Faut il une licence d’opérer en Afrique pour les plateformes mondiales Twitter, Google, Facebook, Whatsapp et consorts ?
vendredi 11 juin 2021
Twitter, le réseau social a été suspendu au Nigéria á la suite de la décision de ce réseau social de censurer une déclaration du président nigerian, Muhamed Buhari, que le clan Zuckerberg a jugé contraire á ses orientations éditoriales. La déclaration du president Buhari était une menace exprimée a l’endroit de nigérians du nord qui créairaient des troubles.
En se donnant le pouvoir de censurer le président d’une nation comme le nigeria, sans même faire l’effort de s’approcher des services gouvernementaux pour discuter de la meilleure manière de gérer les déclarations du président Buhari sur sa plateforme, déclarations faites en sa capacité de chef d’Etat, responsable de la sécurite nationale du pays, Twitter a outrepassé et surestimé son pouvoir.
Cette censure scandaleuse du président Buhari vient encore mettre en exergue la réalité d’une volonté de puissance demesurée que les plateformes numériques mondiales croient avoir atteinte et entendent exercer en fonction de leur position idéologique et valeurs éthiques sur la portée des déclarations que des utilisateurs du réseau pourraient faire. Mais en suspendant twitter sur son territoire, le gouvernement nigérian vient rappeler que leur puissance n’est pas hors de portée des espaces de souverainete.
Cette suspension démontre la capacité des pays africains á discipliner les plateformes mondiales qui se donnent de plus en plus le pouvoir de réguler la liberté d’expression au niveau mondial, sans même prendre les moyens de définir avec les groupes d’utilisateurs et états concernés les modalites de régulation de manière consensuelle. Elles ne font aucun effort pour les consulter ou les associer á la mise en place de possibles mécanismes de collaboration et de coordination sur ces aspects fondamentaux que constituent la liberté d’opinion et l’exercice souverain du pouvoir qui passe aussi par des déclarations comme celle du président Buhari.
Ce n’est certes pas la premiere fois que les reseaux sociaux entrent dans de telles disputes.
Mais cet épisode qui semble anodin, devrait encore faire réflechir nos états africains et les pousser á définir un cadre spécifique d’opération des plateformes mondiales comme facebook, twitter whatsapp, google et consorts dans nos pays. Progressivement, elles sont devenues les plateformes de consolidation des données personnelles de la plupart des africains connectés á Internet. Or, aucune legislation n’est de mise pour les obliger á localiser ces données sur des plateformes installées sur le continent, ni déterminer les conditions de stockage, d’utilisation et de commercialisation de ces données pour proteger ces africains d’une utilisation indue. Que ces utilisateurs africains en aient besoin ne doit pas les rendre vulnérables.
L’Amerique et l’Europe ont commencé depuis longtemps a se donner les moyens de reguler et sévir contre ces plateformes. En Afrique, rien n’est fait.
Aussi, ces plateformes, malgré qu’elles fassent des bénéfices qui dépassent les budgets de pays africains, ne paient ni taxes, ni impôt et n’apportent aucun investissement significatif aux pays africains. Or, 54 pays qui representent 1,4 milliards de personnes constituent une capacité suffisante pour les obliger á adopter une autre posture avec les pays africains, peu importe le pouvoir d’achat de ces derniers.
Pour y arriver, les pays africains devraient les soumettre a un régime juridique de licence qui definit leurs obligations comme opérateur majeur de plateformes sociales, avec des obligations fiscales, financieres, techniques et opérationnelles qui les encadreront. Le gouvernement nigerian entend obliger twitter a se soumettre a un tel regime de licence. Les autres pays africains ont intérét a suivre et soutenir une telle démarche qui leur permettra de disposer des moyens juridiques de soumettre les plateformes mondiales a leur propre régulation nationale. Cela est de loin plus important sur le plan économique et pour la sécurite nationale que de poursuivre une politique de censure des citoyens qui insultent sur internet. Ce qui semble etre la seule priorité de nos gouvernants et pourrait pousser bien des africains á préférer la censure des plateformes que celle de leurs gouvernants.
La compromission des données personnelles de centaines de millions de citoyens et leur exploitation par des services étrangers et l’utilisation de contenus sensibles produits par les agents publics de l’etat sont des armes potentielles qui pourraient etre utilisées contre nos états.
S’y ajoutent les influences idéologiques clairement affichées par ces plateformes qui sont aussi porteuses d’agendas culturels contraires a nos valeurs. Un groupe facebook senegalais, Galsen, qui compte des dizaines de milliers de membres, vient d’être désactivé par facebook pour de telles considerations.
Le conflit israelo palestinien a vu aussi une censure des voix palestinniennes, au point que des employés de facebook, appartenant aussi a zuckerberg, tout comme whatsapp, ont dénoncé et transmis a la direction du réseau social leur mécontentement de ce traitement injuste.
Toutes ces escarmouches ont de quoi pousser les africains á construire, développer et utiliser leurs propres plateformes. C’est lá en dernier lieu peut être le véritable moyen de maintenir sa liberté d’expression et ses valeurs en toute souveraineté. La chine a bien son propre réseau social. Ce n’est pas pour rien. La souveraineté numérique doit prendre une nouvelle impulsion dans nos états. On ne peut voyager comme clandestin sur le vaisseau digital des autres, sans en payer le prix.
Cette dynamique d’affranchissement favorisera aussi le développement du secteur numérique en Afrique. L’Afrique a donc tout á gagner dans cette dynamique de rénégociation de ses relations avec les plateformes digitales mondiales. Mais comme toujours, il faut beaucoup de courage et un peu de vision.
Amadou Guèye
(Source : Pressafrik, 11 juin 2021)