A l’orée de toute réforme politique s’impose la nécessité d’expliquer au public l’objet de la réforme et les conséquences sous-jacentes. Le sujet dont il est question est une problématique mondiale qui met en confrontation le droit et la technologie. Les réseaux sociaux sont les enfants naturels du progrès technologique dont la vie et le mode de fonctionnement doivent être régis par le droit. Il s’agit de réseaux virtuels dans lesquels la société humaine projette une dimension essentielle des informations de la vie réelle.
A l’aube de la civilisation jusqu’à l’émergence de nos sociétés dites modernes, la maitrise de l’information a toujours occupé l’épicentre des préoccupations des dirigeants du monde. Dans l’antiquité, le cryptage de Jules César permettait de coder les messages transportés par les soldats en vue de pallier l’espionnage des armées ennemies. Par la magie du verbe le griot africain faisait construire ou déconstruire l’image des rois à travers le chant et la poésie repris par le peuple. De nos jours, les médias sont la principale source d’information susceptible de convaincre les masses populaires.
Dans les régimes totalitaires les médias constituent le pied de stèle de la politique de propagande du régime et le contrepied des voix discordantes de l’opposition. D’un point de vue stratégique, le contrôle des médias confère du pouvoir sur le peuple car la manipulation de l’information engendre la manipulation de l’opinion qui en résulte. Car notre perception des choses est la conséquence directe de la manière dont les choses nous sont présentées. En d’autres termes, la masse perçoit le monde tel que les médias l’ont présenté. Toutefois, notre époque est le théâtre d’un grand bouleversement civilisationnel dont les conséquences ont une dimension mondiale. L’avènement des réseaux sociaux vient percuter l’ordre préétabli par les médias traditionnels.
A la différence des médias traditionnels, les réseaux sociaux constituent un espace gratuit de liberté d’expression à l’échelle mondiale. Par une simple connexion internet, nous pouvons émettre et recevoir des informations du monde entier. Les manifestations, le commerce, la politique, la culture, le sport, l’éducation, l’art et tant d’autres activités essentielles à notre civilisation moderne passent par les réseaux sociaux. Selon l’observatoire des usages d’internet, « Le développement du web 2.0 et des réseaux sociaux contribue largement à favoriser la mobilisation et l’engagement des publics. » Le printemps arabe, les évènements de mars 2021 au Sénégal, l’élection de Donald TRUMP constituent une illustration parfaite de cette étude.
A en croire Victor Hugo, « Quand le peuple sera intelligent, alors là seulement le peuple sera souverain ». Les réseaux sociaux viennent confirmer cette perception, rendant la foule intelligente. Grace aux moyens de communication offerts par les réseaux sociaux, l’information centralisée est accessible en temps réel et en toute conformité avec la réalité. Ce qui permet à la masse de fonder son jugement sur des faits concrets et d’agir en synergie parfaite. Les manifestations de mars 2021 ont démontrés que les foules interconnectées peuvent organiser une véritable guérilla urbaine susceptible de tenir en échec les répressions policières.
Il est plausible de mentionner que le contenu des réseaux sociaux est la projection virtuelle de notre monde réel. En d’autres termes, le contenu des réseaux sociaux n’est que l’expression des malaises profonds qui secouent la société sénégalaise. Au Sénégal, la société réelle voit émerger une nouvelle classe politique dont les ambitions et la vision jurent en tout avec la vieille classe. Ces deux entités politiques viscéralement antagoniques s’affrontent sur tous les terrains médiatiques. Les réseaux sociaux constituent le principal théâtre d’affrontement entre partisans où l’information et les désinformations n’ont guère de ligne de démarcation. Avec 3,9 millions de sénégalais actifs, cet espace numérique est devenu un enjeu politique qu’il convient de maitriser en vue de manipuler l’opinion publique. A la lumière de la situation actuelle, il serait légitime de s’interroger sur la nécessité ou non de réguler des réseaux sociaux ?
La politique de régulation des réseaux sociaux cache-t-elle des ambitions inavouées ?
Le discours du président SALL à l’occasion de la fête du Travail en mai 2022 exprime un sentiment profond de détestation des réseaux sociaux. D’un ton calomnieux, il décrit les réseaux sociaux comme étant « le cancer des sociétés modernes et la peste du monde ». Poursuivant son allocution avec un ton particulièrement menaçant, il rajouta « Nous ne pouvons pas laisser des gens sous l’anonymat des claviers insulter d’honnêtes citoyens. On va y mettre un terme ! Très clairement » Au regard de ces propos, le logiciel de notre cher président doit être mis à jour. Il faudrait rappeler au président qu’il existe déjà des lois sanctionnant tous propos ou comportements haineux et/ou insultant. L’activiste Assane Diouf avait été arrêté pour avoir insulté le président sur internet. Tandis qu’Aliou Dembourou Sow député de l’APR incitait sa communauté ethnique à « mâchetter » l’opposition sans être inquiété par la justice.
Tout esprit avisé serait à même de comprendre que l’objectif du régime actuel est de museler les partis d’opposition par la censure et la privation d’accès aux réseaux sociaux. Par cette démarche l’état prétend réguler les réseaux sociaux, en réalité il cherche plutôt à faire taire les voix discordantes de l’opposition sur les réseaux sociaux. Et parallèlement occulter son incapacité à trouver des solutions aux aspirations du peuple en matière d’emploi, de sécurité, de justice et d’équité. D’un point de vue sociologique, la censure risque d’engendrer un sentiment de frustration profonde dont résultera une atmosphère de violence sociale généralisée. La souffrance du peuple est une mer qui se déchaine Nul ne peut l’empêcher de s’exprimer.
A en croire les propos du président, il appartient au ministère de l’économie numérique de prendre en charge cette mission. L’autorité de régulation étant sous tutelle exclusive de l’appareil d’Etat, cette dernière ne saurait être impartiale et objective dans son rôle de régulateur qui se résumera à des censures arbitraires. Et cela induira fatalement le musèlement de l’opposition tant martyrisée par les violences policières et les arrestations arbitraires. Les manifestations ou les discours contraire à la volonté du régime pourraient être supprimées des réseaux sociaux sous prétexte qu’ils sont contraires au droit sénégalais. Concrètement, les évènements de Mars seraient assimilés à des actes terroristes et prohibés sur internet.
Pour ainsi dire, notre pays vient d’enjamber un pas de plus dans sa contre marche-démocratique dont l’issue est terriblement incertaine. Le 21 juin 2021, la révision du code pénal définissait le terrorisme, selon ces termes « Les lois définissent les « actes terroristes » comme incluant, entre autres, des actes susceptibles de « troubler gravement l’ordre public », « l’association de malfaiteurs » et « les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication »..
Selon Human Right Watch « Cette définition vague pourrait être utilisée pour criminaliser les activités politiques pacifiques et porter atteinte à la liberté d’association et de réunion ». Cette loi est un couteau aiguisé apposé au cou de l’opposition et des activistes du forum civil dans le but de réduire leur champ d’action et justifier la répression sous prétexte de combattre le terrorisme.
Sénégal rejette la déclaration de l’avenir de l’internet ?
Le 28 avril 2022 la déclaration de l’avenir de l’internet a été signé par 60 pays parmi les quel le Niger, le Kenya et le Cap vert. Cette déclaration stipule : « Nous sommes unis par la conviction que les technologies numériques ont le potentiel de promouvoir la connectivité, la démocratie, la paix, l’état de droit, le développement durable et l’exercice des droits de l’homme …. »
Mr Yankhoba Diattara devrait nous édifier sur la question : Pourquoi le Sénégal est le grand absent de la table des signataires ? Quelle est la source de motivation de ce refus ? L’abstention du Sénégal est une marque d’intention qui exprime une mauvaise volonté du régime à faire des réseaux sociaux un des leviers de la démocratie et de la liberté d’expression ou chaque citoyen est libre de s’exprimer dans les limites du droit. Nonobstant le projet de régulation, l’état est entrain de trahir les principes fondateur des réseaux sociaux en refusant de ratifier la déclaration.
Il serait plausible de mentionner qu’avec la démission des médias traditionnels du combat social, les réseaux sociaux sont les seuls espaces d’étalage des revendications sociales. En conséquence de quoi, les réseaux sociaux dérangent parce qu’ils mettent à nu l’incapacité du régime à solutionner les problèmes sociaux les plus élémentaires : les coupures d’eau, les délestages, les inondations etc.. Selon « The Economist Intelligent Unit » la démocratie recule d’année en année (Cf Edition 2020). Avec le gouvernement actuel, nous sommes devenus un régime dit « hydrique » qui est un mélange de démocratie et de dictature. Cette recule démocratique atteindra son paroxysme avec le projet de régulation des réseaux sociaux.
Conclusion
Le Drame de ce pays, c’est sa classe dirigeante dont la vision est plus courte que le bout du nez et qui prétend adopter des mesures judiciaires dignes des régimes totalitaires. Dans les grandes démocraties, la régulation des réseaux sociaux est admissible, car l’application des lois demeurent impartiale et la régulation permet de rendre l’espace virtuel conforme aux cadres juridiques. L’Allemagne est déjà dans une dynamique de régulation. S’agissant du Sénégal, l’indépendance de la justice est un vain mot qui s’illustre à travers les propos du juge Déme qui disait : « j’ai démissionné d’une magistrature qui a démissionné ». Ce propos sorti de la bouche d’un des plus grands magistrats de la république illustre à suffisance l’état de délabrement de notre système judiciaire complétement inféodé au pouvoir exécutif.
A défaut de ne pas réguler les réseaux sociaux, l conviendrait de mettre sur pieds un Observatoire Indépendant de Régulation des Réseaux Sociaux avec la présence des représentations de la société civile et des partis politiques. Cet observatoire impartial se chargera d’apprécier les informations et de juger de leur conformité avec le droit sénégalais. Aucune censure ne sera formulée sans l’aval de l’observatoire. Chaque trimestre, l’Observatoire devra publier ces rapports détaillés des informations censurées et les motifs de censures.
Dia Fallou – Commission numérique Pastef
(Source : [Facebook_>], 16 mai 2022)