Fracture numérique : joindre la parole aux actes
vendredi 31 août 2001
Ca y est ! Depuis le 11 août dernier la Caravane du multimédia organisée par Osiris en collaboration avec Worldspace et en partenariat avec un certain nombre de sponsors locaux (La Poste, Sonatel, Sentel, Usaid, etc.) s’est ébranlée à partir de Thiès pour parcourir le Sénégal. L’objectif poursuivi est, rappelons le, de faire découvrir aux ruraux et aux habitants de villes secondaires, un échantillon significatif de ce qu’il est possible de réaliser grâce à une appropriation intelligente de ces technologies dont ils entendent le plus souvent parler quand ils n’en ignorent pas jusqu’à l’existence. Après deux semaines passées à Thiès, où plus de 3000 personnes ont pu voir des démonstrations, s’initier à la navigation sur Internet ou encore recevoir une formation à la création de pages Web, la Caravane s’est arrêtée successivement à Mboro et à Pire. Si à chacune des étapes nous avons pu constater que la mobilisation populaire était au rendez-vous et que les autorités administratives faisaient de leur mieux pour la réussite de l’opération, il est loin d’en être de même de la mobilisation de ceux qui auraient du apporter un appui à cette initiative et qui ne l’ont pas fait ou se sont contentés d’un soutien symbolique. En effet, c’est avec étonnement que nous avons constaté le nombre élevé de sponsors potentiels, entreprises de la nouvelle comme de l’ancienne économie, ambassades, administration, etc. qui se sont d’abord souciés de savoir ce que cette initiative pouvait leur apporter en retour plutôt que de s’interroger sur ce qu’elle pouvait apporter aux populations ciblées. Les uns nous ont demandé comment nous entendions gérer la cohabitation au sein de la même caravane entre des firmes qui ne se parlent pas tandis que d’autres voulaient connaître les raisons qui nous avaient poussé à nous adresser à tel ou tel sponsor. En lançant la Caravane du multimédia, que nous concevons comme une action volontariste destinée à contribuer à la lutte contre la fracture numérique, notre ambition de départ était de repérer les grandes questions sous-jacentes au déploiement et à la réceptivité de des TIC, en particulier dans les environnements sociaux les moins favorisés. Curieusement, avant le démarrage même de la caravane, nous sommes déjà en mesure de tirer certaines leçons qui s’avèreront sans doute essentielles. Premier constat majeur, nombre de secteurs qui donnent habituellement l’impression de se préoccuper des dangers engendrés par la fracture numérique se déconnectent de la question dès qu’un projet concret est soumis à leur attention Second constat, ceux qui tirent les plus gros profits du développement des TIC sont aussi ceux qui traînent le plus les pieds dès qu’il s’agit d’apporter un soutien à une initiative citoyenne et à but non lucratif. On vérifie ainsi que les modalités de la fracture numérique recouvrent parfaitement celles de la fracture sociale qui règne dans l’univers des rapports économiques. En la matière la devise semble être : « c’est aux victimes de payer ». Ainsi, afin réduire leur retard numérique, les pays du Sud doivent accepter de payer au prix fort les équipements et les licences des logiciels qui viennent des pays développés alors qu’ils assistent impuissants aux prélèvements intensifs exercés par les pays du Nord sur les maigres stocks de techniciens qu’ils ont péniblement réussis à former. Dans les pays du Sud pris individuellement le même processus se reproduit, privilégiant les nantis des zones urbaines qui accèdent à l’univers fantastique d’Internet alors que l’immense majorité des habitants des zones rurales et des quartiers défavorisés en est tenue écartée, à moins de consentir des sacrifices financiers sans commune mesure avec les ressources qui leur permettent tout juste de survivre. Bref, pour certains la fracture numérique n’est rien d’autre que la dernière expression à la mode qu’il faut savoir placer au détour d’une conversation, histoire d’avoir l’air branché. Cependant, dès lors qu’il s’agit de passer à l’acte, les réalités du marché reprennent le dessus et la réduction de la fracture numérique n’a d’intérêt que si elle permet d’augmenter les marges bénéficiaires. Les enjeux sociaux d’un tel combat sont tels qu’il est grand temps de dépasser cette vison étroite des choses et de passer du discours aux actes en s’engageant résolument à combattre cette nouvelle forme d’inégalité, faute de quoi demain la révolte des exclus ne sera pas un phénomène virtuel... Puisqu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, nous réitérons donc notre appel à tous ceux qui sont en mesure de soutenir concrètement et conséquemment cette initiative sur laquelle vous pouvez en savoir un peu plus en visitant le site de la caravane à l’adresse http://www.caravane-multimedia.sn.
Amadou Top
Président d’OSIRIS