Quand le Président Macky Sall avait pris ses premières décisions de nomination de personnalités pour la prise en charge du secteur des médias, nous étions nombreux à lui tomber dessus. Nous lui faisions remarquer que le secteur des médias devait mériter de plus d’attention, plus de considération et surtout plus de respect. Il avait été laborieux d’empêcher la publication d’une pétition, à l’initiative de certains responsables de médias, pour protester contre les premières nominations. Les récriminations semblent n’être pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Macky Sall, a décidé de nommer Babacar Touré, journaliste, président du Groupe Sud Communication à la tête du Conseil national pour la régulation de l’audiovisuel (Cnra). Le chef de l’Etat ne pouvait pas faire meilleur choix. Il répond ainsi à une revendication des professionnels des médias qui acceptaient difficilement que la régulation du secteur de leur secteur soit systématiquement confiée à des personnes qui ne sont pas issues du milieu des médias. En effet, Depuis le Haut Conseil de la Radio et de la Télévision, ancêtre du Cnra, institué en 1992, l’autorité publique de régulation des médias était dirigée successivement par Cheikh Tidiane Sarr (Magistrat), Babacar Kébé (Magistrat) Aminata Cissé Niang (juriste universitaire) et Nancy Ngom Ndiaye (Magistrat). Ces nominations traduisaient une certaine philosophie de la régulation qui consistait à l’inscrire dans une perspective de punition.
Il n’était pas nécessaire que les responsables de l’institution de régulation eurent une connaissance, un vécu avec les médias, pour comprendre les enjeux, les mutations et surtout leur fonctionnement. Il suffisait juste que le « prince » voulût vous trouver un strapontin ou qu’il vous inscrivît dans une logique de tenir en selle les médias. Les professionnels des médias sénégalais ruminaient leur frustration et théorisaient la nécessité de confier la régulation de leur secteur à des professionnels. Mais puisqu’il y a une loi non écrite qui voudrait que sur le chantier des mutations démocratiques, les Sénégalais entament la réflexion et indiquent les bonnes résolutions, même s’ils ne se les appliquent pas toujours, les autres médias d’Afrique francophone au Sud du Sahara, se sont servis des « grandes idées sénégalaises ». Ainsi, ont-ils convaincu, même des dictatures, d’accepter que les organes de régulation des médias soient dirigés par des professionnels des médias. La preuve, en Guinée, depuis sa création, la Haute Autorité de la Communication a été dirigée tour à tour par Tibou Camara, Moustapha Yacine Diallo, Mounir Camara, Jean Raymond Soumah et aujourd’hui Martine Condé. Tous des journalistes. Au Burkina Faso, le Conseil supérieur de la Communication était dirigé depuis sa création en 2005 par Luc Adolphe Tiao, l’actuel Premier ministre, diplômé du Cesti de Dakar, avant de passer le flambeau à Béatrice Damiba, diplômée de l’école de journalisme de Strasbourg. Il en est de même au Niger où depuis sa création en 2009, le Haut Conseil de l’audiovisuel est présidé par Abdourahmane Ousmane. Au Mali, le Conseil supérieur de la Communication est dirigé par Mme Togola Marie-Jacqueline Nana, alors que le Comité national pour l’égal accès aux médias publics a à sa tête le journaliste Abdoulaye Sidibé. Au Cameroun, le Conseil national de la Communication est dirigé par Mgr Joseph Befe Ateba. Ce prélat de l’église catholique de Kribi est diplômé de l’Ecole Supérieure des Sciences de l’information et de la Communication de Yaoundé, la sœur cadette du Cesti de Dakar. En Côte d’Ivoire, le devoir de diriger le Conseil national de la Communication audiovisuelle était revenu aux journalistes Diégou Bailly, Franck Anderson Kouassi et Lévy Niamké avant que cette institution ne se mue en 2012 en Haute Autorité de la Communication audiovisuelle (Haca) que dirige le journaliste Ibrahima Sy Savané. En mettant en place la Haca, la Côte d’Ivoire a appliqué une idée des patrons de presse du Sénégal qui demandaient le transfert à l’instance de régulation des médias de certaines compétences liées à l’attribution et la gestion des fréquences des radios et télés qui restent des missions encore dévolues à l’Agence de Régulation des Postes et des Télécommunications (Artp). La résolution avait été prise par Ibrahima Sy Savané, en 2010, à Grand Bassam, lors d’un colloque du Groupement des Editeurs de presse de Cote d’Ivoire (Gepci). Ibrahima Sy Savané était alors ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement de Guillaume Soro. Au Sénégal, le patronat de presse ne siège même pas au Conseil de régulation de l’Artp. Cette anomalie a pour conséquence, entre autres, que les tarifs de location des fréquences soient hors de portée de toute radio ou télévision au Sénégal. Il faudra casquer 300 millions de francs Cfa par an pour pouvoir être en règle pour la couverture de l’ensemble des régions administratives du Sénégal. Aucune radio ou télévision n’est en règle avec cela.
Maintenant, une de nos revendications est satisfaite et de quelle belle manière ! En nommant Babacar Touré, Macky Sall reconnaît le mérite de l’homme et salue un parcours. Il faudrait être de façon atavique grincheux et animé d’un chauvinisme de mauvais aloi pour s’offusquer d’une telle nomination. Le parcours de BT est éloquent et élogieux. L’homme jouit du respect de tous les confrères au Sénégal, en Afrique et de par le monde. Le Président Sall a choisi le meilleur profil. C’est aussi la carte maîtresse des médias. Aux professionnels de se montrer dignes de cette marque de reconnaissance et de confiance. Babacar Touré n’a pas droit à l’échec. Il a l’obligation de réussir sa mission. De lui, il est attendu qu’il impulse de profondes mutations dans le secteur des médias. Le Cnra ne devra plus être qu’un simple studio d’écoute de radios et de visionnage du programme des télés. Les médias ont toujours appelé à ce que le Cnra serve de laboratoire ou de creuset de réflexion pour inspirer des politiques publiques dans le secteur des médias. Les idées ne manquent point et c’est l’occasion d’aller de l’avant. Il faudra donc veiller à ce que BT ne serve de leurre et qu’il soit placé à la tête d’une équipe de personnalités qui n’apporteraient rien au progrès des médias et qui se révèleront des sources de blocage. De toute façon, BT ne l’accepterait nullement. Toutefois, il reste de la responsabilité des professionnels des médias de peser de toute leur influence pour aider l’Etat à mettre en place une équipe crédible. L’opportunité est donnée d’élever davantage la place de l’institution dans l’architecture institutionnelle et surtout de renforcer ses compétences pour lui permettre de ne pas circonscrire son action aux seuls médias audiovisuels.
Madiambal Diagne
(Source : Le Quotidien, 10 septembre 2012)