Flou sur la nationalité du nouveau ministre de la Communication et des TIC : Abou Lô, Allemand ou Sénégalais ?
jeudi 12 avril 2012
Y a-t-il un Allemand dans le gouvernement du Premier ministre, Abdoul Mbaye ? En tout cas, un flou entoure la nationalité de Abou Lô, le tout nouveau ministre de la Communication et des TIC, qui serait exclusivement de nationalité allemande.
C’est encore un poil à gratter sur le dos de « Macky 1 ». Une nouvelle « entorse » à la démarche de rupture promise, qui témoigne de la composition à la va-vite de l’équipe du Premier ministre Abdoul Mbaye. De l’impréparation qui a gouverné la nomination de certains ministres, notamment Abou Lô, le ministre de la Communication et des TIC (Technologies de l’information et de la communication). Le représentant de la Diaspora dans le premier gouvernement de l’après-Wade serait de nationalité… allemande.
Depuis 2009, le nouveau Président Macky Sall, à chacune de ses nombreuses tournées à l’étranger, a toujours promis aux Sénégalais de l’extérieur qu’il les associerait à la gestion des affaires du pays, une fois au pouvoir. Il a annoncé la couleur en nommant un des leurs comme ministre dans son premier gouvernement. Une promesse tenue donc, et qui augure sans doute des lendemains d’espoir pour les cadres sénégalais établis hors des frontières du Sénégal et qui aspirent à rentrer pour servir leur pays. Promesse tenue oui, sauf que, dès sa nomination, le ministre en question, Abou Lô, est au centre d’une polémique dans la Diaspora. Pas pour des affaires de mœurs ou autres antécédents judiciaires, mais pour sa nationalité. Selon nos informations, le tout nouveau ministre de la Communication et des TIC disposerait d’un passeport allemand. Alors, problème : en accédant à la nationalité allemande, il n’est plus de facto un citoyen sénégalais. Parce que la législation de l’Allemagne ne permet pas la double nationalité pour les ressortissants de certains pays comme le Sénégal. Le ressortissant sénégalais qui aspire à la nationalité allemande doit, au préalable, renoncer à sa nationalité sénégalaise. Faute de quoi les autorités allemandes ne lui accordent pas la nationalité.
Selon des sources diplomatiques, ils sont nombreux les expatriés sénégalais établis en Allemagne à avoir renoncé à la citoyenneté sénégalaise pour embrasser celle de leur pays d’accueil. Et l’actuel ministre de la Communication figurerait bel et bien dans cette catégorie. Arrivé à Berlin à la fin des années 1980 pour poursuivre ses études en mathématiques, Abou Lô se serait résolu à épouser une Allemande pour pouvoir rester travailler dans ce pays. Dans ce pays où acquérir une carte de séjour n’est pas une sinécure, le mariage est le truchement, l’une des voies les plus faciles pour y vivre et travailler en parfaite légalité. Abou Lô, originaire du village de Sinthiou Garba (Fouta), en fait-il partie ? Au sein de la colonie sénégalaise en Allemagne, beaucoup ne doutent pas de la nationalité allemande du ministre. Certains sont formels, comme ce Sénégalais qui y a vécu pendant dix bonnes années.
A l’ambassade du Sénégal à Berlin, la question semble peu convenue, elle suscite même des réponses on ne peut plus floues. Après avoir dans un premier temps soutenu qu’il n’était « pas sûr » de la citoyenneté allemande du ministre, un agent consulaire à Berlin, Souleymane Sonko, en l’occurrence, (voir interview ci-contre, Ndlr ) a expliqué qu’on peut « être ministre dans un pays (…) sans avoir la nationalité de ce pays (…), en ayant juste le passeport diplomatique ». L’agent soutiendra même qu’il a vérifié sur la liste des Sénégalais naturalisés, mais le nom de Monsieur Lô n’y figure pas. Ce qui constitue un flou autour du passeport de Abou Lô, d’autant plus que le successeur de Moustapha Guirassy est un cadre bien intégré en Allemagne où il excelle dans le secteur des Assurances depuis des années.
Alors, quel est le vrai statut d’Abou Lô en Allemagne ? Un Sénégalais établi en Allemagne depuis plusieurs décennies et qui est très influent dans le monde associatif, donne sa langue au chat. Mais, souligne-t-il, sur la base de son vécu : « Beaucoup de Sénégalais qui vivent en Allemagne n’ont pas la nationalité sénégalaise, parce que tout simplement ils ont renoncé à celle-ci pour devenir Allemand. Moi-même, j’ai été confronté à ce dilemme à la fin de mes études, mais j’ai refusé de troquer ma nationalité sénégalaise contre celle allemande. »
Toujours est-il que, selon nos sources, le coordonateur de l’Apr en Allemagne, si toutefois il était « Allemand », ne risquerait pas grand-chose côté sénégalais. En d’autres termes, cela ne peut être un motif de limogeage du gouvernement, à moins que le président de la République et son Premier ministre (s’ils n’étaient pas au courant) ne s’accommodent pas d’un ministre « étranger ». C’est plutôt du côté allemand que le « représentant » de la Diaspora dans le gouvernement d’Abdoul Mbaye aurait du souci à se faire, avec le risque extrême de se voir destituer de sa nationalité allemande. Car dans plusieurs pays européens, hormis la France, il est établi que la trahison, la résidence permanente à l’étranger et le fait de servir comme fonctionnaire dans un autre pays, font partie des motifs les plus avancés pour retirer sa nationalité à un étranger. En Allemagne, selon des statistiques établies en 2010 et publiées par Rfi, pas moins de 50 000 nouveaux Allemands ont vu leur nationalité retirée pour avoir enfreint la règle de double nationalité.
Thierno Diallo
(Source : L’Observateur, 12 avril 2012)
Abou Lo, Ministre de la communication et des TIC : « J’attends la passation de service pour répondre de manière très claire »
Contacté par téléphone lundi alors qu’il était en voiture dans la circulation dakaroise, Abou Lô n’a pas voulu s’épancher sur le sujet : « Je préfère attendre la passation de service avec mon prédécesseur, faire l’état des lieux, avant de répondre de manière très claire et sans ambages à des questions personnelles et autres questions liées à ma fonction, explique le seul ministre du gouvernement qui vient directement de la Diaspora. J’aurai l’occasion de parler de ça, mais présentement, je ne réponds à aucune question. J’ai fait une interview (dans L’Observateur, Ndlr) mais c’était juste pour me faire connaître. »
Souleymane Sonko, Agent au service des Affaires consulaires à l’ambassade du Sénégal à Berlin : « Je ne suis pas sûr que Abdou Lô a la nationalité allemande »
Au-delà du cas du ministre de la Communication, Abdou Lô, le phénomène de renonciation à la nationalité sénégalaise inquiète beaucoup l’ambassade du Sénégal en Allemagne. Dans cet entretien, Souleymane Sonko, agent au service des Affaires consulaires à l’ambassade du Sénégal à Berlin, tire la sonnette d’alarme et appelle les autorités à sévir.
Pouvez-vous nous parlez de la situation des compatriotes sénégalais ayant pris la nationalité allemande ?
Il faut préciser d’abord que l’Allemagne n’autorise pas la double nationalité en dehors de quelques pays européens. Et cela pose un énorme problème chez les ressortissants sénégalais qui veulent acquérir la nationalité allemande, parce qu’ils sont obligés de renoncer à la nationalité sénégalaise. En ma qualité de chargé des Affaires consulaires, je reçois en moyenne dix demandes de renonciation à la nationalité sénégalaise par mois. C’est pour vous dire le nombre de citoyens que le Sénégal perd dans cette histoire. J’en appelle donc aux autorités pour qu’elles prennent des mesures par rapport à ça, parce que la situation est très alarmante.
Quelle est la procédure à suivre pour renoncer à sa nationalité sénégalaise ?
Dans le dossier de demande de la nationalité allemande, figure notamment un document justifiant que vous avez renoncé à votre nationalité d’origine. Les Sénégalais résidant en Allemagne doivent envoyer à l’ambassade du Sénégal les originaux de tous leurs documents d’identité. Ensuite, nous transmettons les dossiers au ministère de la Justice, au Sénégal. Le décret de renonciation est signé par le président de la République, et contresigné par le Premier ministre. Après, on nous l’envoie à l’ambassade, puis le document est remis à l’intéressé, qui le joindra ainsi à son dossier qu’il doit remettre aux autorités allemandes.
Combien de temps la procédure de renonciation peut-elle prendre au Sénégal ?
Parfois, les autorités sénégalaises ne répondent même pas. Ce qui rend la situation très compliquée pour l’intéressé, parce que les Allemands ne traitent pas son dossier tant qu’ils n’ont pas le décret. Et du coup, il y a des compatriotes qui sont là, sans nationalité : ils ne sont ni Sénégalais, parce qu’ils ont rendu les originaux de toutes leurs pièces d’identité sénégalaise, ni Allemands, parce qu’ils ne peuvent pas avoir la nationalité sans le décret. Pour le délai de traitement au niveau du Sénégal, c’est en général six mois. Mais malheureusement, ce délai n’est pas souvent respecté.
Vous appelez les autorités sénégalaises à prendre des mesures concernant ces Sénégalais. Pouvez-vous être plus précis ?
Le Sénégal doit prendre des mesures très strictes, en s’inspirant par exemple des pays comme le Maroc. Dans la loi marocaine, on naît Marocain et on meurt Marocain ; on ne peut donc pas renoncer à sa nationalité. Par contre, les Marocains peuvent prendre d’autres nationalités s’ils le veulent, en plus de celle de leur pays. Avant, les Allemands remettaient directement le passeport allemand aux demandeurs, en retirant celui de leur pays d’origine. Mais ils se sont rendu compte que cette procédure n’était pas efficace. Maintenant, ils exigent au préalable le décret qui justifie que vous avez renoncé à votre nationalité d’origine. Et cela porte préjudice au Sénégal, qui perd beaucoup d’intellectuels parce que, malheureusement, ce ne sont pas que les « Modou-Modou » qui en sont demandeurs. En effet, comme il n’est pas facile d’avoir la carte de séjour, les Sénégalais optent du coup pour la nationalité allemande qui est plus facile à obtenir. Mais ils tombent dans un piège, parce qu’ils perdent leur nationalité sénégalaise.
Justement, avez-vous l’idée du nombre de cadres sénégalais ayant renoncé à leur nationalité d’origine ?
Il y en a plein. A l’ambassade, on reçoit une centaine de demandes de renonciation dans l’année, toutes catégories d’intellectuels et de « Modou- Modou » confondues. Voilà pourquoi je suggère aux autorités de prendre des mesures.
Que se passe-t-il si des Sénégalais, ayant renoncé à leur nationalité, sont appelés à exercer une fonction ministérielle au Sénégal ou dans d’autres secteurs de la fonction publique ?
Il y a effectivement un problème. Si c’est un Sénégalais qui n’a pas d’ambition pour être dirigeant un jour au Sénégal, là on peut dire que ce n’est pas grave. Par contre, si c’est quelqu’un qui aspire à être ministre ou président de la République, cela pose problème, parce qu’il faut être Sénégalais et même exclusivement Sénégalais pour ce qui concerne le Président. Il peut donc y avoir un conflit juridique, parce que les Allemands peuvent dire que c’est notre citoyen. En effet, il suffit juste que vous adoptiez la nationalité allemande pour être fiché. Mais il faut dire aussi qu’il y a des citoyens ordinaires qui ont la nationalité allemande, en ayant un autre passeport sénégalais en cachette. S’ils sont en Allemagne ils sont des Allemands, et s’ils sont au Sénégal, ils sont Sénégalais, parce qu’ils montrent leur passeport sénégalais. Mais quand il s’agit de cadres aspirant à de hautes fonctions au Sénégal, ils seront pénalisés.
Que risque le nouveau ministre de la Communication, Abou Lô, qui serait de nationalité allemande ?
Je ne suis pas sûr qu’il a la nationalité allemande. Je le connais, et je sais qu’il a fait ses études à Berlin. Mais je ne sais pas s’il a la nationalité allemande ou pas. Et si c’est le cas, je ne sais pas quelles en seront les conséquences. Tout ce que je puis vous dire, si tel était le cas, c’est que ça risque d’être difficile. Mais en même temps, selon les pays, on peut être aussi ministre dans un pays ou représenter un pays en ayant juste le passeport diplomatique de ce pays et donc sans en avoir la nationalité. C’est le cas notamment des consuls honoraires qui sont Allemands et qui représentent le Sénégal dans des consulats honoraires en Allemagne. Ils ont le passeport diplomatique sénégalais, mais ils ne sont pas Sénégalais. Et pour les fonctions de ministre, je pense que c’est aussi possible. Mais pour le cas d’Abou Lô, je ne suis pas informé. Et je n’ai pas non plus vu son nom sur la liste des Sénégalais naturalisés Allemands. Mais comme dans chaque loi il y a des exceptions, il est possible pour un Sénégalais d’acquérir la nationalité allemande, sans pour autant perdre celle sénégalaise. Mais c’est un long processus. Par exemple, si vous parvenez à prouver que vous avez des biens à hériter de vos parents au Sénégal, c’est possible qu’on vous donne la nationalité allemande sans vous imposer la renonciation. Mais ça reste des cas très rares, et ça peut prendre deux à trois ans de procédure. Ce qui fait que les Sénégalais sont peu enclins à passer par cette voie.
Thierno Diallo
(Source : L’Observateur, 12 avril 2012)