Haut débit & inclusion financière : la Banque mondiale compte encadrer davantage les financements pour équilibrer les risques et les accès
lundi 6 juillet 2020
Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures. Ismail Douiri, directeur général de Attijariwafa Bank. Un beau panel d’analystes financiers, et non des moindres. Voilà ce qui a été proposé lors de l’E-Conf Challenge du jeudi 2 juillet autour du thème « Inclusion financière et accès universel au haut débit : vers un monde plus résilient ».
Dès l’ouverture de cette 6ème session, Mohamadou Diallo, directeur général de CIO Mag et modérateur, a donné le ton de la vidéoconférence axée sur la stratégie des institutions financières pour accompagner la mise en place d’infrastructures télécoms et de politiques afin que le haut débit améliore l’accès aux services financiers.
Du Broadband pour une vie meilleure
Le débat est inévitable. Il s’agit d’inclure 1,7 milliard de personnes dans le système financier formel. Par ces temps troublés par la Covid-19, la question prend encore plus de relief. Le secteur des télécoms a résisté mieux que d’autres à la pandémie. Mais les citoyens ont des difficultés pour payer leurs factures de téléphone. Aussi, « une des actions de la Banque mondiale face à la Covid-19 est d’apporter des subventions aux plus pauvres pour qu’ils puissent continuer à utiliser des services de données », a expliqué Makhtar Diop.
Outre le coronavirus, la fiscalité préoccupe la Banque mondiale. Pour le vice-président en charge des infrastructures, il y a un « équilibre adéquat » à trouver pour une taxation incitative à la poursuite des investissements physiques, tout en préservant les intérêts des Etats. Preuve du caractère stratégique de cette taxation, la question sera débattue dans le Rapport 2021 de la Banque sur le développement dans le monde, intitulé « Data for better lives », a rappelé M. Diop.
Par-dessus tout, « la Banque mondiale considère que l’utilisation du mobile est importante pour répondre aux besoins pressants dans une économie où le contact physique ne sera plus possible » comme par le passé. Pour l’ex ministre sénégalais de l’Economie et des Finances, cette réalité n’est pas nouvelle. Elle mobilise déjà l’Institution de Bretton Woods, l’UA, Smart Africa et d’autres partenaires au sein de la Global Broadband Commission. Lancée en 2010 par l’Unesco et l’UIT, celle-ci veut permettre un accès universel à la 4G pour améliorer l’accès aux services sociaux de base d’ici 2030.
Cet objectif, la Banque mondiale compte l’atteindre avec des initiatives comme le Digital economy for africa initiative (DE4A). Il vise à « créer les conditions qui permettront aux providers d’évoluer dans un secteur qui soit le plus attractif possible ». Makhtar Diop a aussi fait référence à la création d’un marché unique de la téléphonie au sein de la CEDEAO pour accélérer les investissements privés.
Formations en Big data
Maximiser les accès à la fibre optique et former des ingénieurs sur les technologies de rupture tel le Big data, ont été également énoncés par le vice-président comme éléments indispensables à la création de services à valeur ajoutée. « Dans ce nouveau monde, la donnée est l’élément essentiel du développement économique, et investir dans la formation d’ingénieurs en Big data et autres sera essentiel pour une croissance soutenue en Afrique. »
Pour financer ces engagements, la Banque mondiale orientera vers l’Afrique, 2 milliards $ sur les 3 milliards consacrés à l’investissement dans les télécoms. Poursuivant, le représentant du Groupe, qui estime à 100 millions $ l’investissement nécessaire pour apporter la Broadband sur le continent d’ici 2030, a précisé que 75% de cette manne sera destinée au secteur privé.
Financement des télécoms
Les opérateurs télécoms sont par ailleurs des clients importants pour les banques. Selon le directeur général d’Attijariwafa Bank, ce sont très souvent leurs premiers clients. Pour améliorer les possibilités de financement local, Ismail Douiri réclame « une réglementation qui tienne compte des structures existantes afin de permettre une concurrence juste entre établissements bancaires ».
A l’en croire, une banque locale dont l’actionnaire est local ou une banque régionale africaine de moins bon rating « sera forcément limitée dans sa capacité à financer un tel opérateur ». A l’inverse, une banque locale dont la maison mère est une banque européenne à très bon rating international, aura un avantage concurrentiel à travers les contres garantis que peut lui donner sa maison mère. Selon lui, cette distorsion de la concurrence procède « souvent des réglementations inspirées des meilleures pratiques mondiales parfois même des missions de la Banque mondiale ou du FMI mais dont on n’a pas analysé nécessairement tous les impacts micro ».
Convergence sur l’inclusion financière
Ismail Douiri s’est aussi prononcé sur l’inclusion financière : « Un terme assez vaste sur les produits et les cibles mais source d’opportunités différentes pour les acteurs. » D’un côté, l’opérateur télécoms constate que son client a plus besoin de services traditionnels de la banque (crédit, épargne, assurance) que de simplement transférer de l’argent. De l’autre côté, la banque observe que son client commence à utiliser son portemonnaie électronique de préférence à sa carte.
Pour le CEO d’Attijariwafa Bank, cet état de fait conduit à une converge d’intérêts qui ne sauraient opposés banquiers et telcos. Aujourd’hui, il est question de profiter du développement des infrastructures télécoms, de la baisse des coûts des smartphones « qui démocratisent énormément l’accès à la data », pour se rapprocher des classes moyennes émergentes et des PME en vue de leur délivrer des services bancaires matures via le téléphone.
Equilibrer les risques et les accès avec les Fintech
Evoquant la relation Banque-Fintech pour améliorer l’inclusion financière, Ismail Douiri a souligné une approche limitative des seconds. A savoir, leur préférence pour des business model de partage de revenus, là où la banque qui utilise son environnement informatique comme un prestataire de services préfère que la Fintech adopte un positionnement d’éditeur de logiciels ou de conseils.
« Qui dit Fintech dit problèmes ou enjeux de cybersécurité », a renchéri le vice-président de la Banque mondiale. Toutefois, Makhtar Diop a insisté sur la nécessité de faire évoluer la régulation afin de renforcer l’inclusion financière.
Intervenant à cette occasion, le président de l’Organisation des professionnels des TIC du Sénégal a déclaré que les services financiers numériques sont la clé de l’inclusion financière. Pour Antoine Ngom, il est maintenant question de diversifier les offres de service, en poussant l’Open Banking avec des solutions proposées par les Fintech.
Les échanges, qui se sont étendus à l’énergie et l’économie verte puis le climat, ont montré la nuance des opportunités, tout en mettant en exergue la nécessité d’une réglementation adaptée aux besoins des Etats, des opérateurs économiques et de la population.
Par Anselme Akéko
(source : CIO Mag, 6 juillet 2020)