Fibre optique au Sénégal : Encore Orange dans l’illégalité, l’ARTP « ferme les yeux »
mercredi 11 novembre 2020
Dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie de déploiement de la fibre optique au Sénégal, Orange a ciblé les immeubles en copropriété bâtis localisés dans les zones jugées rentables des grandes villes. Orange a, ainsi, déployé la fibre dans plusieurs copropriétés pour disposer d’un avantage concurrentiel sur les autres opérateurs ce qui lui permettrait de pouvoir bloquer la concurrence et ainsi maintenir son monopole sur le réseau filaire.
A l’issue du fibrage d’immeubles par Orange, un copropriétaire après avoir constaté et fait constater, a interpellé l’opérateur sur le fondement légal des travaux de raccordement effectués dans son immeuble sans avoir obtenu préalablement l’autorisation des copropriétaires.
En réponse, Orange affirme que certaines personnes vivant dans l’immeuble en question lui ont donné l’autorisation du raccordement, sans fournir les preuves de cette affirmation encore moins la qualité de copropriétaires des personnes dont l’opérateur fait allusion.
Malgré les mises en demeure servies à Orange par voie d’huissier, l’opérateur n’a pas produit un seul document qui atteste d’une autorisation préalable des copropriétaires sur les travaux qu’il a effectué dans les parties communes de l’immeuble.
Cette incapacité d’Orange à prouver ses allégations n’est pas surprenante. En réalité, Orange a voulu profiter de l’inorganisation qui règne dans les copropriétés au Sénégal pour s’y introduire frauduleusement.
En effet, rares sont les copropriétés qui disposent d’un règlement de copropriété, d’un syndicat des copropriétaires, encore moins d’un syndic. Ces copropriétés semblent ainsi être des zones de non droits.
Aussi, Orange a voulu exploiter abusivement à son avantage les possibilités offertes par cet état de fait pour poser des actes qui violent la loi.
Il est à noter que l’article 1er de la Loi N°88-04 du 16 Juin 1988 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au Sénégal n’exige nullement la constitution d’un syndic. Autrement dit, dans le cadre de l’administration de la copropriété, la désignation d’un syndic n’est pas obligatoire.
L’article 17 de la Loi 2018-28 portant code des communications électroniques dispose « Les opérateurs ont le droit de réaliser les travaux nécessaires à l’exploitation et à l’extension de leurs réseaux. Ils sont tenus de respecter l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, notamment en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement, et à l’occasion de la réalisation d’installations, d’équipements ou d’ouvrages particuliers. »
Cette disposition est complétée par l’article 164 de la loi précitée sur l’obligation d’Orange d’avoir une autorisation des copropriétaires « Les servitudes sur les propriétés privées sont instituées en vue de permettre l’installation et l’exploitation des équipements des réseaux. La mise en œuvre des servitudes est subordonnée à une autorisation délivrée au nom de l’Etat par le Maire, après que les propriétaires ou, en cas de copropriété, le syndicat représenté par le syndic, ont été informés des motifs qui justifient l’institution de la servitude et le choix de son emplacement, et mis à même, dans un délai qui ne peut pas être inférieur à trois (3) mois, de présenter leurs observations sur le projet. Les travaux ne peuvent commencer avant l’expiration de ce délai »
Il ressort de ce qui précède que l’opérateur Orange a commis une faute en ne respectant pas les articles 161 et 164 du code précité mais aussi les articles 7.3 et 17 de son cahier des charges.
« La faute est un manquement à une obligation pré existante de quelque nature qu’elle soit », article 119 du Code des Obligations Civiles et Commerciales.
Ainsi donc, pour ses intérêts économiques et financiers Orange n’a hésité d’aller casser les murs et le sol de propriétés immobilières privées en violation flagrante de la loi sous le regard de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP).
Par une réclamation, l’ARTP fut saisie en Novembre 2019 en vertu de l’article 216 de la Loi 2018-28 portant code des communications électroniques, des actes posés par Orange. A ce jour, un (1) an après la saisine de l’autorité, aucune décision.
Ainsi, l’autorité de régulation (ARTP), comme à l’accoutumée, laisse les utilisateurs sans aucun repère, dans une réelle incertitude, en ne respectant pas les dispositions de l’article 217 du code des communications électroniques.
Comme quoi, dans ce pays Orange peut continuer à violer la loi, à bafouer les droits les plus élémentaires des citoyens, son impunité lui est garanti par l’ARTP qui a toujours fermée les yeux sur les agissements de cet opérateur hors la loi.
L’ARTP semble, ainsi, garder le cap sur sa dynamique de préservation des intérêts de l’opérateur Orange au détriment d’un écosystème numérique de développement. Aussi, ce n’est pas de sitôt, que guidés par un cadre réglementaire de déploiement de la fibre optique élaboré par ce régulateur, que des propriétaires ou des copropriétaires pourront exiger la signature d’un accord type de convention avec un opérateur pour fibrer un immeuble.
Les travaux de raccordement à la fibre optique effectués par Orange dans des immeubles en copropriété, sans l’assentiment préalable des copropriétaires, sont constitutifs d’un grave manquement qualifiable de faute lourde. Aussi, cette violation inacceptable d’Orange de la loi ne saurait rester sans réaction. En conséquence, l’opérateur Orange a été assigné au tribunal depuis le 02 Mars 2020.
ASUTIC lance un appel à tous les copropriétaires dont les immeubles ont été fibrés sans leur autorisation à se constituer pour une action judiciaire d’envergure contre l’opérateur Orange.
A cet effet, ASUTIC rappelle au gouvernement du Sénégal, l’urgence d’un projet de loi renforçant la protection des utilisateurs avec des dispositions sur la « class action » ou actions collectives afin qu’ils puissent se défendre efficacement.
Evoqué depuis des années mais sans cesse repoussé, certainement à cause de l’hostilité des entreprises qui craignent une multiplication des procédures à leur encontre par des consommateurs s’estimant lésés, le Sénégal ne dispose toujours pas d’un code de la consommation, 60 ans après l’indépendance.
Quant au Code des communications électroniques voté en décembre 2018, il n’a aucune disposition qui renforce la protection des utilisateurs malgré les propositions d’ASUTIC d’inclure des articles dans ce sens lors de l’élaboration de cette loi.
Les utilisateurs des TIC sont, ainsi, très mal protégés face aux opérateurs et fournisseurs de services d’où l’urgente nécessité de l’élaboration et du vote d’un code de la consommation, si tant est que ce gouvernement est au service des consommateurs sénégalais.
Ndiaga Guèye
(Source : ASUTIC, 11 novembre 2020)