.