Exclusif : la première agence pour l’IA en Afrique francophone siégera au Togo
jeudi 12 septembre 2019
Le Togo accueillera du 16 au 17 décembre prochains un symposium régional sur le thème « Pour une Intelligence artificielle (IA) éthique et inclusive au service du développement durable, de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Ouest ». Cette rencontre sera l’occasion de poser la première pierre de l’Agence francophone pour l’Intelligence artificielle (AFRIA) à Aneho
Organisé par l’Unesco, l’OIF, la CEDEAO, l’UEMOA et le gouvernement de la République du Togo, le Symposium d’Aneho réunira les ministres francophones de l’économie numérique, le réseau des institutions en charge de la Francophonie en Afrique de l’Ouest (RESIFAO), le Centre des hautes études du Ministère français de l’Intérieur (CHEMI), l’Université de Lomé, mais aussi des startuppers, des opérateurs privés et des bailleurs internationaux. Plus d’une centaine de participants sont attendus dans la ville d’Aného, fief de Cina Lawson, la très active ministre du numérique du Togo.
« L’Intelligence artificielle est devenue un des grands enjeux de ce siècle. Toutes les grandes entreprises du monde de la Tech sont engagées sur les problématiques de l’IA, sous l’impulsion des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Son évolution combinée à celles de la robotique, de l’éducation, de psychologie, de l’informatique des objets, de la blockchain et de la génétique va profondément bouleverser nos sociétés et l’Afrique ne doit pas rater le virage numérique », explique Eric Adja, Directeur du bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest (BRAO) de l’OIF, en charge de la coordination du symposium d’Aneho et de la mise en place de l’AFRIA (Agence francophone pour l’Intelligence artificielle).
« Parce que les enjeux de l’IA sont aussi d’ordre politique, social, éthique, économique, juridique : investir dans l’IA et développer une réflexion critique est devenu un impératif non seulement pour les Etats, les organisations internationales, mais aussi pour les entreprises et les universités qui anticipent le monde de demain », poursuit-il.
Le défi est de taille pour échapper à la « cybercolonisation » de l’Afrique qui passera par la mutualisation des expertises locales, soutenue par des fonds de financement africains et internationaux qui lui permettront de mettre en adéquation la recherche africaine avec son économie. Car force est de constater que l’Afrique reste aujourd’hui « invisible » sur la carte mondiale de l’IA.
L’Afrique francophone se raccroche au wagon africain de l’IA
En juin 2108, Google annonçait la création de son premier centre de recherche en IA sur le sol africain, à Accra, la capitale du Ghana, et le Rwanda lançait dans la foulée son premier Master en IA (Machine Intelligence). Aujourd’hui, l’Afrique francophone s’engage à son tour dans l’IA. Après le 1er Forum africain sur l’intelligence artificielle organisé par l’Unesco en décembre 2018 à l’Université polytechnique de Ben Guérir au Maroc, l’Afrique francophone accélère le pas.
L’IA a en effet le vent en poupe sur le Continent, comme en témoigne le dernier rapport Africa Business Agenda du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), publié en marge du Forum économique mondial (WEF) organisé à Cape Town du 4 au 6 septembre dernier, selon lequel 46% des PDG africains prévoient de se lancer dans l’IA d’ici 2022.
D’après le cabinet Deloitte, l’Afrique comptera 660 millions d’Africains connectés via leur smartphone en 2020 (un chiffre multiplié par deux depuis 2016). De quoi encourager les initiatives locales face aux défis de la santé, de l’agriculture, de l’éducation, de la sécurité ou encore de l’environnement et des migrations.
Grâce au développement du Cloud, le secteur numérique ne nécessite plus systématiquement le recours aux infrastructures lourdes qui font toujours cruellement défaut en Afrique subsaharienne et le Continent pourrait demain s’appuyer sur un leapfrog technologique made in Africa, face aux géants de la Tech américains et chinois qui totalisent actuellement l’essentiel des investissements du secteur. Selon le rapport Future of Artificial Intelligence, réalisé par le Hub Institute en partenariat avec IBM, les fonds levés par les startups en IA ont triplé entre 2010 et 2016, passant de 600 millions à 1,8 milliard de dollars et 62% de ces fonds ont été directement orientés vers les startups américaines.
L’Afrique devra accélérer ses programmes de formation, car la majorité des experts en IA résident actuellement entre l’Asie, les Etats-Unis et l’Europe, les Africains étant largement sous-représentés. L’enjeu est de taille pour le Continent, car la bataille des GAFAM et des BATX (Baidou, Alibaba, Tencent, Xiaomi) a commencé et la course aux données personnelles sur le Continent, synonyme de contrôle des matières premières indispensables à l’IA, bat son plein.
AFRIA, une agence francophone pour l’Intelligence artificielle
La mise en œuvre de la feuille de route d’Aneho pour l’IA sera confiée à l’Agence francophone pour l’intelligence artificielle (AFRIA), dont la première réunion constitutive s’est tenue le 8 août 2019 à Lomé et dont les activités commenceront en 2020, dans le cadre de la Stratégie numérique pour la Francophonie et de la célébration du cinquantenaire de l’OIF.
Adoptée au Sommet de Kinshasa en octobre 2012, « cette stratégie définit la vision et les axes stratégiques d’intervention de l’OIF à l’horizon 2020 et vise à contribuer à l’émergence d’une société de l’information démocratique, inclusive, ouverte et transparente qui favorise la diversité culturelle et linguistique et l’intégration de la Francophonie dans l’économie numérique », explique Eric Adja.
L’Agence assurera le suivi et la mise en œuvre des recommandations et des projets issus du symposium d’Aneho. En substance, elle diffusera des informations et assurera la veille relative à l’évolution des enjeux de l’intelligence artificielle, tout en favorisant la concertation entre la société civile, le secteur privé, les universités et instituts de recherche, les élus, la jeunesse, mais aussi les femmes.
L’AFRIA s’intéressera particulièrement à la formation et à la recherche sur des questions aussi hétéroclites que les limites juridico-éthiques de l’IA, les modalités d’apprentissage, les défis sécuritaires, les dispositifs d’alerte et de prévention de crises humanitaires ou encore les migrations.
Comment se servir de l’IA pour modéliser et prédire l’évolution des écosystèmes pour mieux accompagner la transition écologique en Afrique tout en préservant l’environnement sans compromettre le développement économique ? L’IA et la robotique peuvent-elles contribuer à l’éradication de la faim en Afrique de l’Ouest ? Où se situe la frontière entre IA et vie privée ? L’IA menace-t-elle l’emploi ? Comment utiliser l’IA pour optimiser l’inclusion financière ? Pour faire progresser la médecine ? Autant de questions qui seront relayées au Togo dans le cadre du Symposium d’Aneho qui se tiendra en amont de la consultation des ministres de l’Économie numérique de la CEDEAO, prévue à Cotonou en mars 2020.
Marie-France Réveillard
(Source : La Tribune Afrique, 12 septembre 2019)