Hafi Barry (Directeur pays de la Start-up InTouch) : ‘’Il n’y a pas de problème de disponibilité de fonds au Sénégal’’
samedi 27 octobre 2018
La plupart des start-up au Sénégal ne survivent que quelques années après leur conception. Entre autres difficultés, les acteurs parlent de problèmes de soutiens financiers, d’encadrement, de cibles. Mais, dans cette interview accordée à ‘’EnQuête’’, le directeur pays de la Start-up InTouch, Hafi Barry, soutient qu’au Sénégal, la disponibilité de fonds n’est pas le souci. Pour lui, les challenges se situent ailleurs. L’ancien financier y revient largement.
Orange a décidé d’ouvrir ses Api aux start-up sénégalaises. C’est quoi une Api et qu’est-ce qu’elle peut apporter comme valeur ajoutée dans le développement du business des start-up ?
C’est un mot anglais qui veut dire Application Program Interface (Api) qui veut dire en français Interface de programmation applicative. C’est un langage commun entre plusieurs machines. En gros, si on veut que deux systèmes informatiques communiquent, il faut qu’ils parlent le même langage. Une Api est un langage standardisé pour ceci. Une start-up, lorsqu’elle commence, elle a beaucoup de problématiques. Par exemple, une start-up de e-commerce qui veut vendre un produit doit développer un moyen de paiement pour pouvoir accepter l’argent par Orange Money, carte bancaire, etc.
Donc, une Api permet à ces start-up de déclencher certaines actions. Ça peut être une Api de logistiques, telle que la société Dhl. Par exemple, l’application alerte la start-up, en cas d’achat d’un produit, et celle-ci alerte Dhl pour la livraison. Ce sont des ordinateurs qui se parlent, se posent des questions, se donnent des ordres, des réponses. C’est très important. Ça peut réduire le coût de développement d’une solution et permet de se déporter sur plusieurs marchés. On peut être ici et vendre ailleurs, en France par exemple, avec l’Api de Paple avec laquelle on peut accepter des paiements de là-bas.
Est-ce que l’accès à ces services est gratuit pour les start-up ?
Il l’est généralement. Mais, il y a toujours un business-modèle derrière. Parce que quelqu’un qui développe des Api et qui les expose a besoin de gagner de l’argent. C’est une technologie propre et il y a des choses qui se passent derrière et la personne a besoin de se faire rémunérer. Dans le cadre d’une Api de paiement marchand, il y a une commission pour le marchand. Il arrive que des Api aient un coût et après à la transaction. Mais, en général, les modèles qu’on observe, surtout dans l’écosystème actuel, c’est un pourcentage du prix facturé qui est débité et gardé par le producteur de l’Api.
Est-ce vraiment un système assez fiable pour le business ?
Bien sûr ! Il est aussi fiable qu’une banque, qu’Internet ou une personne à qui on donne de l’argent pour aller acheter quelque chose. Cela dépend vraiment du niveau de sécurité auquel l’entreprise qui produit des Api est soumise. Il y a des standards de sécurité internationaux. Certains Api sont sécurisées, certifiées, alors que d’autres ne le sont pas.
Aujourd’hui, en tant que Pdg d’une start-up, quels sont les défis auxquels vous faites face au Sénégal ?
Ils sont vraiment nombreux (rire). Il y a énormément de difficultés. Dans le domaine des Api, par exemple, quand on est une start-up, on a de tous petits acteurs qui ont des idées, des potentiels extraordinaires, qui sont en train de parler à des boites qui valent des milliards de dollars. La difficulté majeure pour une start-up qui n’a qu’une idée, c’est de venir voir un groupe comme Sonatel pour le convaincre de développer une Api. Ce qui veut dire qu’il va dépenser des millions de francs Cfa à engager des développeurs pour que la start-up puisse tester son idée. C’est là la difficulté majeure. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de gens qui ont des services hyper intéressants qu’ils peuvent distribuer, déployer ailleurs, mais ils n’ont pas d’Api. La Sonatel a fait quelque chose de très fort. C’est un bouleversement. On va voir que l’écosystème va se développer et d’une manière rapide. De belles start-up vont sortir et ça va changer beaucoup de choses. Mais, pour l’instant, la difficulté majeure des start-up sénégalaises, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui exposent ces Api.
L’accès au financement aussi ne constitue-t-il pas un autre challenge ?
J’étais dans le secteur du financement, avant de me lancer dans le numérique. Mais il n’y a pas de problème de disponibilité de fonds au Sénégal. C’est plutôt celui de la communication entre la start-up et la personne qui donne ces fonds. Le financement, c’est une activité rentable pour la personne qui finance. Si quelqu’un donne un million de dollars, c’est parce qu’il attend un retour sur investissement. Donc, la première chose à comprendre pour une start-up qui va lever x millions de dollars, c’est qu’il arrivera un jour où le fondateur ne sera plus propriétaire de cette start-up. C’est une idée qui n’est pas forcément trop comprise par les start-up. La deuxième chose, c’est que l’argent va vers ceux qui réussissent. On n’aura pas un million de dollars sur la base d’une idée. On l’aura sur celle d’un modèle qui a marché. On va parler des Mvp, c’est-à-dire Minimum Value Product. C’est un produit qui marche, qui a montré sa valeur, qui génère déjà de l’argent. Ça peut intéresser un investisseur.
On a aussi la logique du Poc, Proud of Concept. Par exemple, on a un concept, on veut vendre des verres, on fait un super business plan qu’on présente à un financier. Il va vous demander à qui l’avez-vous vendu ? Il faut savoir répondre à cette question. Malheureusement, l’argent suit l’argent. Les start-up qui sont financées ont tendance à être plus financées. Celles qui vendent créent de l’argent, intéressent plus le marché financier. Il y a également des initiatives de financement à l’entreprenariat social que prennent certains groupes, comme Orange. Là, c’est un concours et on n’a pas besoin d’avoir un Poc. On a juste besoin de montrer que son produit a un impact social fort. Ainsi, on peut avoir accès à des financements charitables. Bien comprendre ce dont on a besoin, mais aussi à quel niveau de maturité on est, les attentes des gens qui sont en face, avant de demander de l’argent. C’est quelque chose qui est important, quand on crée une start-up. Après, les choses se déroulent correctement.
Dans ce cas, est-ce que l’étude du marché ne doit pas être un préalable ?
Ça, c’est plutôt une question de philosophie. Moi, je m’inscris contre l’étude de marché. Si on est une start-up et qu’on imagine un produit qui n’existe pas encore… Quel marché on va étudier, dans ce cas ? Ce marché n’existe pas, puisque le produit n’est pas encore inventé. Si on attend de faire une étude pour le lancer, on ne le fera jamais. Donc, il faut trouver une méthode pour le tester. Ce qui ne coûte pas cher. Les études de marché sont vraiment très limitées. Elles sont bien pour un marché qui existe déjà. Mais, au cas contraire, il n’y a rien de mieux que le test de la vie. C’est ce que j’engage, toutes les start-up, quel que soit leur niveau, à faire. C’est-à-dire, quand on a un produit, il faut trouver des bêta-testeurs, des gens qui veulent jouer le jeu pour servir de pilotes. Une fois que c’est fait, on généralise. C’est la meilleure façon pour faire prospérer une start-up. Il faut éviter les études de marché.
Est-ce qu’au Sénégal, l’environnement est favorable pour le développement des start-up ?
Absolument. Créer une start-up, c’est le métier le plus difficile au monde. Les gens ont l’impression que le fondateur d’une start-up, c’est quelqu’un qui sait parler, raconter son histoire, qui va faire rêver, etc. Donc, on va imaginer que tout le monde peut initier une start-up. Ce qui n’est pas vrai. Il y en a autant qui ont réussi que de footballeurs professionnels. Tous les jeunes jouent dans les rues en se disant : ‘’Je serai le prochain Paul Pogba.’’ C’est pareil dans le monde des start-up. Tout le monde se dit : ‘’Je serai le prochain Marck Zuckerberg, Jeff Bezos’’, etc. Or, si les gens connaissent leur nom, aujourd’hui, c’est parce qu’ils ne sont pas nombreux. Il n’y a pas beaucoup de gens qui réussissent. C’est une première chose qu’il faut encaisser pour un start-upeur. Si on souhaite se lancer dans l’entreprenariat, on va investir au début deux fois plus et gagner deux fois moins. Donc, il faut savoir sacrifier ses premières années et aller de l’avant.
Qu’en est-il réellement de l’écosystème ?
Au Sénégal, il y a déjà des entrepreneurs pas forcément dans le domaine de la technologie. Mais, il y a beaucoup de belles histoires. Que ce soit le créateur de Sedima, Ccbm, Money Express, etc. Il y a déjà un tissu de personnes sur lesquelles les gens peuvent se reposer. En plus, le gouvernement commence à s’impliquer de plus en plus dans ça. Il y a des infrastructures qui sont mises en place, des incubateurs, des espaces de co-working, etc. Sur ce point, l’entrepreneur est bien encadré. Il y a aussi l’argent qui arrive au Sénégal d’une façon faramineuse.
Il y a de plus en plus de ‘’Ventures Capitalists’’, de ‘’Private Equity’’ (Ndlr : des gens qui investissent dans des sociétés non cotées n’ayant pas encore trouvé leur point d’équilibre), de ‘’Business Angel’’ (Ndlr : une personne physique qui investit à titre individuel au capital d’une entreprise innovante, à un stade précoce de création ou en début d’activité, à l’amorçage), de fonds d’investissement, d’entreprises qui créent des capitaux ventures (capitaux-risques) qui sont plus corporate. Donc, il y a beaucoup d’argent dans le système. C’est une situation unique. On est bien placé pour être l’équivalent de la Silicon Savannah au Kenya ou de la Silicon Valley, dans une moindre mesure. On a des évènements tous les deux à trois mois qui réunissent ces entrepreneurs. On échange pas mal d’idées, on fait bouger les choses. Je pense que l’écosystème est prêt pour les entrepreneurs de demain. Il faut juste avoir le courage d’aller plus loin.
(Source : Enquête, 27 octobre 2018)