Forcing pour entrer dans le capital des operateurs de télécoms : L’Etat pourrait perdre 150 milliards au change
samedi 22 octobre 2011
En adoptant jeudi dernier en Conseil des ministres un projet de loi lui permettant de s’emparer de 35 % du capital des sociétés de télécommunications, l’Etat cherche un moyen de pression pour pouvoir négocier en position de force dans l’affaire de la surtaxe qu’il veut, vaille que vaille, faire appliquer sur les appels internationaux entrants.C’est l’une des hypothèses que le secrétaire général de l’amicale de cadres de Sonatel, El Hadji Malick Bâ, voit derrière cette mesure.
Son conflit avec Tigo n’étant pas encore totalement vidé, son bras de fer avec Sonatel se poursuivant, voilà que l’Etat du Sénégal veut prendre une loi pour entrer de force dans le capital des sociétés de télécoms qui opèrent au Sénégal pour accroître les revenus qu’il tire des sociétés de télécommunications considérées comme des vaches à lait. Dans le projet de loi, que le gouvernement a adopté jeudi dernier en Conseil des ministres, l’Etat veut avoir une participation de 35 % minimal incompressible dans le capital de chaque société de télécoms qui a bénéficié d’une concession de télécommunications. Mais, pour le Secrétaire général cadres de Sonatel, El Hadji Malick Bâ, que nous avons joint au téléphone et qui voit trois hypothèses dans cette mesure, l’Etat cherche un moyen de pression pour pouvoir négocier en position de force, en essayant de mettre ses interlocuteurs, notamment Sonatel et France Télécom, en difficultés. Il pense en effet que l’Etat n’a pas l’intention de céder sur la surtaxe. Car, dit-il, ‘il a déjà pris les dispositions pour que le ministère des Finances intègre les revenus de la surtaxe dans les prévisions budgétaires de l’année 2012 comme +Ressources Extraordinaires+’. Ce faisant, poursuit Bâ, il pourra contourner l’obligation d’introduire une loi de finance rectificative à l’Assemblée nationale pour l’utilisation ultérieure des recettes, car cette opération va faire office de loi des finances pour 2012 et lui permettra de pouvoir utiliser les fonds encaissés en les affectant à d’autres fins.
De plus, précise le Secrétaire général de l’Acson, cette démarche ne va pas gêner le ministre des Finances qui, sachant que la Banque mondiale et le Fmi les ont à l’œil, est souvent réticent pour endosser la responsabilité des opérations douteuses de transfert ou de manipulation de fonds publics. ‘Même si le ministre des Finances sait qu’il est strictement suivi par la Banque mondiale et le Fmi via l’Instrument de soutien aux politiques économiques (Ispe), il pourra donner l’impression de respecter l’orthodoxie d’une bonne gestion’, fait remarquer Bâ. Qui estime donc que si l’Etat voulait retirer le décret sur la surtaxe, il ne se serait pas donné autant de peine pour préparer la justification des futures affectations de ces fonds.
Un autre schéma ne sera également pas à exclure, selon lui. Il pense que l’Etat, s’étant rendu compte que ses chances de collecter du ‘cash’ sur le très court terme sont quasi nulles, souhaite abandonner la mesure instituant la surtaxe sur les appels internationaux entrants afin de réorienter ses recherches de revenus vers des sources permanentes. Cette fois-ci encadrées par la loi et respectant les règles d’élaboration du budget national. Dans ces conditions, il est légitime de penser que l’Etat a, soit trouvé d’autres sources qui lui ont procuré suffisamment d’argent lui permettant d’en injecter une partie dans l’acquisition d’autres actions Sonatel, dans le but d’atteindre le seuil des 35 % fixés ou bien il veut négocier le retrait de la surtaxe afin de ne pas sortir de la crise les mains vides.
La troisième hypothèse qui lui paraît très peu probable, voire irréalisable pour appliquer le nouveau projet de loi, consisterait à faire une nationalisation. Mais, là, Bâ n’y croit pas personnellement au vu des difficultés que cela va engendrer.
Seyni Diop
(Source : Wal Fadjri, 22 octobre 2011)
Moubarack Lô, économiste : ‘L’Etat devra sortir 150 milliards pour acheter 8 % des parts de Sonatel’
Cette décision de l’Etat de s’emparer de 35 % du capital des sociétés de télécommunications peut être plus facile à appliquer chez Sonatel que chez les autres opérateurs. En effet, pour l’économiste Moubarack Lô, que nous avons joint hier au téléphone, cette mesure n’est pas impossible. L’Etat, selon lui, peut bien mettre une disposition dans le code des télécommunications pour le faire puisque ces sociétés sont délégataires d’une mission de service public. Pour lui, elle serait plus facile à appliquer avec Sonatel où il détient déjà 27 % des actions. Il suffirait juste à l’Etat, selon l’économiste, d’aller sur le marché de la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm), où l’entreprise est cotée, pour acheter 8 % des parts. Ce qui nécessiterait, selon ses estimations, une enveloppe de 150 milliards de francs Cfa. Pour les autres, il pense que ce sera un peu plus compliqué. ‘Tigo n’a pas beaucoup investi et je ne crois pas qu’il soit censé de mettre beaucoup de milliards pour entrer dans son capital. Pour Expresso également, l’affaire va être compliquée. Car, l’entreprise a beaucoup investi et les négociations risquent d’être difficiles à ce niveau’, soutient l’économiste.
Qui pense néanmoins que l’Etat doit reprendre le monopole des infrastructures de télécommunications. Il dénonce en effet l’absence de vision de l’Etat dans le secteur des télécommunications. ‘L’Etat n’a pas de vue claire sur sa politique de télécommunications. Ce qui se passe, c’est que du jour au lendemain, on prend des idées qu’on veut faire appliquer. Il faut une bonne coordination de toutes ces mesures dans le cadre d’une réflexion stratégique’, pense Lô. Pour qui, une gestion de cette manière dérègle l’environnement des télécoms et fait fuir les potentiels investisseurs étrangers du pays alors que le Sénégal peut bien compter sur ce secteur pour booster sa croissance. ‘La gestion économique d’un pays ne peut pas aller de pair avec des règlements de compte. Elle mérite un détachement et une gestion impersonnelle. La gestion des télécoms ne doit pas être l’apanage de la présidence de la République’, soutient l’économiste.