Gestion ARTP 2005-2012 : Plus de 10 milliards, deux Dg et des multinationales en cause
jeudi 24 octobre 2019
Le rapport 46/2015 de l’Inspection générale d’Etat relatif à l’audit administratif, financier et comptable de l’Autorité de régulation des télécommunications (Artp) n’a décidément pas fini de faire parler de lui. La Chambre de la discipline financière de la Cour des comptes se penche sur cette affaire demain jeudi, suite à l’ordonnance de renvoi du Parquet général datée du 22 mai 2018. Deux anciens directeurs généraux de cette agence sont appelés à la barre : Daniel Goumbalo Seck et Ndongo Diao, respectivement à la tête de l’Artp de 2005 à 2009 et de 2009 à 2012. Plusieurs sociétés, locales comme étrangères, sont incriminées.
Le parquet s’est intéressé à plusieurs affaires dont certaines se conjuguent en milliards de francs Cfa. Si les investigations de l’Inspection générale d’Etat (Ige), qui inspirent le parquet, portent sur 7 années de gestion, de 2005 à 2012, alors que Me Abdoulaye Wade était aux commandes, le dossier phare reste sans nul doute l’opération de promesse de vente que l’Artp a engagée, sous le magistère de Ndongo Diao, avec le groupe Amar Holding et Touba Real Estates.
Il s’agit de deux immeubles à édifier sur le titre foncier n°1446/Nga pour des montants respectifs de 4,7 et 3,5 milliards de francs Cfa, soit un total de 8,2 milliards Cfa. Un deal consigné dans un protocole qui prévoit, dès signature, le décaissement de deux milliards de francs Cfa et de quatre traites mensuelles de 500 millions de francs Cfa, payables à partir du 26 juin 2011. Les 3,5 milliards sont destinés à l’érection du futur siège de l’Artp et les 4,7 milliards représentant l’opération de vente d’un terrain à distraire du titre foncier 1146/Nga.
Selon nos interlocuteurs ayant eu accès à l’ordonnance de renvoi, le groupe Amar n’a pas respecté la disposition qui veut que le paiement se fasse au prorata de l’exécution des travaux.
Bien au contraire, l’Artp a non seulement versé directement au vendeur une avance de 2 milliards de francs Cfa, elle a aussi renoncé à la ‘’publicité foncière’’ et ignoré les réserves du notaire sur les risques de l’opération.
Le parquet constate donc que le directeur général d’alors ne s’est pas soucié de l’état d’avancement des travaux, n’a pas mis la pression suffisante sur le groupe pour que le cocontractant livre les immeubles et a développé une posture passive qui renseigne bien sur la complexité de l’affaire.
Conséquence, à la date du 29 mars 2013, alors que l’Artp changeait de tête, aucun immeuble n’était livré, alors que le contrat engageait bien le groupe Amar à livrer dans un délai de 6 mois. Chose qu’avait dénoncé Thierno Alassane Sall dès sa prise de fonction à l’Artp.
Le parquet tape sur Ndongo Diao
Pour toutes ces raisons, le parquet estime que ‘’Monsieur Ndongo Diao doit être tenu responsable’’, malgré d’ailleurs l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge pénal. Et ajoute que les faits incriminés sont constitutifs, en réalité, de l’octroi d’un avantage injustifié à autrui, au préjudice de l’Artp. Toutes choses qui justifient, à ses yeux, que le Chambre de discipline financière de la Cour des comptes se saisisse de l’affaire et juge ce dernier.
Daniel Goumbalo Seck en reçoit aussi pour son grade, sur des marchés conclus courant 2007, dans le cadre de l’accompagnement de l’Artp dans le processus de cession de la 3e licence globale à Expresso. La banque Rothschild est citée dans ces affaires pour un montant de 1,3 milliard de francs Cfa, le cabinet d’avocats Clifford Change pour 437 millions de francs Cfa et le cabinet d’avocats Me François Sarr & associés pour 266 millions de francs Cfa.
Le parquet épingle l’absence de mise en concurrence des candidats choisis et le fait qu’il justifie ses choix par ‘’la confiance accordée au consultant choisi’’. Choses qui ne sont pas prévues par le Code des marchés publics qui prévoit plutôt une présélection des candidats à la suite d’un appel public à manifestation d’intérêt et un choix motivé (qualité technique et financière de la proposition).
Selon nos investigations, l’ombre de Thierno Ousmane Sy, à l’époque conseiller spécial du président de la République en charge des Ntic, est bien présente dans le dossier. On évoque une lettre de ce dernier qui aurait servi de base décisionnelle à Daniel Goumbalo Seck.
Or, relève le parquet, Thierno Ousmane Sy ne saurait se substituer à la direction générale pour prendre des décisions à sa place dans l’accompagnement de la procédure de vente de la troisième licence de téléphonie.
Une affaire à suivre.
Felix Nzalé
(Source : Enquête, 24 octobre 2019)