Expresso Sénégal, Wade, la 3G+ et la réalité des choses
dimanche 20 juin 2010
Le secteur des télécommunications au Sénégal vient de vivre ce que nous pourrions qualifier de séïsme avec le lancement en grande pompe d’un service 3G+ par le Président de la république himself. Cet acte posé par la plus haute autorité de ce pays a été largement commenté par la presse locale mais aussi par les autres membres du secteur des télécommunications au Sénégal. En effet, il est très rare de voir un président de la république se charger personnellement du lancement d’une offre de téléphonie mobile dans un pays.
Mis à part le caractère sacrée de la fonction de président qui ne doit pas être utilisé pour n’importe quoi, le président Abdoulaye Wade a de manière flagrante montré sa préférence pour un des acteurs du secteur, en demandant de manière explicite à l’ensemble des Sénégalais de se procurer la nouvelle carte SIM e-liberté d’Expresso filiale du groupe Sudatel au Sénégal. Cette attitude est surprenante et loin de l’impartialité à laquelle nous devons nous attendre d’une personnalité de ce niveau dotée d’un potentiel d’influence non négligeable. Mais qu’est ce qui a bien pu pousser le Président de la république à « donner ce coup de main » à cet opérateur ?
Rappelons que depuis l’attribution d’une licence globale en 2007 au groupe Sudatel, il ne se passe pas un mois sans qu’un scandale financier lié à cette procédure ne soit révélé par la presse. C’est dans cette ambiance que Expresso Sénégal, filiale de Sudatel, a publié il y a quelques semaines un communiqué de presse pour réaffirmer le caractère « propre » de la licence. En plus de ce communiqué, l’appui manifeste apporté à Expresso par le Président de la république pourrait avoir pour but de redorer le blason de cet investisseur qui a, rappelons le, déboursé pas moins de 200 millions de dollars US pour cette licence globale. Cet acte inopportun ne s’aurait s’expliquait que par l’obligation de quelqu’un qui se sentirait redevable. Au même moment, il paraîtrait que le décret devant permettre à la SONATEL de lancer les services de son réseau 3G+ déjà déployé est sur le bureau du Président de la république depuis décembre 2009. Ce retard dans la signature a-t-il été délibéré pour permettre à Expresso de se lancer en premier sur ce segment ?
Mais arrêtons nous un peu sur cette technologie 3G+ que vient de lancer Expresso sur le marché sénégalais de la téléphonie mobile. Après avoir été handicapé depuis le lancement par sa technologie CDMA, Expresso lance une nouvelle carte 3G+ encore appelée USIM qui a la faculté de fonctionner tant sur un téléphone CDMA que sur un téléphone GSM. Cette nouveauté devrait normalement permettre à Expresso de voir son parc mobile enfin décoller d’autant plus que l’obstacle majeur à la croissance de son parc vient d’être levé par cette offre dénommée « e-liberté ».
Au 31 mars 2010 et selon les statistiques fournis par l’ARTP, le nombre de clients mobile Expresso ne s’élevait qu’à 221 705 abonnés correspondant qu’à un peu plus de 3% de part de marché. Mais coté recrutement ça se passe plutôt bien car Expresso a eu plus de nouveaux clients durant le premier semestre 2010 que son concurrent Orange, alors que Tigo fut en tête des recrutements durant cette même période. Ces chiffres montrent que Tigo se porte plutôt bien et que c’est l’opérateur Orange qui aurait eut un peu de souci à gagner de nouveaux clients entre janvier et mars 2010. La situation ne risque pas de s’améliorer pour Orange car avec cette nouvelle offre d’Expresso, le troisième opérateur risque de faire une percée non négligeable d’ici la fin de l’année 2010 si la qualité de service fournie par sa 3G+ est acceptable.
Pour avoir testé cette nouvelle carte SIM 3G+, je suis un peu resté sur ma faim. J’ai noté une qualité irréprochable sur la partie « voix », les communications vocales sont d’une clarté imparable. Le seul hic est sur la partie Internet. Le réseau 3G+ est bien présent mais très faible par endroit, il est très difficile de se connecter à Internet sans avoir des messages d’erreur par intermittence. Le débit plafond de 7,4 Mbits annoncé est loin d’être approché et je ne retrouve même pas l’aisance d’un accès 512K bits. Serait-ce un problème de capacité ? L’offre serait elle déjà victime de son « succès » ? il paraîtrait qu’il se vend comme des petits pains vue son prix accessible (2000Fcfa) mais toujours bien au dessus des tarifs de la concurrence (1000Fcfa). Mais l’offre s’accompagne d’un crédit initial de 3000Fcfa utilisable vers tous les opérateurs et un mois de connexion Internet gratuite (si jamais la connexion marche !).
Cette offre 3G+ de Expresso n’est rien d’autre qu’une migration en douceur de son réseau CDMA vers du GSM, ce qui est pour Expresso un aveux d’échec dans la définition même de sa stratégie initiale de lancement Pourquoi avoir perdu une année et demi avec la technologie CDMA si c’est pour finalement rejoindre les deux opérateurs déjà en place sur la technologie GSM. Expresso a compris, avec beaucoup de retard, qu’elle ne pourrait jamais inquiéter ses concurrents en restant sur le CDMA.
Autre chose que Expresso ne dit pas. Les clients qui utiliseront la nouvelle carte SIM avec leur téléphone CDMA n’auront pas de la 3G+ (HSDPA) mais seulement de la 3G (W-CDMA) car la seule technologie 3,5G ou 3G+ est de nature GSM donc compatible qu’avec un terminal GSM. Ce qui prouve une fois de plus que la politique de Expresso est de faire une migration complète vers le GSM. Et ils ont sans doute raison de la faire pour rattraper tout ce temps perdu, si ce n’est déjà trop tard...
Le modou-modou des télécoms
(Source : L’Afrique des télécoms, 20 juin 2010)