Gestion et contrôle des appels internationaux entrant au Sénégal : L’Artp décidée à appliquer les nouveaux tarifs avec ou sans la collaboration de Sonatel
mercredi 28 juillet 2010
Une mise en demeure a été envoyée par l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) à la Sonatel pour lui notifier qu’elle sera dans l’obligation de procéder à des estimations pour décompter les appels internationaux, si, au 1er août, elle n’acceptait pas l’installation des équipements de contrôle de Global Voice.
A quelque trois jours de l’application du décret N0.2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant en République du Sénégal, l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) et la Sonatel ne s’entendent toujours pas pour l’installation de Global Voice Group (Cvg). Cette dernière, chargée du contrôle des appels internationaux entrant au Sénégal, doit installer ses équipements dans les terminaux de la Sonatel afin de pouvoir, chaque mois, décompter le nombre d’appels échus au Sénégal. Seulement des syndicalistes de la Sonatel, décidés à s’opposer par tous les moyens à la mise en place de ce système de contrôle, refusent de transmettre à l’Artp leurs données et d’ouvrir leurs équipements aux techniciens de Global Voice. Ce qui a poussé l’Artp à adresser une mise en demeure à la Sonatel pour lui signifier que « si au 1er août (Ndlr : date d’entrée en vigueur des nouveaux tarifs internationaux en application du décret N0.2010-632 du 28 mai 2010 rien n’est fait, elle procédera par estimation pour facturer les communications internationales entrant au Sénégal.
Cette mise en demeure a été servie à la Sonatel lundi dernier et intervient après une première dans laquelle l’Artp sommait l’opérateur historique de lui fournir les données nécessaires au contrôle des appels entrants. Cette première mise en demeure était certes adressée à la Sonatel bien avant l’audience de la semaine dernière entre le Premier ministre et les syndicalistes. Audience au cours de laquelle Souleymane Ndéné Ndiaye avait demandé une trêve aux travailleurs, le temps pour lui de rendre compte au président Wade, absent à l’époque du territoire national. Ce qui montre que l’Etat à travers l’Artp n’est pas prêt à reculer devant la pression des syndicalistes de la Sonatel.
C’est ainsi qu’il faut se demander à quoi servent les interminables rencontres entre certaines institutions. L’Artp, les syndicalistes et la Direction générale de la Sonatel. La dernière en date s’est produite avant-hier et hier au Conseil économique et social où ont défilé respectivement la Direction de l’Artp, les syndicalistes de la Sonatel et la Direction générale de celle-ci. Une chose est restée jusqu’ici étrange aux yeux des observateurs. C’est l’absence de la direction de Sonatel du débat public instauré autour de cette affaire par les syndicats de la maison. Quelle est la position officielle de Sonatel sur ce décret ?
Comme vont le constater nos lecteurs, ce dernier est très détaillé et très technique. Son décryptage n’est pas à la portée du tout venant, et la passion accompagnée de slogans plutôt que d’explications claires et rationnelles sur ses implications économiques immédiates et futures, n’est pas pour nous rassurer. Si, au vu de ses exploits récents personne ne donnerait un chèque en blanc à l’Artp, les dernières informations faisant état du fait que de tous les acteurs auxquels nous sommes familiers, seule France Télécoms, de façon sûre et certaine, perdrait de l’argent dans l’affaire, désignent la Sonatel, fille adoptive de l’opérateur français, comme tirant les ficelles derrière les syndicats pour le compte de la maison-mère. Car, personne ne nous a dit, jusqu’à présent, malgré le flot d’ « informations » dont nous sommes submergés, que France Télécoms est aussi carrier et va, à partir du premier août, sur chaque minute d’appel qu’elle convoyait jusqu’à Dakar, perdre 7,5 centimes d’euro, près de 60 francs Cfa, sur ce qu’elle gagnait traditionnellement. Or, on parle d’une centaine de millions de minutes par mois. Cherchez l’erreur !
Toujours est-il que, du côté des syndicalistes, mise en demeure ou pas, la résolution reste la même : « Aucune ouverture de nos installations ne sera faite à Global Voice », assure Mamadou Aïdara Diop, le Coordonnateur de l’Intersyndicale de la Sonatel, qui menace sa direction : « Si la Direction générale se plie à une quelconque mise en demeure de l’Artp, nous la mettrons sur la même ligne que l’Artp et Global Voice et nous la combattrons ». Espérons que c’est vraiment pour le bien commun sénégalais, et surtout des consommateurs. Espérons, même si, quand la taxe Rutel, qui frappe directement et sans débat sur le portefeuille du consommateur, a récemment été portée de 2 à 5%, nous n’avons vu personne descendre dans la rue.
Pape Samba Kane & Bachir Fofana
(Source : Le Populaire, 28 juillet 2010)
Qui est Global Voice ?
Depuis que son nom est annoncé pour gérer les communications internationales entrant au Sénégal, l’on ne cesse de s’interroger sur Global Voice. D’aucuns parlent de société nigériane, d’autres d’entreprise américaine, tandis que certains font état d’une société de droit haïtien. Mais c’est une société basée à Miami (Floride), qui possède 10 bureaux à travers 4 continents y compris au Cap (Afrique du Sud), à Dakar (Sénégal), à Abidjan (Côte d’Ivoire), en République Dominicaine et à Madrid (Espagne). Global Voice Group est implanté au sein de 56 réseaux nationaux dont une trentaine en Afrique et aux Caraïbes.
D’après plusieurs recoupements, Global Voice appartiendrait à deux actionnaires haïtiens, ayant nationalité américaine. Il s’agit de Laurent Lamothe qui en est le président-directeur général (Pdg). Et de Patrice Baker qui vivrait en Afrique du Sud, plus précisément à Capetown, siège africain du groupe.
S’agissant de ses relations avec la Sonatel, il faut dire que Global Voice Group (GVg) était venu au Sénégal et dans plusieurs pays africains en tant que « Carrier », c’est-à-dire un prestataire de services télécoms qui achète des volumes de communications téléphoniques revendus aux clients établis à l’étranger. C’est ainsi que de 2003 à 2009, Global Voice a travaillé avec la Sonatel. Mais à cause des mutations notées dans le secteur des télécoms, notamment l’introduction massive du portable, il a vendu ses activités de carrier, devenues moins rentables pour se spécialiser dans le contrôle des appels internationaux entrant au Sénégal. Une activité qui, de toute évidence, a relancé les affaires du groupe.
En Afrique et aux Caraïbes, et dans 56 pays. Cvg intervient aujourd’hui pour brasser des milliards. On comprend très bien que cet ancien carrier qui connaît les pratiques en cours dans cette activité des télécommunications internationales très floue, avec ses lignes grises et autres procédés alternatifs de contournements de la légalité, soit perçu par des opérateurs comme le loup dans la bergerie. Ou pire, comme un dealer devenu policier.
Pour controversée que soit son entrée au Sénégal, certains pays comme la RDC doivent à Gvg un contrôle plus rigoureux sur leurs communications internationales et des rentrées d’argent accrues pour l’Etat . Le groupe aurait permis d’y neutraliser plus de 3000 lignes frauduleuses de télécommunications internationales, selon des informations tirées du blog du ministre congolais des Télécommunications.
Et son entrée auprès de pays comme le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Togo doivent quelques choses à certains de ses résultats sur le continent qui ont enthousiasmé les dirigeants de ces Etats. Le Sénégal des libéraux ne pouvait bien entendu pas rester en marge de ces mannes financières annoncées.
Reste à voir le groupe à l’œuvre chez nous, à partir du 1er Août, selon toute vraisemblance pour être définitivement fixé.