Les fintechs tirent leur succès des contraintes locales et de l’essor du téléphone portable, mais le chemin est encore long pour parvenir à un véritable écosystème inclusif.
Le téléphone portable a changé la donne. Plus de 80 % des Africains en possèdent un. Et, grâce aux technologies numériques, le téléphone est devenu un porte-monnaie électronique. Aujourd’hui, la moitié des comptes de mobile money enregistrés dans le monde appartiennent à des Africains, soit 338 millions de comptes, selon le GSMA. Le M-Pesa, développé par l’opérateur de télécoms Safaricom dès 2007, qui a permis aux Kényans d’utiliser leur téléphone mobile pour transférer de l’argent, est devenu un cas d’école.
Les services financiers proposés sur mobile se sont étoffés. Le règlement des factures, des frais de scolarité, puis l’accès au crédit et l’épargne sont désormais proposés. Tous les opérateurs de télécoms s’y sont mis. Les banques ont sauté dans le train et les start-up fleurissent, près de 300 sur le continent. Ces dernières ont réussi à multiplier par quatre leurs levées de fonds entre 2015 et 2017, détaille Landry Djimpe, associé chez Innogence Consulting intervenant lors de la conférence « Quel avenir pour la fintech en Afrique ? », organisée le 21 juin par Inspir’Talks, au Medef.
L’inclusion financière
Pour expliquer cette effervescence autour de la fintech en Afrique, Valérie-Noëlle Kodjo Diop, responsable innovation Afrique à la Société générale, rappelle : « Il ne faut pas oublier une donnée du marché africain : 80 % des populations sont mal ou pas du tout bancarisées. » « En Afrique, les fintech se sont développées principalement du fait que le taux de bancarisation est extrêmement faible alors que le mobile est utilisé par tout le monde. Si l’inclusion financière s’était faite normalement, à travers les banques et les établissements financiers, ces solutions n’auraient pas vu le jour », commente Omar Cissé, PDG d’Intouch, une plateforme d’intégration des différents moyens de paiement. Or « la nécessité d’une inclusion financière est primordiale pour le développement africain », renchérit Valérie-Noëlle Kodjo Diop.
Grâce aux fintech, le mobile est devenu un formidable vecteur d’inclusion financière et sociale. Même sans infrastructures bancaires, au fin fond des campagnes, avec un téléphone mobile, il est possible de recevoir de l’argent, d’en verser, d’accéder à des services conçus pour répondre à des besoins spécifiques et dans tous les domaines, agriculture, santé, éducation...
« Les personnes le plus à même de comprendre les problématiques de ces populations non explorées par les banques traditionnelles sont justement ces jeunes pousses [start-up], de jeunes Africains et Africaines, qui développent leur expertise au service de ces populations », ajoute Valérie-Noëlle Kodjo Diop.
Omar Cissé raconte comment, avec sa plateforme Intouch, il a pu aller vers des gens qui faisaient des kilomètres pour recevoir ou déposer de l’argent. Aujourd’hui, ces kilomètres épargnés, c’est du temps de gagné, de la fatigue en moins, et un temps qui peut être consacré à des tâches productives. « Lorsque toutes les personnes non bancarisées seront reliées financièrement au reste du monde, l’impact sur l’économie mondiale sera énorme », s’enthousiasme Catherine Wines, cofondatrice de la société de transfert d’argent WorldRemit.
Accès au crédit
Autour du portefeuille mobile, les services se diversifient. Les solutions de crédit, inaccessibles jusqu’à peu pour la grande majorité des Africains, rencontrent un certain succès surtout en Afrique de l’Est. « Dans les années 1990, le micro-crédit a été popularisé par la Grameen Bank et son fondateur Muhammad Yunus. « Cependant, la portée de ces initiatives restait très locale alors que celle du portefeuille numérique et de ses services est aujourd’hui de loin supérieure », commente Landry Djimpe.
Par exemple, les clients d’EcoCash au Zimbabwe, de M-Shwari au Kenya et du portefeuille digital de MTN au Ghana peuvent demander de petits prêts personnels sur la base de leur historique de crédits personnels. « Au Kenya, les commerçants qui utilisent le service M-Pesa de Safaricom pour accepter des paiements peuvent demander un prêt aux petites entreprises allant jusqu’à 5 millions de shillings kényans (environ 53 000 dollars) par le biais d’un service appelé Kopo Kopo Kopo Grow. Plutôt que de déposer une garantie et de convenir d’un délai de remboursement fixe, le commerçant peut choisir quel pourcentage de ses ventes quotidiennes il souhaite allouer au remboursement », explique Catherine Wines.
L’autonomisation des femmes
Les femmes ont aussi bénéficié de ces nouvelles technologies. Elles reçoivent de l’argent directement sur leur téléphone mobile. « Une de nos clientes, Linda, vit au Royaume-Uni avec ses parents et son jeune frère, tandis que sa jeune sœur Jackie vit à Nairobi avec deux jeunes enfants. Jackie va à l’université, ce qu’elle ne pourrait pas faire sans le soutien de sa sœur au Royaume-Uni qui envoie de l’argent via WorldRemit, cet argent allant directement sur le compte M-Pesa de Jackie. Pour une jeune mère très occupée, le fait de recevoir immédiatement des sommes d’argent pour couvrir ses dépenses est plus que pratique : c’est une véritable évolution », se réjouit Catherine Wines.
Secteur informel
Ces technologies digitales donnent aussi une visibilité et font sortir de l’informel des pans entiers de la population africaine, absente des statistiques officielles. Près de la moitié des transferts d’argent via mobile émanerait du secteur informel. « Les outils qui se développent vont avoir un impact sur la structuration des économies, et permettre un meilleur contrôle de l’État et de l’économie globalement, commente Omar Cissé. Toutes les personnes qui travaillent dans l’informel utilisent ces nouvelles technologies au quotidien et, forcément, cela aura un impact important sur ce secteur informel. »
Selon le MIT (Massachusetts Institute of Technology), l’accès à l’argent mobile au Kenya a permis à 2 % de la population de sortir de la pauvreté et a encouragé la création d’entreprises individuelles, en particulier chez les femmes. Catherine Wines raconte ainsi l’histoire d’Alex et Neville qui ont pu créer une entreprise agricole au Kenya employant près de 50 personnes grâce aux transferts d’argent mobiles envoyés par leur mère travaillant au Royaume-Uni.
Sylvie Rantrua
(Source : Le Point Afrique, 4 juillet 2018)